Paru originellement en 1986, soit 10 ans après Le gène égoïste, L'horloger aveugle (The Blind Watchmaker en VO) n'a pas une thèse aussi précise. C'est plutôt une explication générale de l'évolution, du darwinisme, à travers la lentille suivante : comment l'évolution est la seule perspective qui permette d'expliquer l'incroyable complexité du vivant. A priori un sujet un peu vaste, déjà lu ailleurs plus d'une fois, mais il n’empêche de Dawkins multiplie les idées et les perspectives passionnantes. Il a un style, disons, hyper-rationnel, il peut être aisé de s'égarer dans ses longues argumentations détaillées, mais au moins les réflexions sont limpides, tant qu'on absorbe ses pages de développement. Le dernier tiers, où il s'attaque à diverses positions qui prétendent remettre en cause le darwinisme, est un peu superflu pour le lecteur convaincu, mais difficile de reprocher à Dawkins de ne rien vouloir laisser de côté.
Dawkins commence en prenant le temps d'insister sur la complexité du vivant : l’œil notamment, mais aussi le système "radar" des chauve-souris. Par exemple, ces bestioles ont besoin d'une ouïe acérée pour capter les détails des ultrasons qui leur reviennent, mais dans ce cas, comment leurs organes auditifs ne sont-ils pas endommagés par les impulsions qu'elles envoient elles-même ? Cet exact problème s'est posé aux ingénieurs qui développaient le radar. La solution est à la fois simple et incroyable quand elle est appliquée au vivant : utiliser un circuit qui désactive l'organe receveur quand l'organe émetteur s'active. C'est exactement ce système qu'a favorisé l'évolution chez les chauve-souris. De même, pour ne pas confondre les impulsions entre elles, certaines espèces utilisent des fréquences modulées, par exemple un octave de moins entre chaque impulsions, avant de remonter en fréquence. D'autres encore utilisent l'effet Doppler et interprètent les décalage de fréquence d'une onde pour percevoir leur propre vitesse par rapport à d'autres objets. Pour une chauve-souris, toutes ces informations se confondent en une représentation du monde en trois dimensions : cette représentation mentale peut donc venir de la vue, de l’ouïe, de l'odorat... pour une créature qui perçoit surtout grâce à son ouïe, ce qui correspond mentalement à une couleur peut être en "réalité" une texture.
Pour expliquer ces incroyables complexités, la mutation avec sélection. La plupart des mutations sont des désavantages. Celles qui sont des avantages ont plus de chance d'être transmises. (D'ailleurs, c'est la définition même d'avantage dans ce contexte : un trait est avantageux quand il facilite sa propre transmission.) C'est la sélection en une étape. Maintenant, ce procédé se répète à travers le temps, c'est la sélection cumulative, l'évolution. Plus petit est le saut dans l'espace génétique (la mutation), plus il est probable qu'il soit neutre voire avantageux. Les gros sauts ont plus de chances d'être désavantageux car ils ont plus de chance de perturber l'équilibre précédent.
L'évolution se fait donc par micro-sauts. Chaque mutation est sélectionnée quand elle offre un avantage. Par exemple, l’œil : l’œil ne peut pas se créer à partir de rien, mais toute mutation qui offre a son porteur la capacité de capter 1% plus de lumière augmente de 1% (sans doute moins en comptant les autres sens) la capacité du porteur à évoluer dans son environnement : c'est suffisant pour, statistiquement, augmenter ses chances de survie et donc de transmettre ce trait. Au bout de quelques dizaines de millions d'années, par ces micro-sauts, on passe de quelques cellules capables de faire la différence entre jour et nuit à un œil "moderne", parce que chaque état intermédiaire était un avantage en soi.
Cette logique s'applique pour tous les organes : 10% d'un poumon, d'un cerveau, d'un foie, d'une main, etc., offre des avantages que n'offre pas 9% du même organe. Cette logique est la seule qui permette de concevoir le passage de la simplicité à la complexité.
Ce qui définie une espèce, c'est que tous leur membres ont, à quelques détails près, le même système d'adresse pour leur ADN. Tous ont le même nombre de chromosomes et chaque endroit le long de chaque chromosome à la même "adresse" que chez les autres membres de l'espèce. Chaque cellule peut être vue comme une gigantesque usine chimique. Chacune, via l'ADN, pourrait contenir en données l'équivalent du Nouveau Testament. L'usine est constituée de nombreuses machines : de molécules de protéines assemblée sous l'influence d'un morceau précis d'ADN. Ces enzymes sont des "machines" au sens qu'elles permettent chacune une particulière réaction chimique. Chacune est faite d'environ 6000 atomes et récupère d'autres éléments qui flottent dans la cellule pour ses réactions. Il y a environ un million de ces enzymes par cellules, et il y en a plus 2000 types. Ces enzymes déterminent la forme et la fonction de chaque cellule. Les cellules sont différences car elles lisent des partie différentes de l'ADN, et cette lecture est déterminée par des substances chimiques initialement présentes dans la cellule, substances déterminées par les cellules alentour. Au cours d'une division cellulaire, des substances chimiques différentes peuvent se rassembler de chaque côté de la cellule, et ainsi donner deux "enfants" différents.
Dawkins, dans Le gène égoïste, présentait l'ADN comme quasi immortelle. Par exemple, le gène qui détermine la protéine histone H4 a été répliqué probablement sur 20 milliards de générations entre l’ancêtre commun des pois et des vaches jusqu'aux vaches modernes. Ce taux de succès dans la copie est colossal. Il est causé par la sélection naturelle : les organismes ayant des copies foireuses du gène causant cette protéine vitale n'ont pas survécu, et donc n'ont pas pu transmettre leur gène mutant. Il y a peut-être eu de nombreuses erreur de copies, mais aucune n'a été sélectionnée. A titre de comparaison, le taux de mutation naturel est estimé à un peu plus de un sur un milliard. Ainsi, on peut concevoir que la sélection naturelle est plus occupée à empêcher le changement qu'à le favoriser.
L'essence de la vie est une propriété : la capacité de réplication. C'est la propriété essentielle à la sélection cumulative. Sur terre, cette propriété est celle de l'ADN. Un autre type de réplicateur, plus simple, a pu précéder l'ADN. En plus de la réplication, il y a deux autres ingrédients : des erreurs ou changements occasionnels dans l'auto-réplication, et la capacité pour au moins certains de ces réplicateurs d'avoir du pouvoir sur leur propre futur. En somme, un réplicateur doit avoir une influence sur sa probabilité d'être répliqué.
D'ailleurs, j'ai enfin clairement compris ce qu'était l'ARN : des copies de travail de l'ADN qui se baladent dans les cellules et transmettent les "plans" de l'ADN aux machines de la cellule. Page 193, Dawkins décrit comment des changements chimiques cellulaire altèrent le cerveau et donc le comportement d'un organisme.
Les atomes de carbone ont la capacité de facilement s'assembler pour former des molécules plus complexes, mais on peut imaginer des réplicateurs non organiques (silice). Dawkins emprunte à un autre auteur (Cainrs-Smith) cette hypothèse et la développe de façon étonnante, imaginant page 218 et suivantes une "boue" cristalline aux capacités auto-réplicantes, et dont les réplicateurs auraient un pouvoir sur leur probabilité de réplication. Par exemple, une boue pourrait avoir la capacité d’assécher des points d'eau, puis, une fois sèche, pourrait être transmise par le vent sous forme de poussière et concurrencer d'autres boues dans d'autres points d'eau... Ces réplicateurs originels auraient pu évoluer une autre substance auto-répliquante qui les auraient supplanté et serait devenue l'ADN.
Pour un gène, la partie de son environnement la plus importante est constituée des autres gènes qu'il "rencontre" dans les cellules des organismes successifs qu'il habite. Un gène à "succès" sera un gène qui se débrouille bien, qui collabore bien, avec les autres gènes qu'il est susceptible de rencontrer dans ces organismes successifs. Donc les gènes n'évoluent pas tant en relation avec l'environnement humain (forêts, plaines, etc.) mais en relation avec leur propre environnement génétique. Une fois qu'un groupe de gènes domine, il a un avantage certain de part sa capacité à travailler en groupe. Un autre groupe pourrait même faire le travail mieux du point de vue de l'organisme, mais il part avec un désavantage par rapport à une équipe déjà présente. Il y a donc une inertie qui favorise les gènes déjà établis.
Un point concernant la sélection sexuelle : les gènes pour les préférences des femelles ne s'expriment que dans le comportement des femelles, mais ils sont aussi présents dans les corps des mâles. De la même façon, les gènes pour les traits masculins que préfèrent les femelles sont présents dans les corps des femelles. Si je suis un mâle avec un trait aimé des femelles (longues plumes), mon père partageait sans doute ce trait, et ma mère préférait sans doute ce trait, donc j'ai aussi probablement hérité des gènes qui poussent les femelles à préférer ce trait. Même raisonnement pour les plumes courtes. Donc, chaque individu contient probablement à la fois les gènes pour un certain trait et les gènes qui poussent à la préférence de ce trait chez le sexe opposé. Les traits préférés par le sexe opposé doivent en même temps faire un compromis avec l'environnement : si les femelles préfèrent des plumes de 60cm mais que les plumes idéales dans tel environnement sont de 20cm, la pression évolutionnaire pourra favoriser un équilibre de 40cm.
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