En lisant Extension du domaine de la lutte, je me disais qu'en effet, c'est pas mal, mais si Houellebecq est si reconnu, ce devait être pour des romans plus aboutis. Pressentiment absolument confirmé par Les particules élémentaires. Il y a entre les deux personnages principaux une dynamique qu'on trouvait déjà dans Extension du domaine de la lutte, et qui cette fois me rappelle Hermann Hesse, et plus particulièrement Narcisse et Goldmund. Comme dans le roman de Hesse, les deux personnages symbolisent deux parties de l'humain. Michel, c'est l'esprit. Chercheur en biologie, il est enfoncé profondément dans sa vie intérieure, et le reste, bof, ça ne le touche pas vraiment. Du coup, inévitablement, c'est l'autre personnage qui prend plus de place. Et qui se consume plus rapidement. Bruno, c'est le corps, le désir. Terriblement insatisfait sexuellement et affectivement (mais surtout sexuellement), il court après les femmes comme un moustique après le sang chaud. Et, étonnamment, après toute une vie de déboires, il semble trouver un peu de bonheur. Qui ne durera pas, bien sur. Le taux de suicide des personnages de ce livre est d'ailleurs incroyablement élevé. Bref, on a vraiment l'impression que Houellebecq utilise cette séparation en deux personnages pour parler de lui-même. Et ça fonctionne totalement, on n'a jamais l'impression d'une œuvre trop narcissique. Ces deux personnages, malheureux, font preuve d'une extrême rationalisation des choses. Par exemple, un demi-frère devient dans leur langage un "être larmoyant et détruit, lié à lui par une origine génétique à demi commune."
Ce qui est frappant, c'est la grande variété de tout cela. Non seulement on alterne entre les personnages de façon non chronologique, mais je ne m'attendais pas à trouver des pages sur Julian et Aldous Huxley, sur des ex-new age devenus tueurs, le tout occasionnellement agrémenté de poèmes plus ou moins humoristiques. Et, à la fin, c'est carrément de la science-fiction.
Bon, le thème principal de ce roman, c'est donc la frustration sexuelle. Il est exprimé quelque part que c'est "une drôle d'idée de se reproduire, quand on n'aime pas la vie." Étonnamment, la fin du roman propose une solution à ce problème : une race de posthumains immortels et asexués. Il semble que l'immortalité de ces êtres ne soit tolérable que parce qu'ils sont asexués, et vu les 300 pages qui précèdent, cette idée ne sort pas de nulle part. C'est étrange, tout ce malheur autour de la sexualité. Quoi qu'il en soit, Les particules élémentaires m'a vraiment captivé. C'est drôle, stimulant, et chargé d'une vision forte. Et sombre. Pour finir, cette analyse de l'acte d'écriture, probablement autobiographique, que je n'arrive pas à agrémenter d'un adjectif adéquat :
La première réaction d'un animal frustré est généralement d'essayer avec plus de force d'atteindre son but. Par exemple une poule affamé (Gallus domesticus), empêchée d'obtenir sa nourriture par une clôture en fil de fer, tentera avec des efforts de plus en plus frénétiques de passer au travers de cette clôture. Peu à peu, cependant, ce comportement sera remplacé par un autre, apparemment sans objet. Ainsi les pigeons (Columba livia) becquettent frénétiquement le sol lorsqu’ils ne peuvent obtenir la nourriture convoitée, alors même que ce sol ne comporte aucun objet comestible. Non seulement ils se livrent à ce becquetage indiscriminé, mais ils en viennent fréquemment à lisser leurs ailes ; un tel comportement hors de propos, fréquent dans les situations qui impliquent un frustration ou un conflit, est appelé activité de substitution. Début 1986, peu après avoir atteint l'âge de trente ans, Bruno commença à écrire.
317 pages, 1998, j'ai lu
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