dimanche 5 novembre 2017

Oblomov - Ivan Gontcharov


Oblomov - Ivan Gontcharov

Oblomov est un archétype, à tel point que les personnages eux-mêmes utilisent le terme d' « oblomovisme ». Oblomov n'est pas un homme mauvais, bien au contraire, il a un cœur d'or. Il est tendre et bienveillant, et ne manque pas non plus d'intelligence. Ses critiques amères de la société qui l'entoure ne manquent pas de piquant. Mais ces qualités sont submergées par un autre trait de caractère : la paresse. Oblomov vit endormi. Quand il parvient à quitter son lit ou son canapé, c'est pour rester assis, se perdre dans ses rêveries, regarder autour de lui d'un air absent, manger de la bonne chair. Il est propriétaire terrien, il tire son revenu d'une propriété de 300 âmes dont il ne s'occupe absolument pas. Sans son ami Stoltz, qui voit en lui ses bons cotés et s'occupe de régler ses problèmes, il se serait rapidement retrouvé sans le sou. Stoltz est certainement le personnage le plus intéressant : c'est lui qui met Oblomov face à ses défauts, qui le pousse dans ses derniers retranchements, en bref, le secoue un peu. Un autre personnage, Olga, aura cet effet sur Oblomov. La jeune femme va vivre avec lui une histoire d'amour bien sûr vouée à l'échec, mais qui aura le mérite, du moins au début, de vivifier Oblomov. Puis, lentement, celui-ci se laisse à nouveau happer par l'inactivité, l'attente, l'abandon.

Oblomov est un roman sur un homme qui ne sort pas souvent de son lit, je ne m'attendais donc pas à beaucoup de tension. Mais même en s'y préparant, le début est vraiment, vraiment long. Ivan Gontcharov tient tellement à faire rentrer dans la tête du lecteur les traits de ses personnages qu'il étire les scènes bien plus que nécessaire. Les altercations entre Oblomov et son serviteur sont particulièrement interminables, ainsi que les descriptions qui introduisent chaque protagoniste. Je l'avoue, j'ai sauté pas mal de pages. Mais après un tiers environ, le roman trouve son rythme de croisière, Oblomov s'anime un peu, et l’intérêt s'installe pour ne plus s'en aller.

Oblomov me fait penser à Anna Karénine. Dans les deux cas on a un protagoniste qui donne son nom à l’œuvre et qui se distingue de ses pairs par des traits extrêmes, traits qui le conduiront au suicide. La mort d'Oblomov n'est certainement pas aussi flamboyante que celle d'Anna, mais c'est bien un lent suicide : l'incapacité de quitter un mode de vie auto-destructeur. Dans Anna Karénine, on a deux couples : Anna et son amant, voués à la perdition, et Lévine et sa femme, qui parviennent à vivre heureux. C'est le même schéma dans Oblomov : Oblomov se trouve une gentille ménagère qui le chouchoute et le conforte dans sa passivité, et à coté, Stoltz et Olga se marient, cultivent leur esprit, voyagent, s’interrogent, et vivent heureux. Si dans le roman de Tolstoï c'était, entre autres choses, l'instabilité et la confusion qui poussaient vers le précipice, chez Gontcharov, ce sont au contraire une stabilité extrême, qui relève de l’immobilisme, et une absence totale de confusion, c'est à dire de stimulation. Dans les deux cas, avec Lévine, Stoltz et Olga, ce sont les penseurs, les gens qui apprivoisent leurs démons au lieu de s'y livrer (Anna) ou de les fuir (Oblomov) qui vivent heureux, et même qui vivent tout court.

Stoltz s'exprime ainsi pour conforter une Olga inexplicablement tourmentée (p.625) :
Ah ! C'est le prix qu'il faut payer pour le feu de Prométhée ! On doit non seulement supporter, mais aimer cette tristesse, respecter les doutes et les questions : ils sont le trop-plein, le luxe de la vie, ils apparaissent sur les sommets du bonheur, en l'absence de désirs vulgaires ; ils ne naissent pas au sein de la vie ordinaire. Il n'y a pas de place pour eux quand on vit dans le chagrin et dans le besoin ; les foules avancent sans connaître ce vague à l'âme de doutes, cette angoisse des questions... Mais pour celui qui les a rencontrés en son temps, ils ne sont pas un assommoir, mais des visiteurs bienvenus. [...] Après, ils rafraichissent la vie, dit-il. Ils mènent vers un gouffre dont on ne peut obtenir aucune réponse et nous font regarder la vie avec un amour plus grand encore... Ils mobilisent nos forces déjà exercées pour la lutte avec eux, comme pour ne pas les laisser s'endormir...

On peut aussi souligner dans le roman de Gontcharov la peinture de la société russe de la moitié du dix-neuvième siècle. Quelle étrange manie que de se faire habiller par un serviteur, se faire préparer la café par un serviteur, se faire faire à manger par un serviteur, s'engueuler avec un serviteur, quand on ne fait rien de ses journées et que faire la cuisine serait un sympathique divertissement ! On note également la puissance de l'administration russe et de son système de grades, puissance qui ne manque pas d'écraser Oblomov, et qui est à l'origine de tout un pan de la littérature slave.

Ce qui fait mouche, c'est qu'il y a un Oblomov en chacun de nous. Cette partie de l'esprit qui hurle : A quoi bon ? Pourquoi faire ? Pourquoi se donner la peine ? Rien n'est important de toutes façons. Cette partie de l'esprit qui annihile toute volonté, qui pousse à attendre passivement la fin de la journée devant une quelconque forme de divertissement, ou simplement en se perdant dans les méandres de pensées stériles qui se font passer pour importantes. Je sens l'Oblomov en moi, je le connais bien. Le roman d'Ivan Gontcharov est un puissant rappel, une invitation plus que bienvenue à lutter contre son Oblomov personnel.

668 pages, 1859, le livre de poche

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