mercredi 8 janvier 2014
La fille automate - Paolo Bacigalupi
Dans quelques centaines d'années, l'énergie fait défaut, et faute de pouvoir nourrir tous les machins électroniques qui foisonnent dans notre imagination, l'innovation se concentre sur le biologique. Pas d'électricité pour faire tourner votre usine ? Utilisez donc les mastodontes, gigantesques créatures artificielles qui transformeront les calories en énergie. A Bangkok, Anderson dirige une usine de ce genre. Mais ce n'est qu'une couverture : il travaille en fait pour AgriGen, géant occidental de l'agroalimentaire avide de s'emparer du marché local qui résiste étrangement à ses graines privatisées. La privatisation du vivant est un thème au cœur du roman, et tant mieux : c'est original et parfaitement en phase avec la réalité de notre époque. Anderson partage la vedette avec d'autres personnages. Hock Seng, son assistant, est un chinois réfugié traumatisé par le massacre de sa famille dont la situation est plus que précaire. Sa paranoïa va peut-être lui servir dans les bouleversements à venir. Jaidee et Kanya sont des chemises blanches, la main armée du ministère de l’environnement, qui pour faire face aux nombreuses menaces (épidémies, crues, famine, gestion de l'énergie ...) dispose d'un pouvoir étonnant. Mais protéger l'indépendance de son pays contre les puissants intérêts des multinationales n'est pas sans danger, sans compter que c'est se résoudre à utiliser la violence. Et vient enfin Emiko, la fille automate. Crée pour servir aussi bien d’assistante et de traductrice que de jouet sexuel pour de riches japonais, elle échoue seule à Bangkok, où les siens ne sont pas vu d'un bon œil. Elle survit dans un bordel, et petit à petit va essayer de gagner son indépendance en luttant contre ses gènes artificiels qui la destinent à l'obéissance. Le terme "automate" vient simplement des mouvements saccadés qui servent à la distinguer du l'humanité classique, car la technologie de ce futur étant comme on l'a dit essentiellement biologique, elle est constituée de chair et de sang et non de circuits imprimés.
La fille automate est l'incroyable tableau d'un futur riche et cohérent. Le roman prend donc un peu de temps à commencer, il installe doucement son univers. Si le début peut sembler un peu lent, le rythme ne fait que s’accélérer. Cela se ressent même sur la longueur des chapitres, qui deviennent de plus en plus courts. Anderson n'est pas un héros, c'est un mercenaire cynique qui a choisit une vie dangereuse mais intéressante. Chaque personnage a des motivations et des interrogations différentes, et un seul est américain. Cette absence d'américanocentrisme est très rafraichissante, même si au final le combat qui se déroule en Thaïlande est causé par les géants occidentaux de l'agroalimentaire et leur quête de privatisation du vivant. Se pose aussi à travers Emiko la question plus classique du transhumanisme : l'humanité peut-elle, et surtout doit-elle, utiliser la science et la technologie pour s'améliorer, pour se recréer ?
Le roman est aussi le portrait d'une ville, Bangkok : des bidonvilles aux marchés, des immeubles abandonnés faute d'énergie aux usines recelant de dangereux miasmes, des palais gouvernementaux aux repaires des rois du pouvoir mafieux. Si dès le début la crasse, la violence et la maladie sont omniprésentes, le roman nous réserve de géniales scènes de chaos urbain et d’émeutes sanglantes mises en parallèle avec les événements se déroulant au plus haut dans l'échelle du pouvoir. On comprend les décisions politiques et l'on observe leurs conséquences.
J'avais beaucoup entendu parler de La fille automate, et je comprend pourquoi. Le futur ici construit est un modèle de cohérence riche en questionnements pertinents, particulièrement en ce qui concerne le recentrement sur le biologique au détriment de l'électronique. Les destins de ces personnages tristement humains et de cette ville fourmilière victime de jeux de pouvoir sont passionnants. Un très grande réussite d'anticipation.
639 pages, 2009, J'ai lu
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