J'ai toujours eu un problème avec le "paradoxe" du chat de Schrödinger. Certes, je comprenais les bases physiques du problème encore moins qu’aujourd’hui, mais la question me semblait fondamentalement... absurde. Et c'est bel et bien le cas, si on se place du point de vue de la physique classique : l'idée, justement, c'est que la physique au niveau quantique, qui concerne en premier lieu des particules aux plus petites échelles qui soient (longueur de Planck et temps de Planck), est fondamentalement différente, et même incompatible, avec la physique classique. Ramener un problème quantique dans notre monde perceptible, forcément, ça ne peut guère faire sens, et c'est l'idée : « Aucune analogie physique ne nous permettra de comprendre ce qui intervient à l'intérieur des atomes. » (p.115) Donc, quand je trouvais naïvement ce paradoxe absurde... j'avais par inadvertance raison. (Enfin, ça dépend, car on peut aller plus loin et étudier en profondeur les implications du paradoxe sur la nature de la réalité.)
Le chat de Schrödinger de John Gribbin, initialement paru en 1984, est un chef-d’œuvre de vulgarisation scientifique en physique, et plus spécifiquement en physique quantique. J'ai été complètement passionné, et ça n'était pas gagné : c'est le premier livre de pure physique que je parviens à lire d'un bout à l'autre, en saisissant à peu près l'essentiel. Comme souvent, je ne peux m'empêcher d'être stupéfait et terriblement frustré qu'il m'ait fallu attendre avoir 30 ans pour commencer à me frotter vraiment à ces questions. La physique est à la fois l'ultime exploration du réel et un domaine terriblement contre-intuitif qu'il est bien difficile de pénétrer en profane. Je suppose que j'ai été préparé par des années de lecture d'essais divers et de SF, genre qui m'a prémâché le travail en explorant narrativement des concepts de physique quantique : Greg Egan, notamment avec Isolation (effondrement de la fonction d'onde, p.205+) et L'énigme de l'univers (existence de l'observateur donnant sa réalité à l'univers observé, p.249), ou encore The Metamorphosis of Prime Intellect (transmission instantanée d'informations dans un ordinateur par saut quantique, p.270). Notons que John Gribbin a le bon goût de ne jamais se perdre dans la moindre divagation mystico-philosophique foireuse : ces choses-là sont laissées à la fantaisie du lecteur. Si l'auteur se livre à quelques spéculations personnelles, spéculations qui avec le recul ne semblent pas forcément avoir touché juste, c'est à la toute fin du livre. Hop, je tente de prendre quelques notes...
A l'échelle quantique, les particules semblent être à la fois des particules ou des ondes, selon la façon dont on les observe. L'expérience du corps noir (p.54+), qui consiste à piéger des rayonnements dans un corps qui ne les laisse pas s'échapper, ne pouvait, selon la théorie classique, mener qu'à une catastrophe ultraviolette, c'est-à-dire une énergie infinie, ce qui n'était évidemment pas le cas. Cette expérience a mené à la découverte des quanta : il existe une échelle où l'énergie ne peut plus se diviser en plus petits paquets, l'échelle quantique.
L'image classique de l'atome avec un noyau (protons et neutrons) autour duquel orbitent les électrons n'est pas exacte : c'est une analogie erronée avec la physique classique et les mouvements des astres, car l'idée d'orbite n'a pas de sens à l'échelle quantique. Les électrons peuvent varier de niveau énergétique, ce qui revient à dire qu'ils absorbent ou perdent un quantum : ils "montent" ou "descendent" dans leur "orbite", mais il ne s'agit pas d'un déplacement comme on l'entend, car il n'y a pas d’échelle en dessous du quantum. Les électrons passent d'un quantum à un autre comme une image succède à une autre dans un film qui a un nombre limité d'images par seconde. Pire encore, le hasard : dans la radioactivité, il n'y a pas de raison pour qu'un atome plutôt qu'un autre réalise une désintégration. Le hasard règne, et ce n'est qu'à une échelle statistique que l'on peut faire émerger des schémas globaux, ici notamment l'idée de demi-vie. On va d'ailleurs plus loin dans l'explication de la désintégration radioactive page 160.
On explore aussi la façon dont les molécules se forment à l'échelle atomique : « Toutes les réactions chimiques peuvent être expliquées de cette manière, comme un partage ou un échange d'électrons entre atomes dans le but de parvenir à la stabilité des couches électroniques saturées. » (p.95+) Face à l'impossibilité de saisir à la fois l'emplacement et le mouvement d'un corps, « Il n'existe pas de vérité absolue au niveau quantique. [...] Des expériences conçues pour détecter des particules détectent toujours des particules ; des expériences conçues pour détecter des ondes détectent toujours des ondes. » (p.148) Malgré ces flous, tout ceci est à la base de ce qu'on nomme l'électronique, la capacité à contrôler les électrons pour transmettre de l'information. Dans un matériau conducteur, certains électrons, avec un peu d'encouragement, sont libres de passer d'un atome au suivant : c'est le courant électrique. (p.168) Dans un isolant, les électrons sont fermement liés aux noyaux, et dans un semi-conducteur (il y en a des naturels mais on utilise des artificiels plus dociles) l'assemblage d'atomes différents capables de se partager des électrons libère les électrons ainsi rendus superflus (mais j'atteins les limites de ce que je suis capables de résumer en quelques mots, plus de détails pages 168-9).
Rappelons l'importance du vide dans tout ça : le noyau de l'atome est 100000 fois plus petit que l'atome lui-même, c'est-à-dire avec son champ d'électron. Rappelons aussi que la physique quantique a aussi son rôle à jouer dans l'explication de la vie, puisque l'ADN est, comme le reste, un assemblage de molécules à l’échelle quantique. Bon, ça commence a être un peu en vrac, mais une autre idée à laquelle je m'étonne de n'avoir jamais songé : étant donné la relativité, et étant donné la vitesse d'un photon... le temps n'existe pas du point de vue des photons ! Dingue. On pourrait même imaginer que de cette perspective, l'univers n'est qu'un vaste instant figé. Aussi, les particules fondamentales comme les pions, les gravitons, gluons, mésons, etc. sont autant des forces que particules. « Toutes les forces fondamentales peuvent être interprétés en terme d'échanges de particules. » (p.235) Ces particules apparaissent à partir de rien (certes, à partir du principe d'incertitude, mais je ne crois pas encore avoir pleinement saisi cet aspect là).
Allez, une jolie façon simpliste de conclure : en somme, soit l'univers n'est basé que sur la somme d'une infinité de probabilité à l'échelle quantique, et donc rien n'est réel, ou alors toutes les probabilités sont réalisés dans des mondes "parallèles" (plutôt à angles droits) et donc tout est réel. L'auteur, optimiste, penche vers le second point. Je ne m'aventurerais pas à choisir, la nature exacte du réel étant sans doute hors des concept saisissables par les humains, mais je perçois cette vision comme le choix d'une perspective rassurante : le réel serait vaste et aurait toujours plus à offrir... L'auteur ne cache pas que cette perspective est motivée par la peur d'une fin : « Si la recherche dans le domaine de la physique est un jour terminée, le monde sera un endroit beaucoup moins intéressant. »