Influencé par les innombrables adaptations de Frankenstein, j'avais en tête l'image du vieux savant fou donnant naissance à sa créature dans un château délabré au sommet d'une montagne, avec l'aide d'un orage et d'un éclair fournissant l'étincelle de vie. Or, Victor Frankenstein est un jeune homme d'une vingtaine d'années, totalement absorbé par ses études en philosophie naturelle, qui fabrique sa créature dans son appartement, en pleine ville. Et, assez logiquement, il refuse de révéler le secret de la vie, qui disparaitra avec lui. Paniqué par ce qu'il vient d'accomplir, il laisse involontairement sa créature s’échapper. Cette dernière, tout d'abord innocente, va se faire rejeter par l'humanité et tournera sa colère vers son créateur, en tuant ses proches ... Et Victor va être malheureux, très malheureux. D'ailleurs il passe une bonne partie du roman à se plaindre. Et l'on a du mal à croire qu'un homme aussi intelligent, à l'esprit vif et scientifique, fasse parfois un peu n'importe quoi, comme par exemple après avoir donnée vie à sa créature : il se barre immédiatement, la laisse se balader ... et va se coucher. Mouais.
Bon, à par ça, Frankenstein est un pur chef-d’œuvre. Mary Shelley multiplie les scènes d'une beauté renversante, pour peu qu'on soit sensible au charme du roman gothique. Jeune homme tourmenté cherchant la solitude dans une nuit orageuse, défiant les cieux de mettre fin à son malheur ; face à face dramatique entre le créateur et la créature au sommet d'une montagne ; poursuite dans le grand nord ne pouvant mener qu'à la mort ; meurtres atroces et injustes d'innocents ... La nature tient une place capitale dans le roman, c'est pour la créature le seul refuge, et pour le créateur un moyen de fuir les hommes envers qui il se sent effroyablement coupable. La nature est aussi belle qu'elle est dangereuse. Généreuse en été, il suffit que la neige tombe, que le froid s'installe, qu'une tempête se lève, pour que l'homme soit remis à sa place.
La partie du roman la plus marquante, c'est la narration de la créature, qui explique sa déchéance. Née innocente et bonne, rejetée par les hommes à cause de son aspect, elle a du apprendre seule à survivre et à maitriser le langage. Comprenant sa situation, elle fait des efforts pour se faire accepter, mais ne parvient pas à sortir de son absolue solitude. Et comment ne pas voir la culpabilité du créateur ? Il laisse sa créature innocente et solitaire dans le vaste monde, puis lui reproche ses fautes. Il aurait pu prendre soin d'elle, l'instruire, lui montrer la voie. Mais c'est une spirale destructrice qui se met en place. Et le lecteur est partagé entre la plus sincère pitié pour la créature et l'aversion envers ses crimes.
Frankenstein, c'est probablement l'un des meilleurs romans que j'ai lu. Imprégné de mythologie chrétienne, essence du roman gothique, il faut sans doute être sensible à ces aspects pour l’apprécier comme il le mérite. Son esthétique et sa profondeur sont intimement liées à une culture chrétienne tellement diluée qu'on a tendance à oublier à quel point elle influence nos idées sur les concepts de culpabilité, de responsabilité, d'innocence et de connaissance, de bien et de mal. Et plus cette culture se dilue, devenant invisible sans perdre de son importance, plus Frankenstein, écrit à une époque où ces éléments étaient plus ancrés dans le quotidien, devient important. C'est un point de vue personnel plus que contestable, mais quoi qu'il en soit, Frankenstein, c'est génial.
Dear Mountains ! My own beautiful lake ! How do you welcome your wanderer ? Your summits are clear; the sky and lake are blue and placid. Is this to prognosticate peace or to mock at my unhappiness ?
215 pages, 1818, Penguin Popular Classics