Je continue à lire dans l'ordre la gamme du jeu de rôle préhistorique Würm. Après le livre de base, le livret d'aventures et les Terres ancestrales, voici La grâce du cygne, dont les scénarios font suite à ceux des Terres ancestrales.
Comme je m'y attendais, j'ai été assez exaspéré par cette série de scénarios. D'accord, la couverture vendait la mèche, mais de toute la gamme des publications Würm, c'est la seule qui affiche ainsi le goût du jeu pour le surnaturel. L’imagerie de Würm évoque par ailleurs un univers préhistorique esthétisé mais relativement réaliste, et je ne dois pas être le seul à m'étonner de tomber ainsi sur de la pure fantasy, et pas de la fantasy particulièrement bonne. Il y a un méchant surnaturel typique et assez flou, un esprit de la glace, qui lève une armée de monstres et attaque le monde libre... En fait, ça évoque complètement le méchant inepte de Games of Throne, l'espèce de roi de la glace pour lequel aucune résolution satisfaisante n'est offerte. Ceci dit, il y a du bon dans ce recueil, mais il faut le trouver là où la fantasy n'est pas : quand on s'intéresse à la vie préhistorique et aux tensions entre clans, là, ça parvient à toucher juste. Et surtout, c'est 1000 fois plus original que de taper du monstre de fantasy, chose qu'on peut faire dans une infinité d'autres jeux si on en a l'envie. Je vois là une sacrée occasion manquée d'évoquer une période de refroidissement climatique d'une façon plus réaliste, avec des migrations forcées de tribus nordiques et les problèmes qui suivraient.
Scénario 1 : Quand dérive la banquise (4/5)
Ah, c'est pour ça que j'ai signé ! Les PJ reviennent voir le clan de la Loutre et la tribu les Longues Vagues pour la grande chasse automnale. Cette fois, ils vont se retrouver face à face avec des bestioles qui leur sont complètement inconnues : des morses, nouvellement arrivés sur des bouts de banquise, car le climat se refroidit. Il va falloir arracher l'honneur d'être les premiers à chasser ces gros machins, sans oublier d'effectuer un petit rituel pour se faire accepter par l'esprit des morses. C'est extrêmement simple tout en étant exactement ce que je recherchais dans Würm : des grands moments de la vie préhistorique quotidienne, épicés d'une exploration des croyances de l'époque. C'est en plus l'occasion de retrouver des personnages rencontrés précédemment. Dommage qu'à la fin, ce qui est appelé "Acte 2" ne soit en fait qu'un évènement narratif que le MJ pourra raconter en cinq minutes, les PJ n'ayant pas grand-chose d'autre à faire que poser quelques questions.
Scénario 2 : Le secret de la Vipère (2/5)
Celui-là, je ne me vois pas le faire jouer. Motivation comme résolution sont terriblement artificielles : une "malédiction" frappe les personnages, alors ils doivent aller voir quelqu'un qui sait lever la malédiction. Et voilà, fini. Difficile de faire plus convenu comme trame. C'est d'autant plus problématique que les effets de la malédiction sont visibles sur les enfants des PJ. Donc, il faut que les PJ aient des enfants, et il faut même que plusieurs PJ aient des enfants d'un âge similaire pour justifier un voyage hivernal très dangereux à une époque où une importante mortalité infantile est parfaitement normale. Notons aussi que la chamane qui peut miraculeusement lever la malédiction (au cours d'une scène de transe où les PJ sont purs spectateurs) fait partie du peuple des humain-bison, ce qui rajoute un élément de pure fantasy à une trame qui est déjà de la pure fantasy — mais je ne tiens pas rigueur à ce détail, car on peut aisément faire des humains-bisons une simple communauté de chaman reclus ou ce qu'on veut d'autre. Restent un voyage en pirogue le long d'un grand fleuve et la prise de contact délicate avec le clan de la Vipère, petite aventure potentiellement sympathique mais qui nécessiterait des motivations plus intéressantes.
Scénario 3 : Une île dans la brume (—/5)
C'est là que le recueil m'a définitivement perdu. Au début, les PJ sont restés presque seuls au campement avec les enfants pendant que les femmes sont parties faire un rituel sur l'île aux cygnes et que les hommes sont à la chasse. Soudain, le clan du Corbeau arrive : fatigués, affamés, ils sont clairement en fuite et cherchent à s'approprier les ressources du clan du Cygne. Il va y avoir des tensions, de la violence, que les PJ vont devoir essayer de contenir... ou pas. Une situation très sombre, mais intéressante. Problème : au lieu d'expliquer aux PJ ce qu'ils fuient (c'est-à-dire le grand méchant surnaturel), les membres du clan du Corbeau gardent le silence et ne disent strictement rien. Pourquoi ? Parce que ça arrange l'auteur de garder le mystère, tout simplement, et tant pis pour la logique. C'est un poncif désagréable : pour que le reste de l'histoire puisse se dérouler, les personnages ne communiquent pas alors qu'ils le devraient. Mais c'est un détail aisément arrangeable.
Le pire est à venir : on passe 100% dans de la fantasy. Il n'y a plus rien à faire pour la contourner. J'espérais pouvoir adapter la menace surnaturelle en utilisant des clans poussés à bout par le changement climatique et forcés à émigrer vers le sud, mais non, c'est juste une méchante entité à la Sauron qui utilise des "malédictions" et la "corruption", etc. Les PJ sont censés affronter un géant du givre invoqué en torturant l'âme de leurs femmes. Je ne ferai pas jouer ça, mais lisons la suite.
Scénario 4 : L'alliance du lac (—/5)
Les PJ tombent sur les survivants des divers clans qui ont dû faire face aux forces du Dévoreur. Ils se retrouvent donc membres d'une rébellion face aux forces du mal. S'ensuivent une alliance avec un esprit marin, accompagnée de longues visions où les PJ n'ont rien d'autre à faire qu'écouter le MJ, et une grosse bataille scriptée contre les méchants monstres.
Scénario 5 : A la recherche des Totems perdus (3/5)
Ah, c'est tout de suite plus intéressant quand on laisse tomber les armées de monstres pour se pencher à nouveau sur les intrigues inter-claniques ! Ce scénario est optionnel et sera sauté si les PJ veulent se jeter rapidement sur les forces du seigneur du mal. Sinon, ils prennent le temps de s'intéresser au sort des survivants de leur clan, probablement réfugiés auprès du clan de la Lune d'Ivoire, qui ne rendra pas comme ça des bouches qu'il lui a fallu nourrir. Les PJ peuvent s'enfuir avec les leurs, ou accepter une typique mission en échange : aller récupérer une femme capturée par un autre clan. Cette seconde option est de loin la plus sensée, et ce sera l'occasion de quelques palabres et de rencontrer des néandertaliens égarés. C'est à la fois assez linéaire et un peu fourre-tout, à cause de la nécessité de boucler les choses avant le combat final, mais la petite trame centrale fonctionne bien.
Scénario 6 : Le chant du Dévoreur (—/5)
Une conclusion totalement linaire où les PJ n'auront aucune marge de manœuvre, avec énorme combat contre les vils monstres en prime. Un PJ, choisi par le MJ, se voit même condamné à ne pas participer au combat : non, il doit se transformer en cygne (!) pour aller dépuceler la méchante (!!!), hôte de l'esprit du Dévoreur, qui n’était méchante que parce qu'elle était frustrée sexuellement. Pendant ce temps, ce joueur est invité à "rester autour de la table du jeu pour écouter la fin de cette histoire ou incarner un PNJ".
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