mercredi 26 septembre 2012
Le Sous-Sol - Dostoïevski
Diantre, voilà encore un bouquin de Dostoïevski qui me semble bien compliqué à évoquer. Ce petit livre contient deux courts romans : Les nuits blanches, dont j'ai déjà parlé par là, et Le sous-sol, qui nous intéressera ici. Il est intéressant de noter que ce roman a été écrit par Dostoïevski entre deux périodes différentes de son œuvre, c'est à dire juste avant Crime et Châtiment et ses autres œuvres majeures.
Cette histoire est divisée en deux parties. Dans la première, le narrateur nous parle de lui, de lui, et encore de lui. Dans la seconde, il nous raconte une partie de sa vie qui sert d'une certaine façon d'illustration à ses propos précédents. Ce narrateur n'est évidement pas un personnage banal. En plus d’être profondément déprimé, il a quelques problèmes mentaux, mais c'est bien là qu'est l’intérêt, d'autant plus que cela ne l’empêche pas d’être intelligent. Il évoque différents problèmes majeurs de son existence, et de l'existence en général : la conscience, le désir, et ce petit truc qui fait que l'homme choisit parfois ce qui est mauvais pour lui, et en tire même du plaisir. En écrivant ce petit article, j'avais commencé à vouloir expliquer plus en détail la personnalité du narrateur et les concepts qu'il développe. Mais je n'y arrivais pas, je m’emmêlais, je n'étais pas clair : le texte de Dostoïevski est d'une telle richesse que je me sens incapable d'en faire un résumé qui sonne juste.
Le narrateur m'a dans un certain sens rappelé le personnage de la nouvelle Le démon de la perversité de Poe, qui, pris par une pulsion incontrôlable, avoue de lui même son crime à la police. D'une façon bien plus riche, Dostoïevski se livre dans Le Sous-Sol à une exploration de la folie humaine. Mais est-ce vraiment de la folie ? N'est-ce pas tout simplement ce petit sous-sol présent dans l'esprit de chacun d'entre nous ? Je ne suis peut être pas objectif parce que j'adore ce genre de thème, mais Dostoïevski est vraiment génial. Le Sous-Sol est un récit sombre, très sombre, et aussi riche que passionnant. J'adore.
1864, 200 pages, Folio
samedi 22 septembre 2012
L’œil du purgatoire - Jacques Spitz
Jacques Spitz (1896-1963) est un auteur français qui s'est beaucoup consacré à la science fiction et au fantastique. Appartenant à cette dernière catégorie, L’œil du purgatoire a été écrit en 1945 et n'a pourtant absolument pas vieillit.
Le narrateur, Poldonski, est un peintre raté, misanthrope et suicidaire. Le début du roman nous fait suivre sa vie et ses pensées, ses ambitions d'artiste et son dégout du monde social. Rapidement, Poldonski fera la rencontre d'un étrange vieillard, génie autoproclamé, qui lui inoculera dans les yeux des bactéries de sa composition. Celles ci ont la propriété d’être temporellement en avance sur les humains, et cette avance croit de façon exponentielle. Ainsi, Poldonski se met à voir les choses telles quelles seront dans le futur ... Pour mieux comprendre, quelques exemples : une fleur lui apparaitra fanée, un steak, déjà digéré. Et comme son mal va en s'aggravant, il verra bientôt les hommes sous forme de cadavres ambulants ...
Ce concept incroyable est au cœur du roman, et tout s'articule autour de cette perturbation dans la vie du narrateur. C'est parfois très drôle, au début notamment, quand Poldonski est décalé de ses contemporains : cela crée quelques beaux quiproquos. Puis tout oscille entre drame et humour noir, entre regret de la beauté envolée du monde et visions étonnantes de squelettes se baladant comme si de rien n'était. Le livre regorge de passages décrivant des scènes impossibles, où le narrateur est perdu dans un monde qui meurt en accéléré autour de lui, et la plume de Jacques Spitz sait donner consistance à cet univers de poussière déconcertant.
L’œil du purgatoire est un court et beau roman fantastique qui fait naitre chez le lecteur des images glauques et fascinantes, probablement jamais vues ailleurs. Bref, un concept surprenant et une excellente plume pour le mettre en scène : à lire, surtout pour les amateurs du genre.
197 pages, 1945, Arbre Vengeur
vendredi 21 septembre 2012
La Croisade de l'Idiot - Clifford D. Simak
Bwa, voilà une couverture particulièrement repoussante. Ces couleurs, vraiment ... mais, que vois-je ? C'est un recueil de nouvelles de Clifford D. Simak ?! Chouette ! Le quatrième de couv' me met l'eau à la bouche, et hop, je sors quelques pièces pour repartir avec le bouquin qui, je n'en doute pas, possède une beauté intérieure apte à me faire oublier son apparence douteuse.
- La première nouvelle est celle qui donne son titre au recueil : La croisade de l'idiot. Le narrateur est donc, comme on pouvait s'en douter, un idiot. Ou du moins, il est considéré comme tel par les gens de son village. Mais voilà qu'il lui arrive une chose assez incroyable ... D'un coup, il se met à posséder le don d'omniscience, et encore mieux, il peut plier le monde et les esprit à sa volonté. Par exemple, voir les poissons au fond d'une mare et leur donner faim pour les pousser à mordre à l’hameçon. Ou encore rendre heureux les gens tristes, ou tuer instantanément ceux qu'il n'aime pas ... Alors, quel usage fera-t-il de ces capacités ? Le titre du récit devrait vous donner un indice. Détail très amusant, on suit en parallèle les réflexions et les interrogations de l'organisme extraterrestre qui parasite l'idiot, lui donnant ces étonnantes capacités. Une nouvelle excellente, à la fois simple, touchante et drôle : tout ce que j’espérai trouver dans ce recueil.
- Dans Le zèbre poussiéreux, l'histoire s'articule également autour d'un fait étrange qui vient perturber le quotidien et offrir de nouvelles possibilités inattendues. Le narrateur découvre un beau jour un minuscule machin incrusté dans son bureau. Par hasard puis après quelques expérimentations, il se rend compte que le machin en question est une liaison avec un autre monde : un objet posé dessus disparaitra, et d'autres objets apparaitront, sans doute envoyés par "quelqu'un" habitant très loin ... Le narrateur et son associé essaieront de trouver des utilités commerciale à ces objets extraterrestres, et finalement, ils vont faire durablement du troc avec leur interlocuteur mystérieux. Mais il est très risqué de faire joujou avec des objets dont on ne comprend rien ... Encore une très bonne nouvelle, ayant les mêmes qualités que la précédente.
- On continue avec Honorable adversaire. La nouvelle étant courte, je n'en dirait pas grand chose, sinon qu'elle est très bonne, et que la guerre pourrait être un intéressant jeu de stratégie si elle n'avait pas le très gros défaut d’être meurtrière.
- Lulu, c'est un peu comme 2001, mais avec un Hal romantique et niais. Lulu est l'IA du vaisseau explorateur transportant trois passagers humains. Un beau jour, Lulu leur annonce qu'elle (ou il) est amoureuse d'eux. Et qu'elle les enlève pour passer l'éternité seule avec eux. Bref, voilà les voyageurs dans de beaux draps. Ils vont tout faire pour briser l'amour que Lulu leur porte ... mais est-ce vraiment une bonne idée ? Au risque de me répéter, sachez qu'il s'agit là aussi d'une très bonne nouvelle.
- Dans La grande cour du devant, un réparateur et marchant d'antiquités va en effet se retrouver avec une cour d'une taille impressionnante. Il commence par remarquer dans sa cave la présence d'un plafond apparu tout seul du jour en lendemain. Puis les objets cassés sont mystérieusement réparés pendant son absence. Il semble probable que notre ami l'amateur d’antiquités ait quelques colocataires non désirés ... Et un beau jour, sa maison se retrouve transformée en .... ben je vais pas vous le dire. Encore une fois la réponse est plus ou moins dans le tire. N'y aurait-il donc aucun mauvais texte dans ce recueil ?
- Copie carbone met en scène un agent immobilier se retrouvant impliqué dans une affaire des plus étranges. Ce qui ressemble à une combine louche pour louer plusieurs fois les mêmes maisons pourrait se révéler être une action incompréhensible effectuée pas des êtres venus d'ailleurs ... L'histoire se termine par une mauvaise farce, comme le craignait le personnage principal dès les premières lignes.
- On termine avec Le père fondateur. Un autre nouvelle très courte, qui aborde deux thèmes classiques de la SF : l'effacement de la frontière entre rêve et réalité et la colonisation spatiale.
Je ne peux faire qu'un seul reproche à Simak : son traitement des personnages féminins. C'est bien simple, les femmes sont toujours d'avides et insupportables tyrans domestiques. Ça doit être à cause de l'époque (ou de sa femme). Mais à part ça, c'est vraiment du tout bon, aucun texte n'est décevant. Simak a une écriture simple et touchante, et ses histoires sont humaines et drôles tout en explorant des idées intéressantes. Ah, et du même auteur je vous conseille grandement Demain les chiens, un roman/recueil qui raconte poétiquement la fin de l'humanité, et Au carrefour des étoiles, un récit pacifiste et humaniste mais pas simpliste.
254 pages, 1960, Denoël
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mercredi 19 septembre 2012
Le Lys dans Vallée - Balzac
De l'amour, de l'amour, et encore de l'amour. Dans Le Lys dans Vallée, le lecteur va en bouffer, de l'amour. De l'amour aussi intense que platonique. Partons à l'assaut de ce petit bout campagnard de l’œuvre considérable de Balzac.
Le récit est en fait une très longue confession de Félix, le narrateur, à son amante Natalie. Il commence par lui raconter (et donc nous raconter) sa triste enfance. Mal aimé de ses parents, envoyé dans de lointains pensionnats, rejeté par les jeunes de son age, sa vie d'enfant fut solitaire et tournée vers l'étude. A environ 20 ans, il va faire une rencontre (que dis-je, LA rencontre) qui va changer sa vie. Dans un bal, il est fasciné par une femme, et lui fait un bisou dans le cou. Comme ça, par surprise, poussé par ses pulsions de fougueux jeune homme. Bien sur, la femme en question est outrée et fuit pour sauver sa dignité ! Mais qu'importe, il se trouve que Félix va être envoyé à la campagne, et que par le plus grand des hasards (ah ah), l'élue de son cœur habite juste à coté.
Mais elle est déjà mariée (à un vieux con) et a deux enfants (faibles et malades). Ce qui n’empêchera pas Félix et Henriette (c'est le nom de la belle) de s'aimer à la folie. Mais chastement, parce que même quand son mari la fait souffrir en permanence et qu'elle dispose d'un jeune homme parfait fou amoureux d'elle, une femme vertueuse doit malgré tout rester vertueuse et fidèle. Bon, c'est aussi pour ne pas faire souffrir ses enfants, mais tout de même. Donc voilà, c'est le point de départ de cette histoire de passion qui s'étalera sur de nombreuses années pour finir ... devinez ... tragiquement ! D'ailleurs, il est quand même assez incroyable que le comte, le mari d'Henriette, ne soupçonne rien alors que Félix passe absolument toutes ses journées pendant des mois entiers chez eux.
Si vous n'avez pas peur des longues pages de descriptions de sentiments niais (ou pas, c'est peut être moi qui ai un cœur de pierre), il y a de bonnes chance pour que Le Lys dans Vallée soit une lecture agréable. Balzac peint finement des relations profondes et intéressantes entre les différents personnages, certes d'une façon qui nous parait aujourd'hui vraiment grandiloquente, mais cette plume poétique d'une autre époque a son petit charme.
1836, Le Livre de Poche, 390 pages + 100 pages de commentaires
samedi 15 septembre 2012
Nerval - Les Filles du Feu
Les filles du feu est un recueil qui a failli s’appeler Les amours perdus, il est donc naturel que ces diverses histoires portant chacune un nom féminin en guise de titre ne se terminent pas sur un mariage et une belle portée de petits. Avant toutes choses, Nerval nous propose une introduction sous la forme d'une lettre à Alexandre Dumas. De celle ci, qui m'a semblé très opaque, je ne retiendrai qu'une idée principale : Nerval était un peu fou et avait la manie de s'identifier à ses personnages et de mélanger réalité et fiction, ce qui lui vaudra d'ailleurs quelques séjours en clinique.
Finalement, s'il y a bien un reproche que l'on ne peut pas faire à Nerval à propos de ces nouvelles, c'est le manque de variété. Chacune nous évoque un amour perdu, mais de les façons de le faire sont bien différentes, tant dans la forme que dans le fond : on a à aucun moment un sentiment de répétitivité. Par contre, à mon sens, trois d’entre elles sont vraiment décevantes, contre quatre qui sont des réussites. Bref, un bilan en demi-teinte.
1854, environ 300 pages + 120 pages de notes, Folio
- La nouvelle du début, Angélique, n'a vraiment pas été une agréable première rencontre avec l’œuvre de Nerval. De forme épistolaire, ce récit nous fait suivre les aventures du narrateur, un bibliophile à la recherche d'un livre sur l'abbé de Bucqoy. Pendant ses recherches il retrouvera des écrits d'Angélique, une parente de l’abbé, et il nous fera suivre la vie de cette jeune femme qui a fuit ses parents par amour pour un bel homme. Le gros problème de cette nouvelle, c'est que Nerval a l’insupportable manie de changer totalement de sujet à presque chaque paragraphe. Et ce n'est pas seulement parce que le récit est entrecoupé de nombreux extraits de manuscrits, non, les digressions sont la plupart du temps d'inintéressants détails sur la campagne que visite de narrateur. Bref, on a là une histoire assez fastidieuse à lire, d'autant plus qu'il s'agit de la plus longue.
- Heureusement, Sylvie est un récit bien plus agréable. Le narrateur, un parisien, est partagé entre deux amours : Sylvie, qui habite la campagne et fut une amie d'enfance, et Aurélie, une belle actrice. L'une correspond à la "douce réalité" et l'autre a un "idéal sublime", et au final il les ratera toutes les deux. De plus, l'écriture est bien plus fluide et concentrée sur son sujet.
- Jemmy poursuit dans cette voie. L'histoire se passe en Amérique, où l'irlandaise Jemmy se mariera à l'allemand Toffel, un homme simple et bon. Mais en voulant à tout prix dominer son mari, Jemmy se fait capturer par des indiens, avec qui elle restera pendant bien des années ... son bon Toffel est-il passé à autre chose ? Le récit a un ton vraiment très paternaliste envers les indiens (la femme blanche leur apprend à ne plus ressembler à des "orangs-outans" , elle les "civilise" ), mais cela ne l’empêche pas d’être une lecture agréable.
- Par contre, Ocatavie ne pas du tout convaincu. Le narrateur évoque un amour perdu rencontré au cours de ses voyages, et pour être franc, je n'ai pas compris grand chose d'autre. Heureusement que c'est la nouvelle la plus courte.
- Isis est également un récit vraiment inintéressant à mon gout. Le narrateur se ballade dans Pompéi et évoque le temple d'Isis. Il explique les usages de ce culte, puis blablate philosophie et théologie. Mouais.
- Ensuite, Corrilla étonne en prenant la forme d'une petite pièce de théâtre, et joue franchement la carte de l'humour. A Naples, Fabio est amoureux de la cantatrice Camilla et a réussit à obtenir un rendez-vous, mais il se trouve que Marcelli, un autre jeune homme épris de la belle, a également obtenu d'elle un rendez-vous à la même heure mais à un endroit différent ... Une très chouette petite histoire qui possède rythme et humour.
- On termine par Émilie, peut être le texte le plus dramatique de tous. Desroches, un soldat français, est mort à la site d'une charge suicidaire sur le front. Un abbé va raconter son histoire pour tenter d’expliquer s'il s'agit ou non d'un suicide. Amour impossible et tragique histoire de famille sont au programme, un bon texte pour conclure ce recueil.
Finalement, s'il y a bien un reproche que l'on ne peut pas faire à Nerval à propos de ces nouvelles, c'est le manque de variété. Chacune nous évoque un amour perdu, mais de les façons de le faire sont bien différentes, tant dans la forme que dans le fond : on a à aucun moment un sentiment de répétitivité. Par contre, à mon sens, trois d’entre elles sont vraiment décevantes, contre quatre qui sont des réussites. Bref, un bilan en demi-teinte.
1854, environ 300 pages + 120 pages de notes, Folio
samedi 8 septembre 2012
Radieux - Greg Egan
Radieux est recueil contenant dix nouvelles de l'auteur australien Greg Egan, faisant ainsi suite à Axiomatique, qui regorgeait d'excellents textes pleins de bonnes idées. J'avais adoré, il est donc tout naturel que je me lance dans le second tome de cette "intégrale raisonnée des nouvelles de Greg Egan".
La plupart des nouvelles, sauf exception bien sur, ont des points communs, à commencer par une narration à la première personne et un personnage principal intelligent et désabusé. Les thèmes traités se recoupent également : religion, génétique, perception du réel ... Ces textes méritent bien qu'on s'attarde indépendamment sur chacun d'entre eux, même s'il est bien difficile de ne pas en révéler trop, le plaisir de lecture venant en bonne partie de la découvertes des idées et des concepts soulevés par Greg Egan.
- On commence avec Paille au vent, qui nous fait suivre les pas d'un mercenaire au service d'une puissante compagnie chargé de retrouvé un scientifique en fuite dans une jungle modifiée génétiquement. Cette dernière, capable de résister à tout et d’éloigner les visiteurs indésirables, sert de repaires à de nombreuses communautés qui survivent grâce à leurs exportations de drogues. Une traque qui va s'achever sur une interrogation existentielle provoquée par les possibilité étonnantes d'une nouvelle drogue ... Un texte de grande qualité, qui met en confiance pour la suite.
- La trame de L’Ève mitochondriale s'étale sur plusieurs dizaines d'années. Un homme pourtant septique va se retrouver à travailler pour une sorte de nouvelle communauté religieuse qui s'articule autour d’Ève, une prétendue ancêtre commune à toute l'humanité. Alors, est-ce une bonne façon de vouloir unir les hommes ou non ? La question se pose d'autant plus quand de nouveaux groupes revendiquant des ancêtres communs plus récents et axés autour d'un peuple particulier font leur apparition ... Religion et génétique, un cocktail qui réussit particulièrement bien à Greg Egan, qui n'oublie pas de nous faire comprendre que nous n'avons absolument pas besoin de religion pour etre unis.
- Dans Radieux, il y a aussi une multinationale surpuissante et sans pitié, mais surtout des maths. Beaucoup de maths. Et les maths, c'est pas du tout mon truc. Mais avec Greg Egan, ça n'est pas un problème : j'ai quand même beaucoup aimé cette histoire qui met en scène une rencontre avec une autre forme d'intélligence gràce à des mathématiques totalement tordus.
- Monsieur Volition est je crois la plus courte nouvelle du recueil, mais pas la moins intéressante. Le narrateur, un personnage torturé qui veut commettre un meurtre pour exercer sa volonté dans le but d'atteindre la liberté, met la main sur un étrange implant. Celui ci lui permet de voir tous les processus de pensée qui passent par son cerveau, et donc d’atteindre un nouveau niveau de conscience.
- Cocon prend plus moins la forme d'un récit policier (à noter que la police en question est privatisée). Mais par ce biais, la nouvelle s'attaque à un sujet particulier : l'homosexualité. Et elle le fait particulièrement bien. Et si une entreprise mettait au point un "remède" à homosexualité à appliquer sur le fœtus ? Une telle société doit être très homophobe ... Et bien non, du tout : c'est du marketing. Il y a une demande, ils fournissent le produit. Reste à savoir comment le mettre sur le marché sans trop choquer ... Un très bon récit dont on devine malheureusement assez facilement la révélation finale.
- Dans Rêves de transition, un vieil homme est sur le point de faire totalement numériser son esprit pour ensuite le transférer dans un corps mécanique. On le prévient que le processus peut entrainer de mystérieux rêves de transition ... La nouvelle s'achève en laissant le lecteur perdu : ou est le rêve et ou est la réalité ?
- Le Vif Argent est une terrible maladie, plutôt rare, mais qui frappe en aveugle et sans espoir de remède. Une femme enquête sur la maladie, et va s'apercevoir que celle ci est considérée par de plus en plus de personnes de façon étrange, comme si c'était un bienfait ... A nouveau, Greg Egan mêle avec talent religion et génétique, même si la fin de la nouvelle ne m'a pas convaincue.
- Ensuite, on en vient à Des raisons d’être heureux, qui est certainement le récit m'ayant le plus marqué. Le narrateur est un jeune surdoué bizarrement euphorique. Hélas, sa joie permanente s'explique d'une façon façon bien triste : il a une tumeur au cerveau, et c'est cette dernière qui provoque pour je ne sais plus quelle raison scientifique un emballement de ses molécules du bonheur. Cependant, une fois sauvé de son cancer, il se retrouve incapable d'éprouver le moindre sentiment positif, et sombre dans un cauchemar de tristesse et d'apathie. Comme quoi, nous sommes à la merci totale des petites imperfections de notre corps, celles ci pouvant totalement modifier notre personnalité que nous pensons si solide ... Et l'histoire ne s’arrête pas là : que deviendrions nous si nous avions la possibilité de choisir nous même ce qui provoque notre bonheur ou notre dégout ? Une nouvelle véritablement fascinante.
- Notre-Dame de Tchernobyl reprend une construction de polar. Un détective privé est chargé de retrouver une relique disparue, relique qui s’avérera cacher quelques petits secrets. Une nouvelle sympathique, mais qui m'a laissé un peu sur ma faim.
- Pour terminer, La plongée de Planck nous propose une plongée dans un trou noir dans un futur très lointain. Si jusqu'à présent Greg Egan savait manier les concepts scientifique pour ne pas larguer le non initié, là, c'est loupé : plus de la moitié des dialogues des personnages me sont passés totalement au dessus de la tête, ce qui limite forcément l’intérêt de la nouvelle, qui s'avère donc la plus décevante. Dommage, ce futur était intéressant, avec l'opposition entre les humains organiques et ceux qui ne le sont plus.
Au final, malgré quelques baisses de régime, Radieux est un recueil de très grande qualité. Greg Egan manie avec aisance des concepts passionnants, qu'ils soient humains ou scientifiques, et son écriture fluide est totalement au service de son propos. Et jetez vous aussi sur Axiomatique, qui est encore meilleur !
463 pages, Le livre de poche
mercredi 5 septembre 2012
Cannibale - Didier Daeninckx
Cannibale est un court roman dont l'action prend place pendant l’exposition universelle de Paris en 1931. Un contexte que l'on ne rencontre pas souvent !
Gocéné est un Kanak, c'est à dire un habitant de la Nouvelle-Calédonie. A l'occasion de tensions entre entre partisans et ennemis de l’indépendance (probablement au début des années 80), il va être amené à raconter à deux jeunes Kanak une incroyable aventure. Emmené de force à Paris pour être exposé en tant que "cannibale" entre les crocodiles et les hippopotames à l'exposition universelle de 1931, Gocéné va se retrouver séparé de sa promise, il va donc s’enfuir avec un ami, et s'ensuit une odyssée à travers Paris.
Cannibale, c'est avant tout la peinture d'une époque où le colonialisme et le paternalisme vis à vis des "cœurs farouches de la savane" règnent en maitre. Traités comme des animaux par les autorités, les deux évadés trouveront cependant un peu d'égalité dans les les rues de la capitale : un homme qui leur indique poliment leur chemin, un restaurateur qui les accueille en tant que clients comme les autres, une mère de famille qui gronde son enfant malpoli envers eux ... C'est par ces petites touches que se distille l'espoir, et heureusement, car la fin n'est pas très joyeuse, et laisse entendre qu'en cinquante ans peu de choses ont changées. Et après tout, mêmes si les Kanaks se battent pour leur indépendance, il n'en demeure par moins qu'à l'image de Gocéné qui se dit "bon chrétien", ils sont victimes de cette façon d'une colonisation religieuse qui elle est apparemment bien trop profondément ancrée pour être rejetée ...
Touchant et humain, Cannibale est bon roman (ou un une nouvelle) qui se lit très vite malgré une narration un peu molle et des personnages pas très fouillés. Il m'a ainsi semblé un peu ... léger, comme s'il était conçu pour être lu en cours de français au collège. Mais avant tout, il s'agit d'une petite pierre en mémoire d'un fait historique à ne pas oublier.
108 pages, 1998, Folio
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Les Démons - Dostoïevski
Voici que je viens enfin de terminer mon premier gros pavé de littérature russe. Bilan.
Wow, quel roman. Aussi riche que bon. Il n'est pas facile de faire un résumé de l'intrigue, étant donné qu'elle s'articule autour de très nombreux personnages, chacun possédé à sa façon par ses démons (le suicide, l'idéalisme, l’indifférence, la suffisance, le crime ...), et de leurs relations mutuelles. Ce serait un euphémisme de dire que ces dernières sont complexes. Il est très bien dit en préface que cette toile relationnelle construite avec talent par Dostoïevski ne peut se révéler pleinement qu'avec une analyse poussée, cependant cela ne m'a pas empêché d'en comprendre suffisamment pour éprouver un vif plaisir de lecture. Pour mieux s'y retrouver, une liste des personnages est disponible au début : il y en a 29, et ce ne sont que les principaux ! On retiendra surtout Nicolas, jeune homme aussi charismatique qu’inquiétant animé par une folle volonté d'autodestruction, ou encore Stéphane, ancien précepteur de Nicolas, romantique et peu adapté à la réalité, ou son fils Piotr, pseudo révolutionnaire aux motivations obscures ... Il est intéressant de se rendre compte que le narrateur ne sert pas à grand chose : il est la plupart du temps spectateur, quand il n'est pas tout simplement absent. Mais bon, il s'agit simplement d'une technique de narration, et elle fonctionne !
Et à ma propre surprise, je ne me suis que rarement emmêlé les pinceaux dans ce grand patchwork de protagonistes : il faut dire que chacun a une puissante identité, c'est sans aucun doute une grande force du roman, qui d'ailleurs n'en manque pas. Les Démons est un roman complet, qui passe par toutes la gamme des sentiments, et est parvenu à m'accrocher du début à la fin sans souci. Il y a quelques passages très drôles (notamment la scène de la grande fête qui tourne au chaos), des scènes intenses et d'autres plus calmes, des réflexions sur bon nombre du sujets, une écriture de toute beauté, une construction sans faille ...
Bref, je me sens assez impuissant à essayer de parler de ce bouquin en quelques lignes. En tous cas, j'ai adoré, et il ne m'a donné qu'une envie : lire plus de gros pavés russes !
880 pages, 1872, Le livre de poche
dimanche 2 septembre 2012
La nouvelle Babel
En ce temps là, l'humanité était unie. Il n'y avait qu'un seul peuple, celui de la Terre; qu'une seule nation, celle des Hommes. Il n'y avait plus de conflits, plus de guerres, plus de rivalités. Bien décidée à jouir de cette utopie réalisée, l'humanité s'était lancé dans un grand projet. Un projet absolument colossal. Titanesque. Ce n'était pas par simple goût du progrès, mais bien par nécessité. Délivrés des rivalités entre puissances politiques et économiques, les hommes n'avaient pas tardé à mettre tous leurs efforts dans l'amélioration de leurs conditions de vie. Ils s'y étaient tellement bien pris que la plupart d'entre eux pouvaient se permettre de ne pas travailler, puisque leurs récentes créations d'acier et de circuits imprimés subvenaient à leurs besoins vitaux. Les hommes étaient nourris et logés sans avoir à fournir le moindre effort pour cela, et les produits technologiques nécessitaient simplement un processus de création, la fabrication et la distribution étant effectuées par de serviles et efficaces bras mécaniques.
L'humanité semblait donc enfin libre de s’adonner exclusivement à la culture de l'art et de l'esprit. Mais si certains représentants de l'espèce s'en réjouissaient, la plus grande partie sombrait dans l'ennui. Il leur fallait tout simplement une raison concrète de vivre, car l'absence nouvelle de contraintes leur avait ôté tout sentiment que la vie avait un sens, une valeur, faute d'avoir à lutter pour elle.
C'est en réponse à ce phénomène que naquit le projet Babel, nommé ainsi par quelques érudits au sens de l'humour douteux. Il s'agissait tout simplement d'offrir à une humanité restructurée un espace de vie convenant à ses nouvelles habitudes, une ville géante pensée à la gloire de l'Homme et de son mode d'existence désormais parfait. Enfin, c'était la version officielle. En fait, il s’agissait simplement de donner à cette même humanité un objectif, un but vers lequel tendre. L'ampleur du projet permettrait à une partie non négligeable de la population mondiale d'y participer, directement ou indirectement, et ceux qui n'auraient pas cette possibilité pourraient chaque jour s’inquiéter de son avancement, se réjouir des succès de l'entreprise et maudire ses échecs. Et pour transformer encore un peu plus le projet Babel en spectacle géant, l'utilisation de machines était réduite au minimum. Officiellement, parce qu'elles étaient sensibles au vertige. En effet, le projet consistait en une tour. Une tour gigantesque, qui ferait passer tous les anciens gratte-ciel pour des allumettes. Un bataillon d'architectes avait décidé qu'elle ferait 31,65 kilomètres de hauteur sur 10,02 kilomètres de diamètre à sa base. Pas un centimètre de moins. Il y avait de quoi occuper l’humanité pendant un certain temps.
Et cela fonctionna. Pendant des dizaines d'années, tous les individus se renseignaient quotidiennement sur l'avancée du projet. Si les nouvelles étaient bonnes, ils pensaient : "Oh, quel beau travail, quelle joie de voir notre belle planète unie dans un projet aussi noble ! Quelle belle époque nous vivons !". Si les nouvelles étaient mauvaises, ils pensaient : "Malheur ! Quel projet insensé que voilà ! Qu'avaient en tête nos dirigeants incompétents ? Espérons que les choses s’arrangent !"
L'humanité vivait dans la paix, les besoins matériels de tous étant satisfaits, et le projet Babel permettait aux besoins spirituels de l’être tout autant. Le caractère quelque peu artificiel du projet n'était qu'un inconvénient mineur perçu par une partie tout à fait négligeable de la population. Bref, tout le monde était heureux.
Presque tout le monde.
Contemplant les occupations humaines depuis son omniscience céleste, l'Éternel était fort mécontent. Depuis quelques décennies, les affaires terrestres étaient d'une platitude jamais vue auparavant. Il ne se passait strictement rien, sinon cette étrange euphorie autour des fondations d'un bâtiment d'ampleur inédite de mémoire de dieu depuis l'Atlantide. Cette tour avait, dans le cœur des quelques hommes encore sensibles à l'idée de religion, remplacé l'amour de Dieu lui même. C'était fâcheux.
Ce qui l’était encore plus, c'était l'ennui divin. Non seulement l'humanité avait oublié Dieu, mais, chose bien plus grave, elle ne le divertissait plus. Elle se contentait de bavarder et de jouir des petits plaisirs de la vie. Le tout en maintenant son regard sur cette absurde montagne de métal, de bois et de verre qui grandissait presque à vue d’œil.
Il fallait remettre un peu de piquant dans la grande soupe fade qu'était devenue la Terre.
L’Éternel déchaina sa puissance sur la planète. Il brouilla le langage des hommes afin qu'ils cessent de se comprendre. Il fit s’effondrer les tunnels et les ponts, se déchirer les câbles et les réseaux de communication, se brouiller les ondes radio. Les avions tombèrent du ciel et les bateaux sombrèrent. Les circuits imprimés grillèrent et les ampoules explosèrent. Sur Terre, c’était la panique ! Chacun courait dans un sens ou dans l'autre, tentant de fuir ce chaos. Les hommes avaient eu le temps d'oublier ce qu'étaient la peur de la mort et la terreur de l'inconnu. Quelle ne fut pas leur surprise quand ils prirent conscience d’être isolés par petits groupes n'ayant plus aucun moyen de communication à longue distance ! Après une période bien compréhensible d’abattement proche de l’apathie, ces communautés décidèrent de saisir leur avenir à pleines mains. Ce serait dur, long, mais elles sauraient reconquérir la technologie disparue, elles vaincraient à nouveau les contraintes naturelles ! Et ainsi chaque jeune nation oublia l'existence d'entités semblables de part le monde. Chacune se croyant seule, on imagine aisément leur surprise mutuelle quand deux communautés ayant ré-évolué de façon bien différente se rencontraient. On imagine tout aussi bien ce qui suivit dans la plupart des cas.
L’Éternel était ravi. La Terre était redevenue un spectacle passionnant, composé d'une infinie variété de drames sanglants et de comédies grotesques, de situations surprenantes et de tensions intrigantes. Pour en profiter de façon optimale, il chercha un point de vue idéal. L’apercevant du coin de l’œil, il prit conscience que la tour qui était encore récemment si chère aux humains, bien qu'inachevée, s'élevait à une hauteur tout à fait acceptable, même pour un dieu. Il s'en approcha, procéda à quelques subtiles modifications nécessaire à son confort, donna à l'ensemble un air un peu plus mystique, et s’installa. "Ah, si Zeus voyait ça, songea l’Éternel, il en serait mort de jalousie. Même l'Olympe à son apogée ne fut pas si noble !"
Ce qui l’était encore plus, c'était l'ennui divin. Non seulement l'humanité avait oublié Dieu, mais, chose bien plus grave, elle ne le divertissait plus. Elle se contentait de bavarder et de jouir des petits plaisirs de la vie. Le tout en maintenant son regard sur cette absurde montagne de métal, de bois et de verre qui grandissait presque à vue d’œil.
Il fallait remettre un peu de piquant dans la grande soupe fade qu'était devenue la Terre.
L’Éternel déchaina sa puissance sur la planète. Il brouilla le langage des hommes afin qu'ils cessent de se comprendre. Il fit s’effondrer les tunnels et les ponts, se déchirer les câbles et les réseaux de communication, se brouiller les ondes radio. Les avions tombèrent du ciel et les bateaux sombrèrent. Les circuits imprimés grillèrent et les ampoules explosèrent. Sur Terre, c’était la panique ! Chacun courait dans un sens ou dans l'autre, tentant de fuir ce chaos. Les hommes avaient eu le temps d'oublier ce qu'étaient la peur de la mort et la terreur de l'inconnu. Quelle ne fut pas leur surprise quand ils prirent conscience d’être isolés par petits groupes n'ayant plus aucun moyen de communication à longue distance ! Après une période bien compréhensible d’abattement proche de l’apathie, ces communautés décidèrent de saisir leur avenir à pleines mains. Ce serait dur, long, mais elles sauraient reconquérir la technologie disparue, elles vaincraient à nouveau les contraintes naturelles ! Et ainsi chaque jeune nation oublia l'existence d'entités semblables de part le monde. Chacune se croyant seule, on imagine aisément leur surprise mutuelle quand deux communautés ayant ré-évolué de façon bien différente se rencontraient. On imagine tout aussi bien ce qui suivit dans la plupart des cas.
L’Éternel était ravi. La Terre était redevenue un spectacle passionnant, composé d'une infinie variété de drames sanglants et de comédies grotesques, de situations surprenantes et de tensions intrigantes. Pour en profiter de façon optimale, il chercha un point de vue idéal. L’apercevant du coin de l’œil, il prit conscience que la tour qui était encore récemment si chère aux humains, bien qu'inachevée, s'élevait à une hauteur tout à fait acceptable, même pour un dieu. Il s'en approcha, procéda à quelques subtiles modifications nécessaire à son confort, donna à l'ensemble un air un peu plus mystique, et s’installa. "Ah, si Zeus voyait ça, songea l’Éternel, il en serait mort de jalousie. Même l'Olympe à son apogée ne fut pas si noble !"
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