samedi 18 janvier 2020

Kallocaine - Karin Boye

Kallocaine - Karin Boye

J'ai lu beaucoup de dystopies. Du coup, l'histoire de l'individu qui se dresse contre une société totalitaire et collectiviste, je l'ai déjà lue un certain nombre de fois. Et Kallocaine (1940) de Karin Boye (qui est suédoise) ne fait rien pour sortir du lot, au contraire. La société décrite est classique : c'est un communisme extrême, dans lequel l'individu n'est qu'un rouage au service de l'état, mais il n'y a pas de particularité marquante. La touche d'originalité, c'est la kallocaïne : une substance inventée par le narrateur qui fait office de sérum de vérité. Ceux à qui on l'injecte se mettent à déblatérer sur leur insatisfaction profonde qui est refoulée au quotidien. Ce sont ces passages qui viennent mettre un peu de piment dans le récit : quand des êtres oppressés se retrouvent libres de s'exprimer avec sincérité pour la première fois. Puis les effets de la substance disparaissent et, confus, coupables, ils reviennent sur leur paroles. Ou ils les assument.

Mais à par ça, vraiment, je peine à trouver quoi que ce soit de clairement discernable dans cette trame. Le narrateur est un bon citoyen et ce n'est qu'à la toute fin du livre qu'il prend conscience de ses désirs d'individualité refoulés. Mais il n'a pas le temps de faire quoi que ce soit : paf, l'histoire est terminée. Vraiment : on pourrait imaginer plein de choses, par exemple que la kallocaïne, dont les législateurs décident de répandre l'usage, cause la chute de l'état ou du moins révèle ses failles en mettant à jour à grande échelle l'insatisfaction intime des individus. Ou encore que le narrateur tente de se révolter, mais se fasse prendre avant de devoir subir lui-même une injection de kallocaïne, qui lui donnerait l'occasion d'être enfin au clair avec lui-même et de périr en paix. Mais non : à la fin, le narrateur prend conscience de son désir d'individualité et soudain, sa ville est envahie et il se fait capturer par un état ennemi. Quoi ? Mais ça ne résout rien. Et sa relation avec sa femme, le sort de l'homme qu'il a dénoncé, ses pulsions de révolte, le destin de la kallocaïne ? Au placard.

Cette fin est symptomatique de tout le roman : malgré une écriture élégante, il n'y a guère de flamme narrative. Des enjeux faibles et flous, un protagoniste souvent antipathique, des personnages secondaires qui ne dépassent guère l'état d’ébauche et une progression artificielle. Par exemple, dans les dystopies, la confrontation avec une autorité suprême est souvent un point culminant et l'occasion de révélations (Le Meilleur des mondes en est un exemple canonique). Mais pas dans Kallocaine : quand le narrateur se retrouve face à des équivalents de ministres, il ne se passe rien de particulier et on n'apprend rien de neuf sur l'état. Bref, il est difficile d'extraire de ce roman quoi que ce soit de plus que le classique "le collectivisme c'est pas bien". Ah, signalons tout de même l'idée d'un équivalent des télécrans 9 ans avant 1984 . Il a des bouquins antérieurs qui, bien que pas forcément aussi lisibles, conservent plus de piquant : Lord of the World (1907), Meccania (1918), Nous (1920), Anthem (1938) et bien sûr Le Meilleur des mondes (1932).

2 commentaires:

  1. J'ai l'impression d'avoir été bien moins critique que toi. Même si j'entends les défauts que tu soulignes, j'ai aimé ce livre, en particulier pour le concept du "Service des sacrifices volontaires".

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    1. Oui, j'ai lu ton avis après avoir terminé mon petit compte-rendu, et tu y as trouvé plus de choses à apprécier en effet.

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