mardi 17 mai 2016
Le chant du monde - Jean Giono
Un roman mettant en scène la campagne du début du vingtième siècle, mais à quelques détails près, on se croirait au moyen-age. Ou dans un monde parallèle. C'est presque... de la fantasy. Quelques héros vigoureux ayant une quête bien claire. Des humains vivant au rythme des saisons. Un bossu doué d'un étrange don de guérison. Un puissant seigneur local en tant qu'opposition. Une nature presque magique, Giono évoquant un langage des bêtes et allant jusqu'à faire parler les oiseaux. Son univers semble intemporel.
Antonio, pêcheur solitaire, est un bel homme. Giono s'attarde longuement à décrire sa musculature. Accompagné de Matelot, qu'il aide à chercher son fils disparu en remontant la rivière qu'il connait bien, ils vont s'aventurer profondément dans la campagne. Le fils, comme on s'en doute rapidement, s'est plongé dans des gros ennuis pour les beaux yeux d'une femme. Le père n'est pas content du tout. Conflit s'ensuit. Bon, l'histoire n'est pas très passionnante. J'irai même jusqu'à dire que c'est un peu... ennuyeux. Voilà, c'est dit. Par contre, la prose de Giono a clairement une certaine force. Un petit truc qui m'a emmené sans déplaisir jusqu'au bout. Ses personnages sont rustres, ils parlent de façon saccadée. Leur animalité est sensible. Ils mangent, chassent, construisent, se reproduisent et se battent. On sent le goût de Giono pour cette primitivité. Heureusement il n'y a pas ici d'idéalisation du bon sauvage, les choses sont plus subtiles. Même ces êtres simples peuvent être hantés par des doutes existentiels. Mais ce n'est que passager. Ils se trouvent une femme à aimer, un corps à désirer, un truc à manger, une clairière où s'allonger, et que demander de plus ? Étrangement, je me suis un peu ennuyé en lisant Le chant du monde, mais tout en étant assez charmé et intrigué pour avoir envie de continuer à découvrir Giono.
278 pages, 1934, le livre de poche
samedi 14 mai 2016
2061 Odyssée trois - Arthur C. Clarke
J'avais lu pas mal de mauvaises choses sur la seconde moitié de la quadrilogie des Odyssées de Clarke. Après un début un peu poussif, 2061 se révèle pourtant être un petit roman agréable. Heywood Floyd, désormais assez vieux, se retrouve dans un vaisseau d'exploration à destination de la comète de Halley. Cette expédition est assez étrange. Il y a une piscine dans le vaisseau, et des invités de marque comme une actrice et une écrivain pour... heu... je ne sais pas trop. On pourrait supposer que l'action de se poser sur une comète semblerait assez délicate pour ne pas s'encombrer de touristes, mais bon. Une fois sur le gros caillou volant, c'est encore pire. Tout le monde va se balader et s'amuse à marcher sur un lac de goudron (ou autre substance locale) parce que, haha, c'est rigolo. En comparaison l'équipage de Prometheus de Ridley Scott a presque l'air pro. Cela m'a aussi fait penser à Tintin sur la Lune, notamment par une scène d'exploration spéléologique. Mais la mission est avortée, il s'agit désormais d'aller sauver un vaisseau s'étant écrasé sur Europe, planète à moitié fondue par le nouveau soleil Lucifer qui a remplacé Jupiter dans 2010. En fait, le vaisseau a été détourné par un terroriste suicidaire. Pourquoi ? C'est un peu vague. Vraiment très vague, en fait. Disons que l'énorme montagne de diamant venue du cœur de Jupiter s'écraser sur Europe n'y est pas pour rien. C'est tout de même un peu triste de constater qu'entre 2001 et 2061 on passe de la quête de l'Intelligence, oui, avec un grand I, à la quête d'un gros diamant.
Bon, jusque là, si 2061 n'est clairement pas un chef d’œuvre, il se laisse lire avec plaisir. C'est une charmante aventure spatiale. Mais Clarke décide de tout ruiner à la fin. Comme il avait déjà dans 2010 recyclé des passages de 2001, il fait pareil dans 2061. Deux des derniers chapitres sont de simples copiés-collés de 2010. Littéralement. Non seulement c'est extremement frustrant pour le lecteur, mais quand en plus c'est le final du roman qui se révèle être constitué des extraits d'un autre, là c'est franchement insultant. Clarke essaie aussi d'intégrer à son récit Hal et l'entité qu'est devenu David Bowman, sans doute pour essayer de convaincre le lecteur qu'il est bien en train de lire une suite de 2001. Et là aussi c'est tellement mal fait, tellement artificiel, que c'en est ridicule. Et ce n'est pas fini. La dernière ligne est un cliffhanger tout pourri, sans doute pour donner au lecteur l'envie de lire 3001. Ben c'est raté. A vrai dire il me semble que n'importe quelle autre fin serait meilleure. Un véritable premier contact avec les habitants intelligents d'Europe par exemple, avec un récit parallèle dans lequel David Bowman essaie d'influencer leur évolution. Parce que là, vraiment, c'est pire que décevant.
252 pages, 1987, j'ai lu
Libellés :
Clarke Arthur C.,
Littérature,
Science fiction
vendredi 13 mai 2016
Le congrès de futurologie - Stanislas Lem
Un roman assez bizarre. Le congrès de futurologie annoncé par le titre a à peine le temps de commencer qu'une sorte de guerre civile sème le chaos et Tichy, le narrateur, se retrouve planqué dans les égout. Le thème, c'est celui des drogues modifiant le comportement. Ça commence gentiment avec du félicitol dans l'eau du robinet, puis rentrent en scène les bembes, Bombes de Mutuelle Bienveillance, sensées calmer les conflits. Mais d'autres bombes sont d'un genre plus classique. Bref, après quelques longues hallucinations, Tichy se fait cryogéniser jusqu'à un futur où l'on pourra soigner ses névroses. Les choses deviennent plus intéressantes à son réveil, de nombreuses décennies plus tard. Le voilà plongé dans une société qui semble l'évolution logique de celle qu'il a quitté. Dans une apparente prospérité, l'humanité consomme à longueur de journée une multitude de drogues aux effets variés. Ces drogues ont pour effet de modifier l'humeur du sujet de toutes les façons envisageables ou encore de lui fournir les hallucinations de son choix. Même les livres peuvent se consommer sous forme de sucettes. Dans un tel contexte, comment ne pas douter de réalité de chaque chose ? Et si le monde entier n'était qu'une hallucination ? Les craintes de Tichy se révèlent justes dans une scène qui fait fortement penser à Matrix. La première vision que Tichy a de la réalité non masquée par les drogues ressemble beaucoup à la scène dans laquelle Néo fait une crise de panique quand il est pour la première fois confronté au désert du réel. On pense aussi à Matrix dans une autre scène :
Sur sa paume tendue elle m'a offert deux pilules : une noire et une blanche. C'était à moi de décider laquelle elle devait avaler.
Malheureusement le roman semble aller à une vitesse folle et l'on a à peine le temps de s’intéresser à ce qui nous est raconté que l'auteur passe à autre chose. Un bon exemple de ceci est la rupture de Tichy. Il quitte sa copine avec qui il voulait se marier (je rappelle qu'à ce moment il n'est que depuis un mois dans une société radicalement différente de celle qu'il a connu toute sa vie), et le lendemain il écrit : « je sors rarement de chez moi ». Il renchérit le jour suivant : « je mène une vie solitaire». Il se sent vite seul ce type là. Tout va à une allure folle, et la société décrite n'est pas toujours très crédible. Comment des individus tous sous l'influence d'une centaine de drogues à la fois peuvent partager leurs hallucinations et ainsi créer une illusion commune ? Ne devraient-ils pas plutôt être chacun enfermés dans leur monde propre ? Plutôt que de trop se prendre la tête avec de genre de détail, Stanislas Lem a décidé de faire jouer l'horrible « ah ben tout ça n'était qu'un rêve en fait » ! Et oui, à la dernière page du roman on apprend que Tichy est en fait toujours en train d'halluciner dans les égouts du début. Fin hyper décevante. A moins que... Et si cette prétendue fin n'était qu'une hallucination de plus ? Et si Tichy se retrouvait cette fois enfermé dans les méandres de ses fantasmes ? Ne rêvant que de retrouver son ancienne civilisation, les drogues répondent à ces désirs. Même si l'on apprécie la présence de ce doute, cela ne rend pas cette fin satisfaisante pour autant.
Il y a plein de bonnes choses dans Le congrès de futurologie. La dystopie esquissée est intéressante, et on sent son influence probable sur des œuvres comme Matrix, mais justement elle ne semble qu'esquissée. C'est comme si dans ce roman il y avait trop de superflu, comme ces longues phases d’hallucinations farfelues, et pas assez d'essentiel, d'exploration de cette société psychimique.
159 pages, 1971, j'ai lu
samedi 7 mai 2016
L'éducation sentimentale - Flaubert
Mais quel abruti.
C'est un peu la phrase qui résume mon expérience initiale à la lecture de l’Éducation sentimentale. Frédéric Moreau n'est pas le jeune homme le plus futé qui soit. Il enchaine les décisions stupides, les changements d'avis soudains et les ambitions rapidement abandonnées. Du coup, au début du moins, ce roman n'est pas vraiment un plaisir à lire. Il s'agit de suivre les mésaventures d'un personnage pas très attachant, voir exaspérant, les touches d'humour et l'écriture de Flaubert ne compensant pas. Mais ayant récemment abandonné Salammbô au bout d'une centaine de pages, je me suis un peu forcé cette fois. Et plus l'on avance, plus le roman devient convainquant. Il s'agit bel et bien d'une éducation. Frédéric commence ignorant et se conduit comme un cancre. Mais petit à petit on sent grandir en lui les fruits de l'expérience. Et les conséquences de cette éducation semblent être surtout la perte des illusions et le développement d'un comportement manipulateur et égoïste. Seul reste frais et sincère le premier amour, celui d'une femme mariée et fidèle, préservé peut-être par son inaccessibilité. Flaubert peint aussi l'état de la France, où les émeutes succèdent aux révolutions, dommage qu'il soit un peu difficile de s'y retrouver pour qui n'a pas auparavant révisé son histoire de France. Bref, l’Éducation sentimentale est un roman lu sans déplaisir, mais un roman qui ne m'a pas vraiment touché. Un mélange de respect et d'indifférence. Sans que je puisse vraiment me l'expliquer, il m'a donné envie de relire Le Rouge et le Noir. Sans doute parce qu'on y retrouve les mêmes ingrédients de façon bien plus éblouissante.
445 pages, 1869, Garnier Flammarion
lundi 2 mai 2016
The New Machiavelli - H.G. Wells
Un roman de Wells au ton réaliste qui serait, à priori, partiellement autobiographique. Mais ce n'est pas un point capital, il vaut mieux le prendre comme une fiction nous plongeant dans l’Angleterre du début du vingtième siècle. Heureusement, The New Machiavelli a plus qu'un simple intérêt historique.
Je crois qu'une partie non négligeable du plaisir que m'a procuré ce livre vient d'une identification avec son personnage principal et narrateur, Remington. Ou du moins une certaine empathie. Remington nait dans une famille moyenne, fils unique, il perd son père vers dix ans. Mis à l’abri du besoin par un oncle riche, il a un goût inné pour l'abstraction. Au grand regret de son oncle, il désire aller à l’université au lieu de travailler. Ce qui le branche, c'est de théoriser l'organisation sociale, de rêver d'un futur meilleur. Il ambitionne de se faire une place dans le monde de l'écriture et de la politique. Et il y parviendra. Il faut bien avouer que les passages du roman qui sont principalement consacrés à la politique ne sont pas les plus passionnants. Tout cela semble un peu loin, et ce n'est pas toujours très clair pour le lecteur d'aujourd'hui, surtout pour le lecteur non anglais. Mais on peut toujours suivre et comprendre les grandes oppositions entre les hommes d'idées et la majorité pragmatique, avec entre les deux le politique moyen qui n'a guère d'autre ambition que le maintien du statu quo.
Mais tout devient plus captivant quand se mêlent à cette abstraction l'amour et le désir. En même temps que son apprentissage de la vie politique, Remington fait l'apprentissage de la vie amoureuse. Et le crépuscule de l'ère victorienne n'est pas des plus favorables à une nature sensuelle. Réprimant ses désirs, Remington va se marier à une femme dans le seul but de tenter d'éliminer ses désirs et de se concentrer sur sa mission politique. Margaret est une alliée et non pas une amante, c'est un mariage d'idée et non de désir. On devine que les choses ne peuvent qu'aller droit dans le mur. Ainsi quand les idées de Remington évoluent et que celles de Margaret restent les mêmes, ils n'ont plus entre eux une mission commune pour les unir. La jeune Isabel, par contre, a le mérite non seulement d'avoir avec Remington le lien idéologique, les structures de pensées communes qui semblent capitales pour ces êtres tournés vers l'abstraction, mais surtout, elle éveille le désir et l'amour. Entre eux nait la passion. Passion non compatible avec l'étouffante morale victorienne. Alors, renoncer à l'amour véritable pour se consacrer froidement au bien public ou embrasser la chaleur de la vie et dire merde aux grands idéaux, de toutes façons probablement irréalisables ?
C'est là que The New Machiavelli réussit particulièrement bien : décrire ce combat entre le désir et la raison. Mais le fait est que ce combat ne peut exister que dans une société défaillante. Quel gâchis que de condamner les meilleurs au mépris public parce qu'ils ont eu le courage d'essayer de se connaitre et d'agir en accord avec cette connaissance. Du moins, c'est l'idée que veut faire passer Wells, sans doute pour justifier sa propre vie amoureuse assez aventureuse. Il le fait avec adresse et a le bon goût de laisser la place au doute. Il est intéressant de noter que les idées de Remington sont en lien avec une certaine fascination pour, disons, l'ordre. Rêve d'organisation parfaite, d'optimisation totale, de réalisation de tous les potentiels. Idéal que l'on peut imaginer facilement dériver vers des terrains plus sombres. Je remarque parfois le même genre de faille dans mes divagations intérieures.
The world I hate is the rule-of-thumb world, the thing I and my kind of people exist for primarily is battle with that, to annoy it, disarrange it, reconstruct it. We question everything, disturb anything that cannot give a clear justification to our questionning, because we believe inherently that our sense of disorder implies the possibility of a better order. Of course we are detestable.
396 pages, 1911, Penguin Book
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