Publié originellement en 1952, Race et histoire de Claude Lévi-Strauss est un petit essai qui explore l'idée de progrès à travers les semblances et les différences entres les peuples humains et leurs cultures. C'est à la fois très intéressant, comme on dit, plein d'idées, et un peu désuet. Disons que l'anthropologue parle des cultures d'une façon qui manque d'ancrage physique. Pendant toute ma lecture, je me suis dit qu'il était difficile de revenir à une perspective aussi détachée des conditions matérielles et géographiques après l'impact du classique de Jared Diamond, De l'inégalité parmi les société. L'importance de ces conditions et circonstances est évoquée rapidement, mais guère plus, alors que c'est si crucial quand on parle de différences culturelles — il faut dire que l'essai de Diamond a eu un impact majeur sur moi.
J'apprécie la façon dont Claude Lévi-Strauss s'attaque à l'idée de progrès et à la façon dont la perspective moderne est tentée de reconstruire le passé sous forme d'échelle, ou d'escalier, c'est-à-dire avec des étapes qui se suivent logiquement, construisant chacune sur la précédente ; la réalité était certainement bien plus multiple, chaotique, les idées et les "progrès" fluctuants comme une braise dans la tempête, à la fois au bord de l'extinction et de l'embrasement. J’apprécie aussi la façon dont il critique l'idée que nombre de découvertes majeures (taille du silex, cuisson, poterie, etc.) auraient été dû au « hasard » ; c'est en réalité grandement sous-estimer la complexité de ces arts, et on peut imaginer des savants locaux s'escrimer pendant des années avec ces techniques et transmettant leurs idées et tentatives à d'autres, le long du temps et de l'espace. Ainsi la modernité est bâtie sur les fondations longuement fabriquées par ces humains morts depuis longtemps, et l'accumulation des connaissances civilisationnelles se perd dans les dizaines de milliers d'années. S'il y a deux types de société, les cumulatives et les stationnaires, les premières doivent leur succès à multiplicité des cultures qui s’entrechoquent et produisent des étincelles ; on en revient à l'argument géographique ici laissé de côté. « L'exclusive fatalité, l'unique tare qui puissent affliger un groupe humain et l'empêcher de réaliser pleinement sa nature, c'est d'être seul. » On a vu ailleurs comment les cultures se peuvent se bâtir arbitrairement en simple opposition les unes aux autres.
« L'humanité est constamment aux prises avec deux processus contradictoires dont l'un tend à instaurer l'unification, tandis que l'autre vise à maintenir ou à rétablir la diversification. La position de chaque époque ou de chaque culture dans le système, l'orientation selon laquelle elle s'y trouve engagée sont telles qu'un seul des deux processus lui semble avoir un sens, l'autre semblant être la négation du premier. Mais dire, comme on pourrait y être enclin, que l'humanité se défait en même temps qu'elle se fait, procéderait encore d'une vision incomplète. Car, sur deux plans et à deux niveaux opposés, il s'agit bien de deux manières différentes de se faire. »