dimanche 15 décembre 2024

Expiration - Ted Chiang

Expiration - Ted Chiang

Le marchand et la porte de l'alchimiste (4/5)

Du voyage temporel dans une ambiance de conte oriental, avec récits insérés dans le récit, à l'ancienne. Évidemment, Ted Chiang n'a certainement pas su me convaincre par rapport aux paradoxes inhérents aux récits sur le voyage temporel. En revanche, c'est sûrement l'une des meilleures histoires à ce sujet qu'il m'ait été donné de lire. Tout conte a une morale, ici quelque-chose sur l'acceptation, l'impossibilité de changer les évènements, etc., franchement rien d'extraordinaire, mais la narration est une totale réussite, avec ces divers personnages qui utilisent le voyage temporel avec sagesse ou déraison, et un final simple mais touchant.

Expiration (5/5)

On croirait lire Greg Egan. Une civilisation d'humanoïdes mécaniques s'apprête à découvrir l'entropie. Tout d'abord, notre narrateur, au cours d'une scène particulièrement excellente, effectue sur lui-même une opération chirurgicale pour examiner son propre cerveau de près. Il découvre ainsi que les rouages de la pensée ne sont rien d'autre que des mouvements d'air dans un complexe assemblage de feuilles d'or, ce qui en soi est un chamboulement philosophique total. De plus, au cours de leur utilisation de l'air comme "combustible", ces humanoïdes dépressurisent l'air pressurisée qui les nourrit, contribuant ainsi à une égalisation de la pression totale de l'air, ce qui à terme empêchera les mouvements d'air qui créent leur pensée, car ces mouvements sont causés par un différentiel de pression. La parabole est efficace à plusieurs niveaux. Excellent.

Ce qu'on attend de nous (3,5/5)

Micro-fiction de quelques pages sur l'absence de libre arbitre, absence qui, une fois prouvée empiriquement, rend fou. Pas mal 

Le cycle de vie des objets logiciels (2/5)

De loin la nouvelle la plus longue du recueil et de loin la moins bonne jusque-là. Je l'ai terminée en lisant en diagonale. Il y est question des digimos (et pas des Digimons), des sortes d'IA façonnées à base d'ADN pour servir d'animaux de compagnie intelligents dans les mondes virtuels. Un petit de groupe se prend d'affection pour eux et refuse de les laisser tomber quand ils sont passés de mode. Le récit se déroule sur des années et on suit les difficultés que rencontre ce groupe qui tente de s'occuper des digimos comme s'ils étaient des petits humains. Déjà, je n'ai ressenti aucun attachement pour les personnages. Les digimos parlent constamment en mode enfantin ("moi aimer toi, moi vouloir manger"), ce qui, en plus d'être extrêmement irritant, enlève toute impression de progrès de leur part, alors que le récit se déroule sur un temps long. Quant aux humains, il n'existent qu'à travers leur relation avec les digimos, et ils m'ont fait penser à des vieux gâteux obsédés par leurs caniches. Surtout, c'est beaucoup trop long, il ne se passe rien de grand intérêt et on tourne très rapidement en rond.

La Nurse automatique brevetée de Dacey (2,5/5)

Un concept très sympa : et si, au début du vingtième siècle, on avait essayé d'élever les nourrissons avec des automates ? S'ensuit un attachement émotionnel non aux traits humains, mais aux machines. L'exécution pèche par manque de développement et d'intérêt narratif.

La vérité du fait, la vérité de l'émotion (2/5)

Sur le principe, j'apprécie ce que tente cette nouvelle, mais l'exécution est pénible. Le propos est simple : la façon donc fonctionne notre mémoire, faillible et subjective, est en tension avec les techniques que sont l'écriture et la vidéo, qui permettent théoriquement de fixer le réel. L'auteur en fait non pas une, mais deux trames parallèles, non liées, l'une située dans le passé (concernant l'écriture) et une autre dans le futur (à propos de la vidéo). C'est trop, surtout que c'est narrativement paresseux. Il y a beaucoup trop d'explications, et au lieu de sublimer l'idée dans la narration, l'auteur fait de la dissertation sentencieuse.

Le grand silence (1/5)

Quelques pages où un perroquet dit des banalités sur le paradoxe de Fermi et l'injustice de la destruction de la faune sauvage. Sans intérêt et pontifiant.

Omphalos (4,5/5)

Excellent point de départ, et cette fois bien traité. La doctrine créationniste est réelle : le monde a été créé il y a 8000 ans, et tous les faits archéologiques le prouvent. Les fossiles d'arbres ce cette époque n'ont plus de cernes en leur centre, les coquillages n'ont plus de couches de croissance, les momies n'ont pas de nombrils... La science est le plus authentique soutien rationnel de la foi. C'est très fun. Une découverte astronomique vient cependant chambouler cette foi : il se trouve que le centre de l'univers est... une autre planète. Quoi, cette Terre-là ne serait qu'un brouillon ?! Franchement, brillant. Dommage que la conclusion, où la narratrice prétend combattre l'absurde par le libre arbitre, soit narrativement et philosophiquement maladroite .

L'angoisse est le vertige de la liberté (pas fini/5)

Un peu la même idée que dans Signal to Noise d'Alastair Reynolds, nouvelle lue récemment : il existe un objet qui permet de lier deux univers parallèles et de communiquer entre eux. Cet objet est accessible au grand public et plein de gens l'achètent pour papoter avec leur version parallèle. Il est évident que c'est une mauvaise idée : c'est la version ultime de la comparaison perpétuelle à autrui, en pire. C'est très long, presque 100 pages, et la narration est assez lente et peu captivante. Comme souvent, je me suis rapidement mis à lire en diagonale, sans avoir l'impression de rien rater.

jeudi 21 novembre 2024

Biologie du sol et agriculture durable - Christian de Carné-Carnavalet

Le genre de pavé passionnant qui aurait mérité plus de travail d'édition. Je ne peux m'empêcher de penser qu'avec moitié moins de pages, on pourrait avoir exactement les mêmes informations en deux fois plus digeste. Cette construction imparfaite culmine quand on a littéralement les mêmes paragraphes copié-collés à deux endroits différents. A part ça, c'est captivant et j'ai beaucoup de notes à prendre ci-dessous. Le résumé (attendu) pour les paresseux : un max de matières organiques diversifiées épandues en surface de façon à faire un paillage permanent, et voilà, c'est la mise en pratique de toute cette théorie.

Bases sur les amendements organiques

Un mot historique sur le fumier :  pendant une bonne partie de l'Histoire, la faux n'existant pas, les céréales étaient coupées à la faucille, à hauteur de mi-cuisse. La majorité de la paille restait donc au champ, puis broutée par les bêtes de ferme avec les adventices pendant la jachère ; bestiaux qui donc fertilisaient en place avec leurs déjections. On comprend qu'épandre du fumier venu d'ailleurs est une opération très lourde sans moteur thermique, ce procédé a donc longtemps été réservé aux cultures plus denses et rentables, comme le maraichage.

Je recopie tels quelles de jolies phrases qui résument excellemment les bases de l'agronomie : « La dégradation des matières organiques fraiches livrées en pâtures aux organismes vivants dans les sols représente la phase fondamentale des possibilités de vie sur notre planète. C'est par l'ingestion, la digestion, les rejets anaux de la macro et mésofaune et par les enzymes digestives des bactéries que s'opère la mise à disposition des anions [ions négatifs] et cations [ions positifs] pour l'alimentation des plantes. [...] La solution du sol s'enrichit donc, à mesure de la décomposition des matières organiques, en composés phénoliques, acides organiques, alcools, protéines, urée et quantité d'ions ou cations divers qui vont activer les réactions purement chimiques aboutissant à l'union des particules minérales et organiques, à la constitution d'un réservoir d'éléments chimiques au sein duquel les plantes, grâce à leurs exsudats et leurs mycorhizes, vont puiser par un savant mécanisme de dosage électrique entre anions et cations, tous les éléments constitutifs de leurs tissus fleurs et graines. » 

La décomposition des matières organiques en nutriments combine plusieurs processus :

  • Transformation : attaques enzymatiques et réactions chimiques qui modifient les structures moléculaires des tissus organiques.
  • Assimilation : une partie de ces nouvelles molécules est incorporée dans les tissus des organismes décomposeurs. C'est la nutrition, qui immobilise plusieurs tonnes de minéraux par hectare.
  • Minéralisation : les molécules organiques fraiches, sous des formes simples et solubles, sont libérées dans la solution du sol. Ce sont les oligoéléments classiques. Après cette étape, 70% de la matière organique initiale est libérée.
  • Solubilisation : concerne les substances non humiques (lipides, tanins, lignines...) qui, après activité microbienne, restent sous forme de molécules non assimilables. Elles sont dégradées plus lentement par les microorganismes.
  • Humification : environ 1% du carbone apporté au sol, issu principalement de la lignine et de la cellulose, subit des transformations complexes jusqu'à acquérir une forte stabilité et former une réserve organique durable (mais elles continuent à se minéraliser lentement).

Notons aussi que les minéraux peuvent être issus de l'altération de la roche-mère par les racines des plantes dans un processus à long terme. 

La décomposition des engrais verts

Une fois les engrais verts couchés au sol, le travail de décomposition est effectué par la faune du sol, d’abord par les plus grosses bestioles, qui facilitent le travail des plus petites. « Tous ces animaux mangent, comme nous humains, pour que leurs flores bactériennes, au cours du tractus intestinal, favorisent les réactions oxydo-réductives libérant de l'énergie pour l'accomplissement des réactions métaboliques permettant leur maintient en vie et le développement cellulaire. » En même temps, les bactéries attaquent, avec un tas d'enzymes dissolvants. Pour les matières très ligneuses ou cellulosiques, ce sont les champignons qui font pénétrer leurs hyphes et libèrent des enzymes depuis l'intérieur.

« Les matières organiques ressortent ensuite des animaux, allégées des prélèvements dont ces derniers ont eu besoin pour leur survie. Disséquées en portions plus fines, ramollies par les diverses dissolutions enzymatiques, les matières organiques sont alors absorbées par des animaux plus petits et par les vers de terre et les nématodes qui n'ont pas les pièces buccales pour déchiqueter les feuilles. » Cette simplification de la matière par les organismes du sol se poursuit jusqu'à ce qu'elle retourne à un état moléculaire et ionique directement assimilable par les plantes.

La charge électrique globale des substances humiques est toujours négative ou nulle. Ces charges électriques négatives rendent les substances humiques très "compatibles" avec toutes sortes de substances nutritives et forment avec l'argile le complexe argilo-humique, qui agit, par ses charges et liens électriques, comme structurant du sol et réservoir à nutriment.

Les formes d'azote dans le sol

Difficile pour un agriculteur de se passer de sources extérieures d'azote (idéalement sous forme de matière organique), mais il existe pourtant de nombreuses sources naturelles d'azote, évoquées page 40. Je ne les mentionne pas car elles manquent un peu de détail.

Rappelons que l'azote industriel, c'est-à-dire l'engrais, stimule l'activité bactérienne ; mais ces bactéries n'ayant aucune matière organique fraiche à manger (celles qui amènent l'azote dans un cadre naturel), elles s'attaquent aux matières organiques stables, donc à l'humus, qui se dégrade.

  • Le stock de la capacité d’échange en cations : c'est l'azote maintenu dans le sol par charges électriques, issu de la décomposition des tissus organiques. C'est la majorité de l'azote absorbé par les plantes.
  • Le stock de la biomasse bactérienne : plus le sol est actif biologiquement, plus il est important. Jusqu'à 15% du poids des bactéries est fait d'azote. Elles libèrent les éléments dont elles sont constituées à leur mort.
  • Le stock de la biomasse fongique : même logique que pour les bactéries. Les champignons sont constitués à 15% d'azote. Mentionnons aussi les protozoaires, et le fait que l'azote stocké ainsi sous forme d’organismes vivants est protégé du lessivage.
  • Le stock des matières organiques végétales : elles stockent de l'azote sous diverses formes et le libèrent progressivement au fil de leur décomposition.

Le potentiel redox

Redox signifie "réduction-oxydation" et désigne les réactions chimiques impliquant un transfert d'électrons. Le potentiel redox exprime la capacité d'un système à céder ou capter des électrons. Il est exprimé en volts.
  • Réduction : un atome ou une molécule gagne des électrons.
  • Oxydation : un atome ou une molécule perd des électrons.

C'est un peu intimidant, mais l'essentiel est que cette approche agronomique moderne valide tous les acquis anciens sur l'apport de matière organique (qui sert de réservoir d'électrons) et l'aération (avec modération) des sols. Par exemple, les phénomènes de sol compacté et d'excès d'humidité peuvent se traduire en termes redox, mais les problèmes restent les mêmes : « Les réactions biochimiques de la microfaune et de la microflore pour trouver leur énergie ne se font plus en soutirant l'oxygène de l'air ambiant mais par d'autres processus qui entrainent la désagrégation des cellules vivantes au niveau des racines. » Les flux d'électrons, et les charges positives et négatives des éléments, sont donc à la base de tous les phénomènes biochimiques qui se déroulent dans le sol, même si on n'y pense guère au quotidien.

Les phénomènes redox dans le sol influencent la disponibilité des formes d'azote, forçant les plantes à dépenser de l'énergie pour maintenir leur équilibre interne (homéostasie) et celui de la rhizosphère. En réponse, les plantes adoptent une stratégie d’absorption mixte des deux formes d’azote (NH₄⁺ et NO₃⁻), en proportion variable selon l’espèce et le stade de développement. Par exemple, on observe généralement une préférence pour NH₄⁺ en début de cycle (croissance végétative) et pour NO₃⁻ en fin de cycle (fructification), en lien avec leurs rôles spécifiques dans le métabolisme végétal.

Quand les plantes absorbent des molécules contenant des nitrates, elles rejettent des protons ou des ions selon la forme et la charge des molécules absorbées. Ce n'est pas qu'une extraction, c'est un échange. Le sol est en perpétuelle modification.

Notons que les racines des plantes rejettent dans le sol entre 5 et 40% de leurs productions photosynthétiques sous forme de composés carbonés et d'acides organiques pour nourrir les bactéries, les champignons et les mycorhizes qui leur sont utiles. En termes redox, il s'agit de créer des conditions favorables à l'homéostasie des plantes, des conditions qui permettent l'absorption des nutriments.

Quels mots sur les mécanismes du sol

Les sols sont la combinaison moléculaire des produits issus de la décomposition des roches et des plantes.

Le complexe argilo-humique, où argiles et humus chargés négativement sont liés par des cations chargés positivement, est un élément capital d'un sol qui se tient. Cependant, la vie bactérienne et fongique participe aussi grandement à la structure des terres : les particules sont enlacées par des quantités phénoménales de mycélium.

Le labour est en effet efficace, car il ameublit et oxygène la terre, mais s'il est pratiqué, il doit l'être accompagné d'apports réguliers de matière organique pour compenser l'oxydation (et donc la libération des nutriments) des matières organiques stables.

Sur les 30 premiers cm d'une terre normale, on a environ 40 tonnes à l'hectare d'acides humiques, alias humus. Si on compte une disparition des humus par minéralisation naturelle de 1 tonne/an/hectare, on a un sol totalement détruit au bout de 40 ans si on ne compense par les pertes de matières organiques. Cette perte est encore accélérée par le labour. Dans la nature, des matières organiques sont bien évidemment apportées par les cycles naturels.

Deux mécanismes qui permettent l'absorption des nutriments par les plantes :

  • L'oxydation. L'oxydation est une perte d'électrons par un atome ou une molécule. Elle est souvent couplée à une réduction, où un autre élément gagne ces électrons (d'où les réactions redox). On connait six éléments qui sont oxydés par les microbes en formes oxydées possédant une ou plusieurs charges négatives et pouvant ainsi être absorbées par les plantes (azote en nitrate, phosphore en phosphate, etc.). Par exemple, l'ammonium (NH₄) peut être oxydé en nitrate (NO₃) par les bactéries nitrifiantes dans le sol. 
  • La chélation. La plupart des éléments connus sont insolubles à l'état d'oxyde et ne peuvent pas pénétrer tels quels dans les racines. Les microbes font le processus de chélation : attacher ces éléments sur des acides organiques solubles du fait de leur charge négative, acides organiques qui servent de véhicules aux nutriments pour les plantes. Les plantes stimulent activement la microflore chélatante avec leurs exsudats racinaires.

D'où vient l'azote du sol ?

Rappelons que les plantes sont composées en grande majorité d'eau. La matière sèche ne correspond qu'à 5 à 20% du poids des plantes. Cette matière sèche est composée à 45% de carbone extrait de l'atmosphère par photosynthèse. Le fameux azote correspond à 4% des matières sèches. L'azote entre dans le cycle des matières vivantes par 4 sources :

  • Par les micro-organismes du sol capables de transformer ("fixer") l'azote en ammonium puis en nitrate.
  • Avec l'aide de végétaux symbiotiques.
  • Par les éclairs pendant les orages.
  • Puis par le cycle de cet azote qui se retrouve dans les végétaux et animaux, puis qui retourne au sol, etc.

Les bactéries nitrificatrices "fixent" l'azote car, contrairement à d'autres micro-organismes, elles ne tirent pas leur énergie de l'azote qu'elles ingèrent, mais des oxydations qu'elles réalisent et du carbone. Elles laissent donc disponibles dans le sol l'azote qu'elles synthétisent.

Il existe d'ailleurs d'autres bactéries "dénitrificatrices" capables d'utiliser les nitrates comme oxydants et de les réduire en azote gazeux, le retournant à l'atmosphère.

jeudi 7 novembre 2024

Zima Blue - Alastair Reynolds

Je m'étais procuré ce Zima Blue en même temps que Galactic North, un autre recueil de nouvelles d'Alastair Reynolds. Ce dernier m'avait laissé de marbre, au point de ne pas le terminer. Je me retrouvais donc avec ce Zima Blue qui ne me donnait guère envie. Je me suis dit que j'allais lire au moins la nouvelle éponyme, la dernière du recueil, qui a très bonne réputation : si celle-ci me plaisait, je lirais les autres.

Zima Blue (4/5)

Pas mal. Zima est un artiste cyborg qui multiplie les œuvres les plus démesurées, œuvres qui tournent autour d'une couleur particulière, le bien nommé bleu Zima. Mais pourquoi cette obsession pour ce bleu ? C'est ce que Zima a essayé de comprendre, plongeant dans son passé en bonne partie oublié — rien d'étonnant pour qui, dans ce futur lointain, vit des milliers d'années sans aide-mémoire artificiel. Certes, il va découvrir pourquoi ce bleu l'attire tant. On s'en doute : c'est pour une raison fondamentalement absurde. Il n'y a pas de grand sens transcendant, pas de révélation qui vient illuminer son œuvre passé, juste la compréhension d'une simple causalité matérielle. Zima embrasse cet absurde jusqu'à renoncer à la conscience. Je ne peux pas m'empêcher de penser que cette histoire aurait été meilleure si elle avait été écrite par Greg Egan, mais ça reste une bonne histoire. Soit, je vais reprendre le recueil du début.

The Real Story (2/5)

Retour à du très soporifique. Sur Mars, une journaliste et un vieux pionnier papotent du passé. C'est à peine s'il y a une trame, ça fait surtout worldbuilding, et je me suis rapidement mis à lire en diagonale.

Beyond the Aquila Rift (2,5/5)

Une histoire de distances extrêmes et d'isolement à travers le temps et l'espace. Aussi, une histoire dérivative, que j'ai l'impression d'avoir déjà lu. Le hasard fait que le narrateur se retrouve perdu loin de l’espace humain, sans espoir de retour, et toute la nouvelle est la révélation progressive de cet horrible état de fait. C'est pas mal, malgré l'aspect familier, notamment avec le côté alien à la fin, mais j'ai été très frustré par le fait que toute la narration repose sur des mensonges successifs. Un premier mensonge au réveil du narrateur après son voyage : on lui ment sur la réalité de la situation pour ne pas le choquer. Un autre quand il prend en charge le réveil d'un autre membre de son équipage : il réveille cette personne et la replonge de force dans le coma quand elle devine la situation (et ça de nombreuses fois à la suite), apparemment pour son propre bien, pour modérer le choc, mais je trouve ça franchement horrible et ça m'a rendu les personnages antipathiques. Un troisième mensonge est levé quand la véritable réalité est révélée, je dirais que c'est le seul mensonge qui est efficace et fait sens narrativement. Et un dernier mensonge quand tout ce qui précède est effacé au profit d'une illusion, ce qui anéantit le peu de poids narratif présent. Sans compter que l'écriture médiocre me fait toujours sauter des paragraphes. 

Enola (2,5/5)

C'est en gros la même histoire que Zima Blue (une machine qui devient progressivement humaine) mais sans la dimension philosophique qui permettait à cette nouvelle-là de fonctionner. Le concept des drones guerriers soumis à une pression évolutionnaire qui privilégie la survie des plus intelligents et coopératifs est pertinent, mais trop peu élaboré.

Signal to Noise (2/5)

Des scientifiques, dont le narrateur, travaillent sur un système pour communiquer entre les univers parallèles. La femme du narrateur meurt, mais elle n'est pas morte dans l'univers parallèle avec lesquels ils sont en lien ; tout le monde a alors la super idée d'utiliser le narrateur comme premier sujet de test pour faire un échange de conscience entre les deux univers... et l'envoyer voir l'autre version de sa femme. Vraiment ? Utiliser le type qui vient d'être traumatisé et l'envoyer papoter avec sa femme tout juste morte dans son univers mais encore vivante dans l'autre ? Et tout le monde est OK avec ça ? Des scientifiques ?C'est absurde, il est absolument évident que c'est une mauvaise idée. En plus, il aurait été facile de justifier ça narrativement, en disant que seuls les gens directement affectés par des divergences entre les univers peuvent passer de l'un à l'autre : ainsi, le drame personnel aurait rajouté de la tension tout en faisant sens au lieu de donner l'impression que tout le monde est stupide. Le reste de la nouvelle est un long mélodrame assez pénible que j'ai parcouru en diagonale.

Bon, j'arrête là, après avoir lu moins de la moitié du recueil. Il va falloir que j'importe du Greg Egan non traduit pour assouvir mes besoins.

dimanche 3 novembre 2024

Abattre une haute haie de cyprès : Comment ? Pourquoi ?

Hop, juste une petite vidéo pour un retour d'expérience sur l'abattage de notre énorme haie de cyprès. Aussi, j'essaie de la remplacer par une haie diversifiée, c'est pas encore gagné !

dimanche 27 octobre 2024

Ils ont domestiqué plantes et animaux - Prélude à la civilisation - Jean Guilllaume

Ils ont domestiqué plantes et animaux - Prélude à la civilisation - Jean Guilllaume

Un gros pavé au sujet extrêmement large. D'un côté c'est incroyablement dense, bourré d'informations et d'anecdotes, mais d'un autre, ça parle de tant de choses variées (le néolithique, l'archéologie, la génétique, les animaux, toutes les plantes comestibles...) que la profondeur est parfois sacrifiée et j'ai souvent été frustré. Par exemple, pour les arbres fruitiers, chaque essence n'a même pas droit à une page, et certaines sont expédiées en quelques lignes. Ceci dit, c'est incontestablement une somme sur le sujet, rédigée par un passionné renseigné. Ci-dessous, quelques notes.

Malgré les progrès en génétique, il est parfois difficile de trouver les ancêtres sauvages de certaines plantes cultivées. Il est possible que celles-ci aient disparu, notamment par des causes humaines. Dans d'autre cas, la plante aujourd’hui cultivée descend d'une hybridation improbable, ou d'une poignée de plantes mutantes qui n'auraient pas pu se développer à l'état sauvage mais possédaient des caractéristiques intéressantes pour les humains.

L'auteur cite trois théories historiques pour expliquer la naissance de l'agriculture. Ces théories sont des idées intéressantes mais qui, à mon sens, sont globalement dépassées et ne prennent pas en compte le fait que l'agriculture est née en plusieurs endroits du globe à peu près au même moment, et des endroits aux conditions différentes. L'explication la plus crédible est : le hasard de la stabilité climatique hors-normes durant l'holocène a offert le cadre nécessaire à la forcément longue, aléatoire et souvent involontaire sélection génétique, et ce en même temps que des hasards évolutionnaires, géographiques, culturels, etc., permettaient aux humains d'en tirer profit.

Voici les trois autres théories historiques évoquées :

  • La vision de notamment Darwin, qui imaginait un progrès technique, notamment avec le feu et l'écriture. Avec cette théorie, la technique la sédentarité précèderait l'agriculture. C'est clairement une simplification face à une réalité plus complexe ; on sait que dans des environnements adaptés, la sédentarité est possible sans agriculture, notamment via la pêche. On peut aussi penser que l'agriculture a été la cause de l'écriture, car elle créait le besoin de prendre des notes sur des stocks, mais aussi car elle permettait une plus forte densité de population, propice au développement culturel.
  • La théorie qui imagine la religion à l'origine de l'agriculture : l'agriculture et la domestication auraient eu des fonctions avant tout symboliques. Je ne suis pas convaincu, sans pour autant nier le rôle de l'aspect symbolique.
  • La théorie qui voit dans l'augmentation démographique une cause du développement de l'agriculture. Encore une fois, sans nier que plus il a de population, plus il y a de progrès technique et plus il y a des pressions fortes qui s’exercent, je ne suis pas convaincu. Je vois plus le mouvement inverse : l'agriculture naissante permettant une démographie croissante, les proto-agriculteurs pouvant ainsi concurrencer avantageusement les nomades, qui eux sont bien plus limités par les conditions environnementales.

Sans s'en rendre compte, nos ancêtres sélectionnaient un nombre réduit de traits génétiques particuliers. Un exemple intéressant est celui-ci. Chez les fruits, l'hypertrophie des parties comestibles est sélectionnée : par exemple, chez la pomme, les individus ayant moins de graines et un plus gros péricarpe étaient sectionnés, le péricarpe étant l'enveloppe comestible. C'est exactement le même processus qui a été à l'œuvre avec la sélection des poules pondeuses, avec la sélection d'un gros albumen (le "blanc" d'œuf).

Un détail sur le chien : il ne serait pas vraiment descendant du loup, dont les tentatives modernes de domestication ont toutes échouées, mais plutôt du chacal ou du coyote, canidés qui ont naturellement tendance à s'approcher des lieux de vie humains pour y chercher de la nourriture.

Pour conclure, une théorie psychologique sur l'anxiété que j’apprécie beaucoup : l'anxiété serait causée par (entre autres choses bien sûr) la tension présente à niveau fondamental chez l'humain, et plus largement chez tout être vivant, entre la recherche de sécurité et la contrainte de diversité. Idéalement, on ne mange que des aliments qu'on connait bien et dont on sait qu'ils ne sont aucunement toxiques, mais en même temps, pour s'adapter à un milieu changeant, il faut bien tester de nouvelles choses... On voit comment cette idée peut s'appliquer à quasiment toutes les parties de l'existence.

samedi 19 octobre 2024

Petite présentation de la pépinière en vidéo

Désolé pour les 2,7 personnes qui fréquentent ce blog pour la littérature (estimation optimiste), mon attention globale, qui inclue l'aspect "loisirs", a tendance à être retenue ailleurs ces temps-ci. Donc, une brève présentation de la pépinière en vidéo. Je suis content de la luminosité !

mercredi 16 octobre 2024

Engrais vert et fertilité des sols - Joseph Pousset

Un gros bouquin assez technique. J'ai beaucoup aimé les 100 premières pages, qui traitent surtout d'agronomie à la fois générale et appliquée aux engrais verts. Par la suite, il y a quelques répétitions et ça devient un peu plus destiné aux productions sur grande culture, j'ai donc lu en sautant quelques pages. Globalement, très bon bouquin, très dense, riche en pistes et en idées. Ci-dessous, quelques notes.

Rappels sur la composition (approximative évidemment) des plantes.

  • Eau 80 %
  • Matière sèche 20 %, dont 18 % de carbone, oxygène, hydrogène, qui sont "gratuits", et 2 % d'azote, phosphore et autre nutriments en partie "gratuits" car naturellement présents.

L'idée, c'est que l'immense majorité de ce dont à besoin la plante est naturellement présent dans son environnement, et que la petite partie fournie par les amendements et engrais pourrait l'être également.

  • L'eau étant elle aussi composée d'hydrogène et d'oxygène, le trio hydrogène oxygène carbone représente 98 % du poids de la plante.
  • Viennent ensuite les éléments majeurs (azote, phosphore, calcium, potassium, souffre, magnésium) qui représentent 1,88 % du poids de la plante verte. 
  • Puis les éléments mineurs (chlore, sodium, silicium, fer, etc.) qui occupent 0,12 % du poids de la plante verte. Dans des terres équilibrées et fertiles, ils peuvent être fournis naturellement par le sol.

Des fixations d'azote moins connues

On connait la fixation d'azote symbiotique (via les légumineuses notamment) mais il y a aussi une fixation d'azote non symbiotique, beaucoup moins connue. Elle est le fait de micro-organismes libres comme les azotobacters qui vivent dans les couches très aérées du sol ou les clostridium, qui vivent dans des couches moins aérées. Ces fixateurs libres, non liés à des plantes, ont besoin de nourriture sous forme de matière organique. Il existe donc une fixation d"azote naturelle à la surface du sol, qui pourrait expliquer pourquoi la si redoutée "faim d'azote" n'est pas si fréquente en présence d'un mulch très carboné laissé en surface sur une terre vivante.

L’auteur mentionne aussi « la fixation de l’azote de l’air par la cellulose » : en gros, les feuilles des arbres « fixerait » de l’azote capté dans l’air qui serait ensuite lessivé par les pluies et irait donc au sol. J’ai trouvé cette information aussi intéressante qu’étonnante, et en essayant d’en apprendre plus, j’ai eu du mal à trouver d’autres sources. Il me semble que le terme « dépôt atmosphérique » est plus employé, notamment le « dépôt sec » (opposé au « dépôt humide » qui arrive via la pluie), permis par la large surface offerte par les feuilles, les caractéristiques de la cellulose, et les bactéries qui vivent sur ces feuilles.

Les produits transitoires

Les produits transitoires sont le résultat de décomposition de tous les produits organiques laissés en surface, mais aussi de décomposition des organismes vivants qui se nourrissent de la matière organique, notamment les bactéries. Ils sont une forme transitoire entre les matières organiques fraiches et l'humus : ils subsistent peu de temps. Tous ces composés représentent une masse importante et variée d'éléments nutritifs pour les plantes. S'ils sont libérés quand le sol est nu, ils risquent d'être perdus par lixiviation ou "évaporation".

Dans un sol sans produits transitoires, les plantes doivent trouver leur nutrition dans le stock du sol. Il se trouve que la libération des produits transitoire cause, et est causée par, la vie du sol. Ils comportent aussi des substances particulières (hormones, vitamines) qui sont utiles aux plantes et peu trouvables ailleurs. On comprend dont l'intérêt de maintenir un stock permanent de produits transitoires, notamment sous forme de paillage permanent et équilibré.

L'humification est une véritable construction de molécules nouvelles et de plus en plus complexes. C'est un phénomène de polymérisation, de formation de grosses molécules par assemblage de plus petites. La formation de l'humus est plus ou moins facile en fonction de la teneur du terrain en argile. Les composés humiques sont moins polymérisés et moins stables en milieu sableux.

Les capacités des racines

La colossale masse de racines des plantes, en particulier des arbres, a un fort rôle drainant. Et dans le cadre des engrais verts : la racine peut jouer le rôle d'accumulateur de réserves nutritives. Plus encore, elle modifie son environnement : c'est la rhizosphère. Les racines diffusent ainsi dans le sol des exsudats racinaires, composés d'une grande variété de glucides, d'acides organiques, de protéines, d'enzymes, etc. Les racines les plus jeunes seraient plus actives sur ce plan que les plus âgées.

La plante, en modulant ses exsudats racinaires, peut dans une certaine mesure contrôler la composition de la rhizosphère pour la faire tendre vers ses propres besoins. Par exemple, les spores des champignons mycorhiziens germent au contact des racines, quand les conditions adéquates pour eux sont réunies... par la présence et l'action des racines.

Les caractères allélopathiques d'une plante donne une idée de ses relations avec les autres végétaux, relations probablement déterminées en partie exsudats racinaires. Ces caractères sont extrêmement complexes et encore très mal connus. Par exemple, la folle avoine a un fort effet inhibiteur envers le blé, et le liseron des champs inhibe fortement la germination et la croissance du maïs.

Engrais verts et structure du sol

Les éléments colloïdaux sont des particules qui, dans un liquide donné, ne se dissolvent pas (contrairement au sucre par exemple) et restent cohérents. Ils restent en suspension et forment une solution colloïdale (comme la gélatine). Comme ils sont porteurs de charges électriques, ils se repoussent mutuellement et égalisent leur densité dans la solution. Cette solution colloïdale peut floculer, c'est-à-dire "couler au fond" sous l'action de certaines substances qui viennent perturber cet équilibre électrique.

Dans le sol sont présents deux colloïdes essentiels : l'humus et l'argile. Ils forment tous deux une solution colloïdale, donc stable, avec l'eau. Quand cette solution colloïdale d'argile et d'humus flocule, on obtient le complexe-argilo-humique.

C'est la microstructure. La macrostructure, elle, dépend essentiellement de l'activité biologique présente dans la terre, qui aère le sol, le rend poreux et perméable. Il est important que la structure permettent la pénétration et la circulation de l'air dans le sol. Les sols les plus fertiles ont tendance à présenter une structure grumeleuse, car c'est dans ce type de structure que les organismes aérobies s'alimentent le plus aisément en air et en eau.

Dans le cadre d'un engrais vert qu'on détruit, la décomposition des racines est plus lente que celle des parties aérienne : elle prend le relai et assure une libération plus longue de produits transitoire.

L'époque de destruction de l'engrais vert est importante : jeune, il est plus fermentescible et libère ses produits transitoires rapidement, plus âgé, et donc plus lignifié, il se dégradera plus lentement. Pour éviter toute perte, de la végétation doit être présente pour récupérer les nutriments ainsi libérés.

Un petit mot "contre" le travail du sol. Quand les engrais verts sont simplement coupés et laissés sur place en mulch, la décomposition des racines va pouvoir se faire progressivement en partant du haut des racines : micro-organismes, eau et oxygène pourront suivre naturellement les racines. En revanche, si la couche supérieure du sol est travaillée mécaniquement, les parties inférieures des racines vont être plus "enterrées" et risquent plus d'être placée en conditions anaérobies.

Quelques points essentiels

  • Suppression des gaspillages (oxydation de l'humus par travail du sol, pertes et lessivages par sol laissé nu, engrais verts incorporés en conditions anaérobies, etc.)
  • Mobilisation des réserves aux moments adéquats de croissance des cultures
  • Rotation aussi continue et permanente que possible

A noter que les terrains acides mais sains s'amélioreraient d'eux-mêmes en présence de paillage organique prolongé, car la vie microbienne aérobie s'efforcerait toujours de créer un habitat qui lui est propice et notamment de ramener le pH vers la neutralité.

A noter que le livre se conclue notamment sur des pistes pour utiliser les adventices comme engrais verts, et même d'utiliser exclusivement les plantes spontanées comme amendement. Pas à la portée de toutes les plantes (courges notamment) et certainement pas faisable de façon réaliste dans la plupart des cas, mais j'apprécie l'exploration.