jeudi 30 avril 2020
Grendel - John Gardner
Grendel (1971) de John Gardner est une sorte de réécriture de Beowulf, vieux poème anglais considéré comme un classique parmi les classiques. N'ayant pas lu Beowulf, je ne suis pas en mesure de juger Grendel par rapport à son mentor. Peut-être que si j'avais pu saisir je ne sais quelles subtiles allusions, j'aurais pu plus l’apprécier. Grendel, c'est le méchant de l'histoire, le vilain monstre mangeur d'hommes, et ce petit roman est écrit de son point de vue : du début à la fin, il s'agit du monologue intérieur de Grendel. C'est un monstre puissant, terrifiant, presque invincible, mais surtout un monstre triste et solitaire. N'ayant personne de son espèce avec qui partager sa vie, si ce n'est sa vieille mère qui a depuis longtemps oublié tout langage, il a besoin des humains pour se sentir exister, pour avoir d'autres créatures conscientes comme points de référence. Ainsi il passe l'essentiel de son temps à observer le royaume voisin et, à l'occasion, il fait irruption dans la salle du trône pour dévorer quelques barons. Finalement, on passe presque autant de temps avec le roi, sa reine et ses champions qu'avec Grendel. D'ailleurs, narrativement, c'est assez étrange : on a l'impression que Grendel est omniscient tant il disserte avec moult détails sur les tribulations humaines. On obtient une sorte de chronique de royaume, qui m'a vaguement fait penser à Kalpa Impérial d'Angélica Gorodischer ou Des milliards de tapis de cheveux d'Andreas Eschbach.
John Gardner parvient à trouver le ton juste avec son Grendel : le monstre n'est clairement pas aimable, il mange un peu trop d'humains pour ça, mais le lecteur a le temps de comprendre sa détresse psychologique, sa solitude, et les tragiques limites de son libre arbitre. C'est un monstre, il mange des humains, c'est ainsi, il n'y peut rien. Et après tout, s'il se définit par rapport aux humains, eux se définissent par rapport à lui, il leur offre une altérité, un obstacle contre lequel lutter. C'est sur le plan de la construction que Grendel ne convainc pas. Les passages narratifs sont souvent réussis, j'ai particulièrement aimé celui qui oppose Grendel à un guerrier fier mais trop faible pour vaincre : Grendel se prend d'une sorte d'affection pour son absurde courage et ses prétentions à l’héroïsme, et décide de le laisser vivre. Tout le roman est parsemé de ce genre de relations ambivalentes entre Grendel et certains humains qui éveillent en lui des sentiments complexes et contradictoires, jusqu'à l'arrivée de celui que je suppose être Beowulf (il n'est pas nommé) dont la froide surpuissance est habilement rendue.
Malgré ses qualités, Grendel a globalement l'air, disons... prétentieux. Je suppose que John Gardner essaie de disserter sur la condition humaine, mais souvent ses tentatives, sans être vraiment mauvaises, tombent un peu à plat, la faute notamment à une forme qui sans doute se veut recherchée mais fait surtout soupirer. Parfois, surtout vers la fin, l'auteur passe aux vers, le monologue intérieur devient haché, confus, difficile à suivre, sans offrir de compensation en échange de ces obstacles arbitraires. On a juste l'impression que Gardner s’efforce de faire du style au détriment d'une narration efficace. Et la fin m'a littéralement surprise par son manque d'ampleur : il y a dans cette édition une postface, alors je n'ai pas vu venir les dernières pages du roman lui-même, et cette conclusion abrupte n'est guère satisfaisante. Au final, j'ai envie d'aimer Grendel, sombre aperçu de l'existence vue par un œil monstrueux, l’œil d'une créature de Frankenstein livrée à elle-même, mais je ne peux pas m'y résoudre tant le ton m'a semblé s'écarter trop souvent de l'essentiel pour aller vers l’esbroufe.
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