dimanche 2 septembre 2012

La nouvelle Babel

La nouvelle Babel

     En ce temps là, l'humanité était unie. Il n'y avait qu'un seul peuple, celui de la Terre; qu'une seule nation, celle des Hommes. Il n'y avait plus de conflits, plus de guerres, plus de rivalités. Bien décidée à jouir de cette utopie réalisée, l'humanité s'était lancé dans un grand projet. Un projet absolument colossal. Titanesque. Ce n'était pas par simple goût du progrès, mais bien par nécessité. Délivrés des rivalités entre puissances politiques et économiques, les hommes n'avaient pas tardé à mettre tous leurs efforts dans l'amélioration de leurs conditions de vie. Ils s'y étaient tellement bien pris que la plupart d'entre eux pouvaient se permettre de ne pas travailler, puisque leurs récentes créations d'acier et de circuits imprimés subvenaient à leurs besoins vitaux. Les hommes étaient nourris et logés sans avoir à fournir le moindre effort pour cela, et les produits technologiques nécessitaient simplement un processus de création, la fabrication et la distribution étant effectuées par de serviles et efficaces bras mécaniques.
     L'humanité semblait donc enfin libre de s’adonner exclusivement à la culture de l'art et de l'esprit. Mais si certains représentants de l'espèce s'en réjouissaient, la plus grande partie sombrait dans l'ennui. Il leur fallait tout simplement une raison concrète de vivre, car l'absence nouvelle de contraintes leur avait ôté tout sentiment que la vie avait un sens, une valeur, faute d'avoir à lutter pour elle. 
     C'est en réponse à ce phénomène que naquit le projet Babel, nommé ainsi par quelques érudits au sens de l'humour douteux. Il s'agissait tout simplement d'offrir à une humanité restructurée un espace de vie convenant à ses nouvelles habitudes, une ville géante pensée à la gloire de l'Homme et de son mode d'existence désormais parfait. Enfin, c'était la version officielle. En fait, il s’agissait simplement de donner à cette même humanité un objectif, un but vers lequel tendre. L'ampleur du projet permettrait à une partie non négligeable de la population mondiale d'y participer, directement ou indirectement, et ceux qui n'auraient pas cette possibilité pourraient chaque jour s’inquiéter de son avancement, se réjouir des succès de l'entreprise et maudire ses échecs. Et pour transformer encore un peu plus le projet Babel en spectacle géant, l'utilisation de machines était réduite au minimum. Officiellement, parce qu'elles étaient sensibles au vertige. En effet, le projet consistait en une tour. Une tour gigantesque, qui ferait passer tous les anciens gratte-ciel pour des allumettes. Un bataillon d'architectes avait décidé qu'elle ferait 31,65 kilomètres de hauteur sur 10,02 kilomètres de diamètre à sa base. Pas un centimètre de moins. Il y avait de quoi occuper l’humanité pendant un certain temps.
   Et cela fonctionna. Pendant des dizaines d'années, tous les individus se renseignaient quotidiennement sur l'avancée du projet. Si les nouvelles étaient bonnes, ils pensaient : "Oh, quel beau travail, quelle joie de voir notre belle planète unie dans un projet aussi noble ! Quelle belle époque nous vivons !". Si les nouvelles étaient mauvaises, ils pensaient : "Malheur ! Quel projet insensé que voilà ! Qu'avaient en tête nos dirigeants incompétents ? Espérons que les choses s’arrangent !"
     L'humanité vivait dans la paix, les besoins matériels de tous étant satisfaits, et le projet Babel permettait aux besoins spirituels de l’être tout autant. Le caractère quelque peu artificiel du projet n'était qu'un inconvénient mineur perçu par une partie tout à fait négligeable de la population. Bref, tout le monde était heureux.
     Presque tout le monde.
   Contemplant les occupations humaines depuis son omniscience céleste, l'Éternel était fort mécontent. Depuis quelques décennies, les affaires terrestres étaient d'une platitude jamais vue auparavant. Il ne se passait strictement rien, sinon cette étrange euphorie autour des fondations d'un bâtiment d'ampleur inédite de mémoire de dieu depuis l'Atlantide. Cette tour avait, dans le cœur des quelques hommes encore sensibles à l'idée de religion, remplacé l'amour de Dieu lui même. C'était fâcheux.
     Ce qui l’était encore plus, c'était l'ennui divin. Non seulement l'humanité avait oublié Dieu, mais, chose bien plus grave, elle ne le divertissait plus. Elle se contentait de bavarder et de jouir des petits plaisirs de la vie. Le tout en maintenant son regard sur cette absurde montagne de métal, de bois et de verre qui grandissait presque à vue d’œil.
    Il fallait remettre un peu de piquant dans la grande soupe fade qu'était devenue la Terre.
    L’Éternel déchaina sa puissance sur la planète. Il brouilla le langage des hommes afin qu'ils cessent de se comprendre. Il fit s’effondrer les tunnels et les ponts, se déchirer les câbles et les réseaux de communication, se brouiller les ondes radio. Les avions tombèrent du ciel et les bateaux sombrèrent. Les circuits imprimés grillèrent et les ampoules explosèrent. Sur Terre, c’était la panique ! Chacun courait dans un sens ou dans l'autre, tentant de fuir ce chaos. Les hommes avaient eu le temps d'oublier ce qu'étaient la peur de la mort et la terreur de l'inconnu. Quelle ne fut pas leur surprise quand ils prirent conscience d’être isolés par petits groupes n'ayant plus aucun moyen de communication à longue distance ! Après une période bien compréhensible d’abattement proche de l’apathie, ces communautés décidèrent de saisir leur avenir à pleines mains. Ce serait dur, long, mais elles sauraient reconquérir la technologie disparue, elles vaincraient à nouveau les contraintes naturelles ! Et ainsi chaque jeune nation oublia l'existence d'entités semblables de part le monde. Chacune se croyant seule, on imagine aisément leur surprise mutuelle quand deux communautés ayant ré-évolué de façon bien différente se rencontraient. On imagine tout aussi bien ce qui suivit dans la plupart des cas.
     L’Éternel était ravi. La Terre était redevenue un spectacle passionnant, composé d'une infinie variété de drames sanglants et de comédies grotesques, de situations surprenantes et de tensions intrigantes. Pour en profiter de façon optimale, il chercha un point de vue idéal. L’apercevant du coin de l’œil, il prit conscience que la tour qui était encore récemment si chère aux humains, bien qu'inachevée, s'élevait à une hauteur tout à fait acceptable, même pour un dieu. Il s'en approcha, procéda à quelques subtiles modifications nécessaire à son confort, donna à l'ensemble un air un peu plus mystique, et s’installa. "Ah, si Zeus voyait ça, songea l’Éternel, il en serait mort de jalousie. Même l'Olympe à son apogée ne fut pas si noble !"

2 commentaires:

  1. C'est agréable à lire ça c'est sûr. Mais le fait que ça soit aussi général (on parle de l'humanité toute entière) et rapide me gêne un peu. J'ai aussi l'impression que la mise dans le contexte n'est pas asser développée.
    Enfin c'est bien, mais il manque un petit truc quoi.
    Sinon il y a une faute là ^^ :
    "Oh, quelle beau travail[...]"
    Voila voila.

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  2. Oui, j'ai souvent tendance a ne pas vouloir m'étaler, même quand ça pourrait être nécessaire de développer ...

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