jeudi 31 août 2023

Les Intrus de la Maison Haute - Thomas Hardy

Les Intrus de la Maison Haute - Thomas Hardy

Dans ce court volume, deux nouvelles publiées dans les années 1880 qui explorent la vie vaguement bourgeoise dans la campagne anglaise. Dans Le Bras atrophié, on frôle le fantastique. Une laitière qui élève le bâtard d'un riche fermier ne parvient pas à avaler que celui-ci se marie avec une jolie jeunette tout en persistant à l'ignorer. Par inadvertance, elle jette un mauvais sort à la jeunette, qui voit l'un de ses bras dépérir et donc ses charmes se faner. (Enfin, c'est peut-être une coïncidence, comme l'auteur semble le prétendre, mais ce serait une sacrée coïncidence.) Une certaine complicité nait cependant entre les deux femmes qui, ensemble, cherchent à lever le mauvais sort. On explore les superstitions locales jusqu'à un final intensément morbide. Plus encore que cet aspect quasi fantastique, il est question de la triste solitude de chacun, des murs qu'élèvent les classes sociales, des petites ou grosses jalousies du quotidien et de cette apparente incompatibilité entre l'homme, qui penche toujours vers la recherche d'une nouvelle femme aux charmes neufs, et la femme, qui cherche à repousser l'age et le déclin pour fixer l'homme.

Les Intrus de la Maison Haute a un ton un peu plus léger, plus amusant. Il y a de nombreux retournements de situation presque ridicules tant ils sont gros et intempestifs, on se croirait presque dans une niaise histoire à l'eau de rose, mais l'écriture habile de Hardy et sa fine analyse psychologique et sociale parviennent à maintenir le niveau très haut. Il y est question d'un mariage qui semble ne jamais pouvoir se réaliser tant les évènements improbables et les errements émotionnels du potentiel futur marié complotent contre le happy ending. C'est presque une chronique de mauvais choix et de problèmes de communication qui ne mène qu'à une fin sans éclat, un exemple de ce qu'il ne faut pas faire en amour — pardon, en mariage.

Au final, deux nouvelles excellentes, habiles, qui me donneraient presque envie de me plonger dans un des plus gros volumes de Hardy, malgré l'image un peu rébarbative que je m'en suis fait. Je note aussi la perspective particulièrement, disons, féminine de ces textes, qui mérite d'être soulignée.

dimanche 27 août 2023

Où je suis interviewé (je vous jure)

J'ai récemment été contacté par Anudar pour répondre à une poignée de questions posées au fil des mois à des blogueurs plus ou moins orientés SF. Le principe est simple : le blogueur élu répond à ces questions, toujours les mêmes, de façon aussi elliptique ou approfondie qu'il le souhaite, puis il recommande quelques autres blogueurs pour faire passer la parole.

J'ai moi-même été cité par TmbM, dont soit dit en passant j'apprécie particulièrement le ton et l'éclectisme. Merci à lui, donc, car même si je ne suis guère actif dans le petit monde connecté des blogs, j'ai apprécié cette occasion. Je me suis efforcé de jouer le jeu tout en m'amusant.

L'interview captivante, c'est par ici.

(Oui, ces figues sont énormes.)

mercredi 23 août 2023

Vénus - Ben Bova

Vénus - Ben Bova

Bon, ce n'est clairement pas dingue, ça saute aux yeux dès les premières pages tant l'écriture est pauvre. Les personnages sont des caricatures, les dialogues ne sont absolument pas crédibles, on enchaine les poncifs, etc. J'ai cru que j'allais rapidement laisser tomber, mais la trame SF est parvenue à m'accrocher. J'ai apprécié la façon dont, dans ce futur distant de peut-être un siècle, le changement climatique est une toile de fond qui motive l'exploration de vénus : et si l'effet de serre qui fait de Vénus ce qu'elle est pourrait nous en apprendre plus sur la façon dont les humains changent le système Terre ? (Divulgâchage : non, en fait ça ne nous apprend rien du tout.)

Le rythme est extrêmement élevé, c'est très pulp, presque too much, mais on pardonne plus facilement les faiblesses d’écriture quand au moins ça va vite. Ça m'a fait penser à des BD de type Barbe-Rouge : comme on passe l'essentiel de notre temps dans des vaisseaux qui se baladent dans l’atmosphère de Vénus, le gros de la trame pourrait pour être une histoire maritime, avec chasse au trésor, naufrage, mutinerie, capitaine tyrannique fan du Paradis Perdu, amourette attendue et petit monstre marin. Il y a au moins autant de mélodrame que de SF, avec notamment une révélation qui est littéralement « pendant tout ce temps c'était moi ton vrai père » qu'on voit venir avec 300 années-lumières d'avance sur les personnages.

Malgré tout je me suis gentiment laissé prendre dans ce petit voyage vers Vénus. Pour être honnête, il ne s'y passe pas grand-chose de passionnant, les quelques aliens sont assez convenus et très peu explorés, et la fin se complait totalement dans le mélodrame à deux balles. La meilleure idée est peut-être celle de ces vaisseaux qui, pour naviguer dans l'épaisse atmosphère de Vénus, ressemblent un peu à des zeppelins : ils se remplissent des différents gaz présents et les manipulent (en séparant leurs composants) de façon à s'enfoncer ou s'élever. Notons aussi que le focus mis sur l'écrasante chaleur de Vénus joue un bon rôle dans la tension narrative et est l'occasion d'une autre bonne idée : le petit vaisseau d’exploration de surface est refroidi en faisant converger la chaleur vers une réserve finie de métal qui, une fois fondu à température ambiante locale, est évacué. Ah, et j'ai même appris un truc : pourquoi Vénus n'a pas d'eau ? Sur Terre, l'eau ne s'échappe pas dans l'espace car les hauteurs de l’atmosphère sont froides, donc l'eau se condense et retombe (le « piège froid »). Au contraire, sur Vénus, l’atmosphère est bien plus chaude, donc l'eau éventuellement présente (par exemple éjectée en faible quantité lors d’éruptions volcaniques) s’élève jusqu'à ce que ses molécules soient brisées en atome d'hydrogène et d'oxygène par la radiation ultraviolette solaire.

dimanche 20 août 2023

Le Photographe - Pierre Boule

Le Photographe - Pierre Boule

Typiquement ce qu'on appellerait un « bon petit roman ». C'est très concentré, très focus (haha), parfois un peu facile tant tout s'agence de façon bien pratique pour faire avancer la trame, mais on lit le tout avec plaisir, tant le suspense, le ton et l'analyse psychologique des personnages (surtout du protagoniste) fonctionnent bien.

Martial Gaur, photographe blessé pendant l'un de ses nombreux reportages de guerre, se retrouve à photographier des starlettes pour gagner sa vie, et ça l’insupporte, lui qui ne rêve que d'une chose : prendre la photo, celle qui fera rougir de jalousie ses collègues et gravera son nom dans la postérité. Malgré son passé dans le petit monde militant de l'extrême droite, il n'est plus de tout politisé. Au contraire, entièrement absorbé par son art, il observe le monde avec distance, ne songeant qu'à immortaliser certains moments puissants avec un angle et une lumière adaptés. Mais voilà que son passé vient frapper à sa porte et qu'il se retrouve malgré lui impliqué dans un complot pour assassiner le président... Horreur ! A moins que... n'y aurait-il pas là l'occasion de... prendre la photo ?

Et le voilà qui se retrouve à manipuler les manipulateurs pour amener le président dans le bon cadre, au bon moment, avec les tueurs au bon endroit, et lui-même à portée pour saisir à la fois un plan d'ensemble et un gros plan. Tout ce jeu de dupes est assez marrant, et bien que les motivations de certains personnages secondaires soient assez faibles, notre protagoniste porte l'ensemble sur ses épaules, avec son extrême détachement artistique et son obsession morbide. Le final parvient à offrir une culmination satisfaisante, où toutes les pièces du puzzle s'assemblent dans un tableau intense et cocasse.

Un thème classique, celui de l’obsession, exploré avec une certaine légèreté. Ça m'a rappelé le récent film Nightcrawler, un peu moins léger, où on retrouve la même obsession de saisir l'image frappante. L'auteur de la Planète des singes, des Vertus de l'enfer et des Jeux de l'esprit livre là de quoi me donner envie de continuer à farfouiller dans sa bibliographie à l'occasion.