Un peu de Greg Egan : je dois avouer que j'étais en manque. Je me suis résolu, après quelques années de réticence, à enfin commander certains de ses derniers volumes sur Amazon : hélas, il ne sont disponibles que là. C'est, je crois, une forme d'auto-édition où le bouquin est imprimé par Amazon. Est-ce plus rentable pour Greg Egan qu'une "vraie" maison d'édition ? Ou ses écrits plus récents sont-ils plus difficilement publiables ?
C'est donc un recueil de nouvelles, de bonne facture, même si on atteint pas les sommets trouvés dans Axiomatique, Radieux et Océanique. A noter que le recueil du même nom, récemment paru au Bélial, ne contient que trois des nouvelles lues ici.
The discreet charm of the Turing Machine, 2017 (5/5)
Un futur proche, à peine science-fictif. Alors que le salariat humain est progressivement rendu obsolète par les algorithmes, une famille de "classe moyenne" se retrouve petit à petit plongée dans la misère financière. Tout le monde est à la fois hyperconnecté et complètement désemparé face à cette algorithmisation du monde. Les IA sont entrainées sur le travail des humains qu'elles remplacent par la suite, et rien à faire, elles coûtent moins cher, le mouvement est inarrêtable. Cependant, quel avenir pour ceux qui vendent ces solutions post-humaines si plus personne n'a les moyens d'acheter leurs produits ? Alors se met en place une sorte d'UBI (Universal Basic Income) nébuleux, secret, personnalisé pour chacun à l'aide d'algorithmes. On croit travailler, mais c'est juste pour occuper artificiellement les masses, avoir une raison de recevoir un salaire qui servira à acheter les produits et services des géants de la tech, et la boucle est bouclée. Cette artificialisation radicale de l'existence n'a pas besoin des systèmes totalitaires des dystopies du passé. La satire est excellente, le sujet est pertinent et exploré avec intelligence, j'ai beaucoup aimé.
Zero of Conduite, 2013 (4/5)
Une nouvelle qui date de ce que je suppose être la période Moyen-Orient de Greg Egan. On y suit une ado surdouée qui, dans le contexte défavorable de l'Iran et de l'Afghanistan, lutte pour développer une nouvelle technologie de semi-conducteur. Pas de grand concept, c'est plus intime, plus simple ; on se concentre sur un cadre géographique, culturel, économique. J'ai aprécié.
Uncanny Valley, 2017 (3/5)
Un clone virtuel dans un corps artificiel est en quête de sa propre identité après la mort de son "parent". Celui-ci n'a d'ailleurs pas transféré tous ses souvenirs à son "fils", comme s'il avait des choses à cacher. La quête impossible d'identité est bien écrite, mais ça manque de direction et de punch.
Seventh Sight, 2014 (4/5)
Un concept simple, dont la narration est un simple prétexte pour l'explorer. Quelques enfants qui, pour des raisons médicales, ont des yeux artificiels, décident de pirater ces implants pour augmenter drastiquement la partie du spectre électromagnétique perçue, les faisant passer d'un trichromatisme classique à un heptachromatisme. Mille nouvelles beautés s'offrent à eux, mais c'est un fossé qui les sépare du reste de l'humanité. Encore une fois c'est mesuré, intime, mais satisfaisant narrativement, avec une progression douce-amère.
The Nearest, 2018 (4/5)
Ce qui commence comme une simple enquête policière pour meurtre révèle rapidement une bizarrerie anormale qui, comme le récent film Weapons (Évanouis en VF), ressemble fortement à un pitch de scénario pour le jeu de rôle Delta Green. (J'écoute trop de podcasts Delta Green). Il s'avère qu'un virus détruit tout attachement émotionnel envers les gens proches (les nearest) et convainc les victimes que ces proches sont devenus des sortes d'imposteurs, des zombies inhumains. C'est très fun, le concept est excellent, c'est une pirouette de plus d'Egan dans le sens d'un esprit humain purement physique, matériel, amas de neurones et d'hormones qui peut être perturbé, modifiant ou détruisant au passage ce qu'on imagine être soi. Le seul souci narratif, c'est comme on suit une des victimes de ce virus, le lecteur comprend bien avant la protagoniste la solution du problème.
Shadow Flock, 2014 (3/5)
Une histoire de vol de portefeuilles de cryptos à l'aide de nuées de microdrones programmés pour agir de façon autonome face aux imprévus. C'est plutôt fun, sans plus. Les cambriolages auraient mérités d'être plus développés.
Bit Players, 2014 (4,5/5)
Trois des grandes passions de Greg Egan en une seule nouvelle : les mondes virtuels, les mondes avec une physique improbable, et les problèmes d'identité. La protagoniste se réveille dans un monde qui, physiquement, ne tient pas la route. Elle apprend qu'elle, et d'autres, sont des PNJ (personnages non joueurs) dans une sorte de simulation en VR. Elle tente ensuite de manipuler les règles de ce monde virtuel pour améliorer son sort et celui des autres... humains virtuels ? IA se prenant pour des humains ? Comme souvent chez Egan c'est le concept avant tout le reste, la narration est donc un peu faible, mais c'est très marrant et stimulant.
Break my Fall, 2014 (2/5)
Encore une fois, une nouvelle qui est une excuse pour un problème de physique. Pour la première fois dans ce recueil, ça se passe dans l'espace. Cette fois, j'ai trouvé le prétexte narratif trop faible et le problème décrit n'a pas non plus su m’accrocher, j'ai lu en diagonale.
3-adica, 2018 (4/5)
Une suite a Bit Players. La protagoniste a obtenu la capacité de se déplacer d'un monde virtuel à l'autre. Cette fois, elle est dans un Londres victorien, brumeux, gothique, rempli de vampires et d'autres bestioles tirées de la littérature fantastique. Le ton est beaucoup plus littéraire, puisque ce monde est supposé être un amalgame de clichés littéraires, et c'est franchement marrant. C'est un changement d'ambiance qui fonctionne car il est totalement méta : les personnages ont parfaitement conscience d'être dans une fiction invraisemblable. Le concept mathématique qui donne son nom à la nouvelle est basé sur les nombres p-adique, sujet à propos duquel je n'ai pas compris grand-chose.
The Slipway, 2019 (4/5)
Une nouvelle de SF tout à fait classique, pour une fois ! Une potentielle menace cosmique apparait dans le ciel étoilé, et la quête scientifique pour comprendre cette menace est lancée. La résolution n'est pas aussi originale que d'autres problèmes narrés par Greg Egan, mais j'ai néanmoins beaucoup aprécié. Il y vraiment cette pointe de sense of wonder, ce plaisir du décryptage progressif de l'inconnu.
Instanciation, 2019 (3/5)
Suite et conclusion à Bit Players et 3-adica. Le début est chouette — faire face au besoin impératif de s'extraire des mondes virtuels face à la faillite annoncée de la boite qui les gère — et la conclusion aussi, mais le processus narratif, qui implique une longue immersion dans un énième monde virtuel et des interactions prolongées avec une unique joueuse, m'a semblé bien peu passionnant. J'ai même parfois lu en diagonale. Une conclusion en demi-teinte pour une série de nouvelles qui mériterait plus d'être considérée comme un roman court dont il serait dommageable de ne lire que la seconde ou la troisième partie.
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