mardi 28 avril 2020
Lazarus - Leonid Andreïev
Je n'ai appris qu'après l'avoir lue que la nouvelle Lazarus (1906) de Leonid Andreïev aurait été publiée dans Weird Tales, le magazine pulp américain dont on se souvient surtout grâce à Lovecraft. D'ailleurs, Lovecraft aurait lu et apprécié Leonid Andreïev. Quoi qu'il en soit, Lazarus est un petit chef-d’œuvre. Lazare revient d'entre les morts, mais pas la moindre trace d'une divinité chrétienne dans ce texte, ni de quelque autre divinité d'ailleurs. Lazare est de retour, et il a changé : toute la joie qui était en lui s'est envolée, il est devenu taciturne et contemplatif. Il refuse de raconter ce qu'il a vécu, mais il a ramené avec lui un savoir qu'il partage grâce à son regard. Avec ses yeux, il dévore la vie autour de lui, tel un trou noir, il absorbe définitivement la lumière et la vie. Alors il devient un anachorète du désert, un être quasi mythique que des curieux viennent voir, avant de revenir changés pour toujours, ou tout simplement de se laisser mourir. L’empereur Auguste s'intéresse à lui, voilà donc Lazare transporté à Rome, et tel Jésus il laisse sur son passage un profond sillage, mais un sillage noir ; il n'apporte pas la parole divine mais le silence éternel. Son face-à-face avec Auguste évoque celui entre Jésus et Pilate ; Auguste, partisan de la vie, parvient difficilement à résister à l'assaut entropique du regard de Lazare.
On ne saura jamais ce que Lazare a découvert, et c'est tant mieux : s'il est impossible de décrire le néant, il est possible d'explorer son effet sur ceux qui l'entrevoient. Cette nouvelle est brillante de bout en bout, à la fois complexe, lyrique, exigeante, frappante et débordante d'une richesse intemporelle. Elle aurait pu être écrite aujourd'hui ou sans doute dans cent ans. Si les pleurnicheries surécrites d'un Cioran me font rapidement soupirer d'ennui, si les explorations nihilistes de modernes comme Eugene Thacker, Matt Cardin ou Thomas Ligotti sont loin de toujours me faire acquiescer, j'approuve pleinement la vision magnifiquement aiguisée de Leonid Andreïev. C'est le mystère implacable de la mort qui, non pas sous une forme divine, spectrale ou monstrueuse, mais sous les traits d'un homme, vient littéralement jeter un froid dans les réjouissances et l'insouciance des vivants. Mais qui sait : l'expérience du contraste n'est pas sans valeur.
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