J'ai dégoté d’occasion ce monstrueux volume de plusieurs kilos. Je crois que c'est de très loin le plus gros livre que je me sois jamais procuré. Sur plus de 600 pages sont énumérées et décrites des centaines de variétés fruitières traditionnelles du sud-ouest. Évidemment, je n'ai pas lu en détail toutes ces descriptions, mais le livre ne manque pas non plus de passages plus généraux et informatifs. Et même si on se contente de les feuilleter, ces innombrables descriptions de variétés, agrémentées de photos et dessins, contribuent à donner une profonde conscience du potentiel des fruitiers.
Le rôle des fruitiers et des vergers à drastiquement changé au cours des siècles passés, et en particulier au cours du vingtième siècle. Il y a eu inévitablement un fort déclin de l'autoconsommation au profit de productions rationnellement organisées pour le commerce à grande échelle. Au passage, il y a eu optimisation des variétés, sélection des plus performantes et oubli de la grande majorité, qui souvent étaient extrêmement locales et destinées à un usage familial. Notons que la sélection contemporaine a des objectifs particuliers : uniformité, adaptation à diverses machines, capacité à tolérer le transport... Ces qualités peuvent être différentes de celles recherchées pour un usage locale à petite échelle qui, elles, tendent donc à disparaitre. L'optimisation moderne a aussi causé la disparation des polycultures, notamment les jouales, qui associaient les fruitiers avec des vignes, voire avec des céréales ou des légumes. Les haies fruitières ont été ravagées à l'occasion du remembrement (et même avant). Les haies, en plus de leur action de lutte contre l'érosion, étaient un haut lieu de création variétale fruitière : des variétés greffées y côtoyaient des semis plus ou moins sauvages, et des hybridations très intéressantes pouvaient apparaitre naturellement.
Le verger moderne, avec ses rangées de fruitiers greffés sur porte-greffe nanifiant (pour faciliter la récolte et la mise à fruit rapide) arrosés de pesticides, est extrêmement récent. Or, c'est pour lui que se font la plupart des sélections variétales modernes, dans des contextes centralisés et privés. Aujourd'hui, une nouvelle variété optimisée peut envahir le marché en quelques années, alors qu’autrefois, les échanges se faisaient lentement à travers le territoire, au fil de la progression géographiques des semis, greffons et boutures. Là où les variétés commerciales modernes sont très limitées génétiquement, il y a dans les variétés anciennes un énorme potentiel génétique, qui pourrait se révéler capital dans l'adaptation au changement climatique et peut-être à d'autres modes de gestion du territoire.
J’apprécie page 72 le chapitre sur la rusticité supposée des variétés anciennes : parasites, maladies, adaptation climatique... On s'en doute, il est beaucoup question de la différence d'objectif des productions : par exemple, dans un cadre local, les pommes abimées ne sont pas perdues, elles servent à nourrir les animaux ou sont transformées sur place, etc. De même, l'homogénéité n'était pas un critère capital. Notons par ailleurs que même les clones peuvent "évoluer" et présenter des variations : par mutation. Ce n'est à priori pas si rare (voir page 67).