samedi 5 novembre 2022

Würm : Terres ancestrales

Würm : Terres ancestrales

Un supplément de 120 pages pour Würm, le jeu de rôle préhistorique. On passe à du plus long format que le bref Livret d'aventures. Il est divisé en deux parties de tailles égales : la description d'un cadre de jeu qui donne son nom au volume, les Terres ancestrales, et un assez long scénario qui y prend place.

1. LES TERRES ANCESTRALES

Clairement, ce n'est pas ce qu'il y a de plus excitant dans le volume. Les Terres ancestrales se déploient sur les deux tiers sud de la France d'il y a 40 000 ans, et il est indéniable que c'est grisant d'explorer cette version passée d'un territoire que, en tant que lecteur, on connait bien. On s'amuse à reconnaitre la géographie, à identifier les changements... Le texte commence par décrire la région, puis les diverses tribus et les nombreux clans qui les composent, et enfin en on apprend plus sur les croyances locales. Ce n'est pas désagréable à lire, mais, inévitablement, il s'agit d'une longue liste. Pour moi, tout ça ne vaut pas grand-chose hors scénario, mais je ne peux pas me plaindre : le scenario est bien là, et de plus, il me semble que les trois recueils de scénarios suivants prennent aussi place dans les Terres ancestrales. Dans ces conditions, il est parfaitement justifié de prendre un peu de temps et d'espace pour poser le cadre, d'autant plus qu'il n'y a pas de remplissage.

2. SCENARIO : LE CHANT DU CYGNE NOIR

Première partie : Le cygne noir et le levant (4/5)

On plonge rapidement dans une intrigue à plus grande échelle que ce qu'offraient les scénarios courts lus précédemment. Les PJ sont membres du clan du Cygne Noir, un clan sur le déclin, subordonné à une tribu plus puissante qui utilise son ascendant pour régulièrement, et en toute "légalité", prélever des jeunes femmes. Or, les jeunes femmes de quinze ans ont parfois des amours qui ne font pas les affaires des décideurs... Classique, mais bon point de départ pour plonger dans des intrigues tribales où le bain de sang n'est jamais loin. Les PJ sont devoir déjouer un complot et apaiser le sang chaud de certains : ça fonctionne bien, il y a une vraie impression de larges enjeux tout en gardant des objectifs assez clairs pour les PJ. J’apprécie aussi ce contexte de vaste rencontre annuelle inter-tribale où les PJ vont devoir faire preuve d'éloquence pour défendre les intérêts de leur clan.

Mon seul regret concerne ce que j'ai perçu, peut être à tort, comme une incohérence chronologique : quand, après une aventure un peu plus loin, les PJ reviennent au rassemblement et trouvent amassées là les forces guerrières de tout un tas de clans. Pourtant, les PJ n'avaient qu'un jour de retard maximum sur le clan qui semble être à l'origine de l'action qui a déclenché les hostilités. Il manque peut-être une simple phrase pour clarifier la chronologie, mais j'ai été étonné que ces clans, qui vivent à des centaines de kilomètres les uns des autres, aient eu le temps de se coordonner et se retrouvent là si rapidement. A part ce détail, c'est vraiment chouette.

Deuxième partie : Le cygne noir et le couchant (2/5)

Ce second chapitre me semble en bonne partie injouable. Ça ne commence pas mal : à peu près un an plus tard, le clan du Cygne est toujours dans la mouise et envoie des émissaires chercher des alliances. Les PJ vont se diriger vers la côte, à la recherche du clan de la Loutre. Ce sera au MJ d'étoffer le voyage initial, à travers un étang brumeux et des marécages hostiles : il y a de quoi utiliser les ressources du livre de base pour créer des péripéties sympas. Par contre, un petit plan détaillé aurait été bienvenue, car si on peut aisément se faire une idée grâce à la carte générale des Terres ancestrales, c'est franchement impossible à suivre dans le texte : les PJ vont "vers le Couchant", puis, deux paragraphes plus loin, ils vont "toujours vers le Levant".

Le clan de la Loutre est lui aussi dans une alliance précaire avec une tribu plus puissante. C'est un agréable changement de contexte : un grand campement de pêcheurs où on dépèce des cachalots sur la plage, avec quelques intrigues. Par contre, l'essentiel des évènements va se dérouler en mer, et c'est problématique. Tout d'abord, l'initiation, indispensable pour que les PJ puissent participer à la pêche à la baleine et ramener de la bidoche à leur clan. Cette page du livre m'a laissé pantois. Les PJ doivent parcourir une bonne distance à la nage, et ils sont supposés accumuler "100 points de nage", voire 200, pour y parvenir. Or, un jet de dé moyen donne 7 points de nage. Donc il faudrait jeter les dés 15 fois, voire 30 fois, pour chaque personnage. Et c'est sans compter les autres jets de dé, notamment pour l'essoufflement. Tout ça pour une petite session de nage. Cette quantité de jets de dé à la suite me semble d'un ennui inconcevable, d'autant plus qu'il n'y a  aucune décision que les PJ puissent prendre. C'est juste : tu nages bien, ou tu nages mal.

Ensuite, les PJ partent à la pêche. Problème : ils n'ont aucun contrôle. Déjà, passer plusieurs jours dans une pirogue, où les options sont plus que limitées, est intrinsèquement délicat à faire jouer, alors d'autant plus quand ce sont des PNJ qui ont l'autorité et les compétences. Je ne vois pas trop ce que les PJ peuvent faire à part lancer mollement quelques dés et subir les évènements qui, de toutes façons, sont totalement déterminés à l'avance. Même un éventuel succès à la chasse n'a aucun poids puisque la proie sera de toutes façons perdue.

Troisième partie : Le cygne noir et l'ombre (3/5)

Ça ne commence pas fort : les PJ et les autres survivants s'échouent plus au nord et sont recueillis par une famille de néandertaliens dégénérés. En plus d'être épuisés par leurs déboires maritimes, les PJ sont en plus drogués par leurs hôtes, histoire de s'assurer qu'ils restent bien passifs. Non, non, déjà que ce chapitre est très linéaire, priver les PJ de la moindre marge de manœuvre serait une mauvaise idée. De toutes façons, si je devais faire jouer cette aventure, je modifierais beaucoup la partie précédente, donc voici comment j'introduirais tout ça, à vue de nez. Les PJ ne participeraient pas à la pêche : ils ne sont pas du clan des pêcheurs et ils n'ont pas d'expérience. En revanche, ils assisteraient de loin à la perte de l'expédition et, pour assurer la réputation de leur clan, ils seraient amenés à proposer leur aide pendant que d'autres pêcheurs iraient faire des recherches maritimes (vaines). Guidés par un allié membre du clan de la loutre qui, par son expérience maritime, aurait identifié la direction de la dérive probable des marins perdus, le groupe s'élancerait vers le nord, le long de la côte, potentiellement en pirogue. Après un voyage éventuellement épicé de petites péripéties, ils finiraient par trouver le lieu du naufrage, et leurs talents de pisteurs les guideraient vers la hutte des ravisseurs néandertaliens. Là, les naufragés ne seraient pas en état physique de fuir, et les PJ auraient tout intérêt à essayer de faire ami-ami avec la famille incestueuse... Dans cette version, les PJ restent maitres de leurs mouvements et actions.

Bref, cette famille néandertalienne pourrait être très sympa à jouer : tous un peu fous, lubriques et dépravés sans pour autant être intrinsèquement mauvais, victimes de leurs conditions de vie impossibles, avec le costaud de la bande qui brandit une énorme corne de rhinocéros comme arme. Pour s'attirer les faveurs de la famille, et s'ils n'ont pas la mauvaise idée de jouer la violence, les PJ vont devoir aller chercher la corne du rhinocéros totem de la famille : ils attribuent leurs malheurs à sa disparition et ils veulent faire une cérémonie pour le réincarner. Encore une fois, de la superstition sans doute sympa à jouer. Les PJ partent donc à l'aventure en milieu hostile, accompagnés d'un ado néandertalien simplet comme guide, et c'est assez linéaire. Il y a même une scène de rêve, où le MJ est supposé faire vivre des trucs bizarres à ses joueurs et dire ensuite que eh non, c'était un rêve en fait ! Il me semble que c'est une très mauvaise idée quand les joueurs sont déjà sur des rails ; pas la peine de le leur rappeler avec ce poncif.

Ensuite, combat contre une chamane des neiges et ses lionnes, la corne est trouvée, et retour à la hutte où la cérémonie peut être réalisée et les blessés soignés. Cette histoire de chamane sert en fait à introduire le volume de scénarios suivant, où je redoute qu'il soit question d'un grand méchant surnaturel qui ne manquera pas de me déplaire. Pour l'instant, il est possible de faire jouer ça de façon vraisemblable : la chamane se serait façonné une image mystique pour gagner en influence auprès des clans qu'elle veut contrôler. Ensuite, avec le retour des naufragés sauvés, le clan du cygne s'est, pour le moment du moins, trouvé des alliés — et une source de chair de baleine. En attendant la suite dans le prochain volume, La Grâce du cygne.

Bilan en demi-teinte donc, mais avec les modifications évoquées, je pourrais faire jouer ce scénario d'une façon qui me convienne. On y trouve de bonnes bases.

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