lundi 28 octobre 2013
Identification des schémas - William Gibson
Ma première rencontre avec William Gibson, dans le pourtant très renommé Neuromancien, a été plutôt décevante. Mais j'ai lu beaucoup de bonnes choses sur celui-ci, qui est d'un tout autre genre. Exit la mégalopole cyberpunk, et bienvenu dans le monde contemporain. Qui n'est pas forcément moins étonnant.
Cayce est "consultante en design", selon le quatrième de couverture. En fait, elle est chasseuse de cool, une fonction que j'ai pu bien comprendre grâce à No Logo. Tiens, à propose de logos : Cayce a une allergie bien particulière. Ce qui la rend malade, au sens propre, ce sont certaines marques, certains logos. L'accumulation de marketing hypocrite qui tente de faire exister l'inexistant. Cayce, habituée à décrypter les sous cultures, va être amené à s'intéresser tout particulièrement à un phénomène très étrange : le Film. Une oeuvre anonyme, diffusée par petits morceaux sur le net, qui crée chez certaines personnes un engouement incroyable. Ne reste plus qu'a en trouver les auteurs.
Identification des schémas est un roman réaliste. Cependant, on retrouve un intérêt tout particulier pour ce qui définit notre monde moderne, comme le marketing, les réseaux de communication,les grandes métropoles, internet ... On sent que cette vision est celle d'un auteur de science fiction, et c'est cette vision du monde contemporain par un auteur habitué à l'anticipation qui rend le roman si particulier et intéressant. L'écriture est bien plus claire et facile à suivre que dans Neuromancien, tout en gardant quelques bizarreries assez indéfinissables, mais qui cette fois n'entravent pas la compréhension générale. Les personnages, quand à eux, sont particulièrement convaincants. Cayce, notamment, est très ... crédible, vraie. Il en va de même pour les autres, notamment cet ami qu'elle ne connait que par internet et par téléphone. La trame n'est pas particulièrement marquante, ce qui est réussit, c'est plutôt la place que les personnages y occupent, et les thèmes abordées. Ces détails additionnés contribuent à donner à Identification des schémas une véritable personnalité. Je ne considère pas ce roman comme une claque, mais il est incontestablement très plaisant, et surtout, intrigant et original, assez unique. Une expérience à tenter.
2003, 442 pages, Le livre de poche
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dimanche 27 octobre 2013
L'homme qui marchait sur la Lune - Howard McCord
La Lune en question, c'est une montagne située dans un coin perdu, aussi désertique et aride que notre satellite, d'où son nom. L'homme, William Gasper, est un être mystérieux. Extrêmement solitaire, sans autre domicile qu'un container pour stocker ses quelques affaires, il passe la majorité de son temps à marcher. Condition physique excellente, capacités intellectuelles non négligeables, goût pour la survie en milieu hostile ... Il attise la curiosité. Rapidement, sous ses apparences de voyageur au style de vie épuré, on comprend que se cache un homme habitué à la violence. Et peut être un peu fou. Mais c'est aspect là, c'est au lecteur d'en décider. William Gasper est habité aux longues sessions de marche sur la Lune. Mais cette fois, il n'est pas seul. La chasse est ouverte.
L'homme qui marchait sur la Lune, c'est d'abord un fantastique roman sur la marche et l’isolement de l'homme dans la nature hostile. Que ce soit sur les détails organisationnels ou les réflexions sur la solitude, on est servi. Ensuite, c'est violent et impitoyable. Tuer ou être tué, les hommes lâchés dans la nature redeviennent des bêtes. Des bêtes aux capacités meurtrières décuplées par l’intellect et l'expérience. Et enfin, c'est beau. La nature rocheuse et désolée est belle, l'homme qui s'y détache est beau, malgré sa violence et sa folie, et l'écriture, confession à la première personne, est belle.
L'homme qui marchait sur la Lune est un court roman qui assure. Difficile de décrocher devant tant de maitrise. Si l'on est sensible aux thèmes de la marche, de la solitude et de la traque en milieu hostile, c'est le jackpot.
1997, 136 pages, Gallmeister
dimanche 20 octobre 2013
Les meilleurs récits de Amazing Stories
Rapide présentation extraite de la quatrième de couverture : "Amazing Stories est la plus ancienne revue de science-fiction au monde. C'est grâce à elle que la SF a pu se constituer en genre littéraire séparé dans les années 30." Hop, c'est parti pour une petite leçon d'histoire.
- Abraham Merrit est présenté comme ayant été un modèle pour Lovecraft, et l'on comprend pourquoi avec Les êtres de l'abime (1919). Un coin perdu et mystérieux, des explorateurs, une civilisation oubliée et clairement non humaine ... Il y a de quoi s'amuser avec de tels ingrédients, et cela fonctionne plutôt bien. Un bon texte qui lorgne plus vers le fantastique que la SF.
- Dans L'arrivée des glaces (1926) de Peyton Wertenbaker, un homme immortel profite de ses derniers instants, dans plusieurs millions d'années, pour nous raconter sa vie. On a donc droit à une petite histoire du futur très plaisante, accompagnée d'intéressantes réflexions sur l’immortalité. Pas mal du tout.
- La guerre du lierre (1930) de David Keller a un titre très évocateur. Un maire, un explorateur et un biologiste se rendent compte qu'une espèce de lierre un peu trop intelligente et dangereusement vivace serait à l'origine de l'abandon de villes antiques ... et pourrait faire un petit come back. Un chouette récit de lutte contre un envahisseur végétal.
- Le dernier homme (1929) de Wallace West est une dystopie qui a un peu (beaucoup) vieillie. Le dernier homme en question n'est pas le seul survivant de l'humanité, mais bien le dernier homme : les femmes dominent le monde. Dans une société productiviste et décadente, les femmes, n'ayant plus besoin de plaire (la reproduction est prise en charge par une machine et les hommes, devenus inutiles, ont été éliminés), ont perdu leur "féminité" et sont devenues presque asexuées. Cette vision de la sexualité féminine n'ayant plus de raison d’être sans les hommes est aujourd'hui assez marrante. Sinon, le dernier homme va se trouver une femme à l'ancienne (c'est à dire sexuée et sensuelle), et ils vont partir dans la montagne fonder une nouvelle civilisation ... à deux. Mouais. Un texte sympathique à lire d'un point de vue historique, mais guère plus.
- On continue dans la dystopie avec Les cités d'Ardathia (1932) de Francis Flagg, un texte assez inspiré de Métropolis. On y retrouve la classique division de la société entre classe laborieuse et classe dominante. Un révolution se prépare, et une jeune privilégiée va découvrir l'enfer quotidien des ouvriers. Malgré ces thèmes aujourd'hui dépassés et mille fois revus, cette nouvelle s'en sort bien, notamment grâce à sa fin qui se projette 500 ans dans le futur pour observer les conséquences des événements décrits précédemment.
- Le sous-univers (1928) de R.F. Starzl parvient en dix pages à aligner un nombre assez incroyable d'absurdités. Un savant envoie sa fille et son assistant dans l’infiniment petit, et la nouvelle embrasse la théorie selon laquelle les atomes sont des univers propres à une autre échelle, dans lesquels le temps s'écoule à une vitesse infiniment plus rapide. Le savant a fait des expériences en envoyant et ramenant des objets, mais cela ne tient pas debout : selon les chiffres donnés à la fin de la nouvelle (30 minutes dans le sous-univers = des millions d'années dans le notre), un objet qui y resterait 5 secondes à notre échelle y passerait en fait des millénaires, et serait donc réduit en poussière ou au moins suffisamment amoché pour éveiller quelques soupçons. Ensuite, il envoie des animaux, qui bien sur ne reviennent pas. Il suppose que les animaux sont tout simplement partis gambader de leur coté. Il n'a absolument pas l'idée d'envoyer un lapin dans une cage pour vérifier. Bien sur, quand vient le tour de sa fille et de son assistant, les choses tournent mal. En essayant de les ramener 30 minutes plus tard, il se retrouve avec sur les bras des membres d'une civilisation humaine ayant vécu des millions d'années depuis l'arrivée de ses deux membres fondateurs. Bon, alors c'est la deuxième fois déjà dans ce recueil : non, on ne fonde pas une civilisation à deux. Ensuite, que ces humains, après des millions d'années d'évolution, aient conservé la même apparence physique, c'est déjà peu probable, mais en plus qu'ils parlent anglais ...
- Dans La planète au double soleil (1932) de Neil R. Jones, un humain ayant passé des millions d'années en stase été récupéré par une sorte de race-machine d’explorateurs curieux, et après la greffe de son cerveau dans un corps de métal, il a rejoint leurs rangs. Les joyeux compères décident d'aller visiter une planète dans un système possédant deux soleils, et bien sur les choses vont mal tourner. Au final, on a un bon récit d'exploration faisant beaucoup penser à Pitch Black, qui charme grâce à ses personnages extraterrestres et sa fin réussie.
- Armageddon 2419 (1928) de Philip Francis Nowlan est célèbre pour être à l'origine de Buck Rogers, héros qui a été ensuite décliné en BD et série TV. C'est la plus longue nouvelle, mais pas la plus intéressante, je n'en ai lu que 20 pages avant de laisser tomber. Dans le futur, les Mongols dominent le monde (si si) et les membres de la "race" Américaine vivent dans la forêt en attendant de prendre leur revanche. Le style très mou n'aide pas à franchir de cap de ce pitch pas vraiment tentant.
Dans le même genre (en mieux et plus orienté fantastique) sur ce petit blog : Les meilleurs récits de Weird Tales 1, Les meilleurs récits de Unknown
312 pages, Le livre de poche
mardi 15 octobre 2013
Dans les forêts de Sibérie - Sylvain Tesson
Déjà, je dois quand même préciser que lire Dans les forêts de Sibérie juste après Walden de Thoreau, qu'on le veuille ou non, ne peut manquer de faire naitre dans l'esprit du lecteur (le mien en l’occurrence) certaines comparaisons pas forcément pertinentes. Je vais essayer de les mettre de coté.
Sylvain Tesson décide donc de partir vivre 6 mois sur les rives du gigantesque lac Baïkal, dans une petite cabane isolée de neuf mètres carré. Logiquement, on a droit à un récit d’ermitage. Ce qui frappe le plus, c'est la température : jusqu'à moins trente degrés. Pas mal de gens se seraient choisis un coin un peu plus tempéré, mais c'est cet exotisme qui fait le charme du livre. Et pour oublier le froid, la vodka coule à flot. La place de l'alcool est vraiment étonnante dans ce récit, la vodka accompagne toujours les rencontres avec les locaux (qui par ailleurs sont très bien décrits, en tant que Russes typiques), mais aussi de nombreuses soirées solitaires de Sylvain Tesson. Cela contribue à rentre l'ensemble sinon déprimant, du moins pas très gai. Il fait froid, il a la gueule de bois, des ours rodent, il manque de se noyer dans le lac, il y a une tempête, quand le soleil se pointe il amène les moustiques avec lui, il se fait larguer par sa copine ... Par contre, l’ordinateur qui implose au bout de quelques jours, ça c'est plutôt marrant. Et mon expérience personnelle (certes beaucoup, beaucoup plus modeste) approuve : seul dans la nature, on souffre, on est fatigué, on galère, mais au final on se sent libre, vivant, et on adore ça.
Au niveau de l'écriture, c'est maitrisé. Un style simple et fluide, une progression chronologique au jour par jour, le récit des faits agrémenté de nombreuses réflexions souvent pertinentes (quoique pas très développées). C'est plutôt léger, mais dans le bon sens du terme : ça se lit tout seul tout en étant relativement riche. Un petit point qui m'a gêné cependant. Sylvain Tesson revient souvent sur la définition de l’ermite, le fait de refuser de faire partie du monde, d’être totalement indépendant ... C'est oublier un peu vite d'où viennent les caisses de nourriture qui lui permettent de survivre, sa vodka, ses cigares, ses panneaux photo-voltaïques, son canoé en kit, ses livres ...
Au final, Dans les forêts de Sibérie est un très sympathique récit fort bien écrit qui fait plonger sans difficulté le lecteur dans les joies sibériennes. Par contre, mieux vaut ne pas s'attendre à une folle aventure pleine de danger et de solitude absolue : Sylvain Tesson passe la plupart de son temps à se balader, lire, recevoir des pêcheurs russes ou des amis français et dire du mal de la société qu'il a quitté. Une petite citation pour finir : "Rien ne vaut la solitude. Pour être parfaitement heureux, il me manque quelqu'un à qui l'expliquer."
2011, 290 pages, Folio
samedi 12 octobre 2013
Walden - Henry Thoreau
Walden, c'est le nom du lac auprès duquel Thoreau passa deux années de vie dans une petite cabane construite de ses mains, de 1845 à 1847. Et Walden, c'est aussi le nom d'un étrange objet littéraire.
Mais qu'est-ce donc ? Un essai, un récit, un roman philosophique, une autobiographie, du nature writing ? Walden rentre difficilement dans les cases. Disons qu'il rentre un peu dans chacune. Thoreau nous parle beaucoup de lui, et de ses opinions. Il est loin d’être misanthrope, il ne s’exile pas pour fuir ses semblables. Il a même beaucoup de contacts humains : il va régulièrement au village situé non loin, il reçoit la visite de nombreux amis, et apprécie la compagnie de visiteurs inattendus, les bois du XIXème siècle étant bien plus animés que les nôtres. Pour mieux comprendre ses motivations, rien ne vaut une citation. Et comme je cède à la facilité, voici celle qui se trouve en quatrième de couverture : "Je suis parti dans les bois parce que je voulais vivre de manière réfléchie, affronter seulement les faits essentiels de la vie, voir si je ne pouvais pas apprendre ce qu'elle avait à m'enseigner, et non pas découvrir à l'heure de ma mort que je n'avais pas vécu. Je ne désirai pas vivre ce qui n'était pas une vie, car la vie est très précieuse; je ne désirais pas d'avantage cultiver la résignation, à moins que ce ne fût absolument nécessaire. Je désirai vivre à fond, sucer toute la moelle de la vie, vivre avec tant de résolution spartiate que tout ce qui n'était pas la vie serait mis en déroute."
Des citations, à la lecture de Walden, on serait tenté d'en garder beaucoup en mémoire. En effet, le livre n'est pas construit autour d'une narration fluide, ce sont souvent de courts paragraphes évoquant divers thèmes chers à Thoreau de façon presque sentencieuse, on dirait parfois des aphorismes. Il fait l'apologie d'un mode de vie simple et épuré, d'un retour aux sources. Il veut cultiver autant son champ de haricots que son moi profond plutôt que de se livrer à un quelconque travail absurde pour accéder à une aisance matérielle illusoire qui ne peut que détourner de la vérité. "Plutôt que l'amour, l'argent ou la gloire, donnez moi la vérité." Thoreau semble très sur de lui, et certains ne manquerons pas de lui trouver un coté prétentieux assez dérangeant. Certes, il met en avant son mode de vie comme étant meilleur que celui de la plupart de ses contemporains, mais pourquoi pas ? Qu'on soit d'accord ou non avec ses opinions, il n'y a pas grand chose à reprocher à ce mode de vie contemplatif, qui tend vers l'auto-suffisance, l'exploration de soi-même et la pensée critique.
Et les idées de Thoreau, plus de 150 ans après l'écriture de Walden, sont pour la plupart d'une actualité frappante. Dans un occident plus urbanisé que jamais dans lequel on peine à se souvenir que notre nourriture prend racine dans la terre (ou du moins est censée le faire), dans une France où un paysan se suicide tous les deux jours, la question du rapport à la nature et au sauvage est plus pertinente que jamais. Walden ne transformera pas ses lecteurs en joyeux habitants des bois, mais il ne peut qu'encourager une pensée critique et autonome vis à vis de la société qui est la notre. Et pour ça, Walden est une œuvre à lire, même si les passages dans lesquels Thoreau décrit longuement la nature, le lac, l'hiver, le chemin de fer ou encore les petits animaux de la forêt sont à mon sens bien moins passionnants que les parties consacrées à la critique sociale. Enfin, je suppose que c'est là le cœur de l’expérience de Thoreau pendant ces deux années, il ne serait donc absolument pas pertinent de lui reprocher ces variations qui peuvent sembler un peu trop vaines et bucoliques aux citadins désabusés que nous sommes pour la plupart.
336 pages, 1854, Le mot et le reste
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