Kandinsky - Black Relationship - 1924 |
Les quatre qui suivent : nuit du 17 au 18 juillet 2017
Somnolence
Le bus s’éloigne du pays
Où il y a quelques semaines
Enthousiaste je suis parti
Errer d’une façon que j’aime
Ma rude nuit est aussi blanche
Que la peau des filles qui trônent
Dans mes rêveries belles et franches
Couvrant mon ennui d’un doux baume
Ces créatures d’idéal
Comme soumises à un noir pacte
Se plient à mes désirs bancals
Avec la grâce de jeunes chattes
Un bruit me tire de mon rêve
Et tout d’un coup le beau s’enfuit :
Les seins blancs que rêvait ma sève
S’évanouissent dans la nuit
Le sommeil de l’ami
Le sommeil de l’ami
Se fait consolation
Quand face à l’insomnie
Mes yeux restent tout ronds.
Lui dort paisiblement
Mes cernes se creusent
Il ronfle doucement
Ma nuit n’est pas heureuse.
Je ne suis pas jaloux :
La paix sur son visage
Est pour mon esprit fou
Le conseil d’un sage.
Une surprise
La mort vient comme une surprise
À qui tient la vie pour acquise.
Pourtant le sage n’oublie pas
Que l’éternelle amante est là,
Toujours là, assoupie dans l’ombre,
Et que nous guette son monde sombre.
Le sage sait, mais peu sont sages,
Bien peu se souviennent du présage,
Préférant s’oublier à vivre
Comme des adolescents ivres.
Et comment vouloir les blâmer ?
Il est si plaisant d’oublier.
Un rêveur
Isolé par l’adversité
L’homme solitaire se terre
Dans les replis de la cité
Pour éviter d’avoir à faire.
C’est un rêveur, il n’y peut rien.
Il a tenté de se mêler
A ceux qu’il a nommé les siens
Il a simplement échoué.
Travailler ? Il a essayé.
Et toujours il s’est fait virer
Il n’y a rien qu’il fasse bien.
Pour ses parents c’est un échec
Qui n’a jamais gagné un chèque.
C’est un rêveur, il n’y peut rien.
Les deux qui suivent : août 2017
Bazar
La brume matinale
Est une métaphore
De mon état mental
Bateau très loin du port
Mais je n’ai pas de port
Nul moyen d’accoster
Nul phare couleur d’or
Qui veuille me guider
Navire sans pays
Je chemine au hasard
Des courants ennemis
Sur l’océan bazar
Prisme
Le camping est bien silencieux
Seuls les oiseaux sont bavards
Ils célèbrent le ciel si bleu
En s’égosillant à leur art
Hélas, je me fais des idées
Ce sont des chants territoriaux
Des marques d’agressivité
La guerre froide des oiseaux
Ah quelle triste humanité
Qui m’a emplie de son cynisme
Me voile la simple beauté
Et me fait tout voir par son prisme
Pastiche punk
Il y a longtemps j’étais keupon
Avec la crête et la colère
Je glandais j’avais pas un rond
Mais j’avais les potes et la bière
Pour les manifs j’mettais du noir
Et j’gueulais fort devant les keufs
Plus tard le soir on allait boire
Entre paumés c’était la teuf
Puis j’ai pris du bide et des rides
Et j’ai même eu un foutu taf
Y'en avait marre des squats humides
Je suis d’venu un putain d’faf
Oui j’ai trahi tous les keupons
Ce qui fut mon ultime affront
Oui c’est que j’ai quitté la bière
Pour ne plus boire que du vin cher
19 octobre 2018
J’ai rencontré un croyant
Au pied d’une chapelle bleue
Un passant âgé me questionne
« Enfant marcheur, quel est ton Dieu ?
Ta religion, est-ce la bonne ? »
Je lui dis que je n’en ai pas
Je secoue tristement la tête
Pas plus de dieu que de foi
Je suis un païen, une bête
Et son regard se fait sévère
Suis-je donc encore un homme
Pour cet être des tristes ères
Qui toujours expie pour la pomme ?
Il prononce un seul mot : « Pourquoi ? »
C’est donc à moi de m’expliquer
Dans l’ombre sombre de la croix
Qui trouble mon âme apaisée
Alors je hausse les épaules
J’esquisse un sourire léger
Je rejette ce jeu de rôles
Et reprends ma marche d’été
Ravine
Sous les lèvres qui embrassent ma belle amante
Se cache une infâme colonie purulente
Où ma chair comme mes os se font dévorer
Par une infection insensible et détestée
Assassine de ma jeunesse
Voleuse d’allégresse
Si c’est cela d’avoir vingt ans
Sans moi, les cheveux blancs !
Je les sens grandir, les racines du poison
Qui dans mon incarnation creusent l’infection
Sillon sanglant et stérile dont rien ne sort
Si ce n’est le pus, avant-goût de la mort
Aperçu de la finitude
Fardeau et triste certitude
Si c’est cela d’avoir vingt ans
Sans moi, les cheveux blancs !
janvier 2019
Le chemin
Il y a un chemin
Qui ressemble à un gouffre
Un chemin fait de soufre
Qu’on ne suit pas en vain
Il ne déçoit jamais
Ce cher chemin sincère
Dont l’objectif est clair
Il guide vers la paix
Un pas après l’autre
Sur le chemin honnête
En marchant on rejette
Tout ce qui était nôtre
Plus en avant je vois
Le paysage vide
Et sur ma peau les rides
Qui obéissent aux lois
Un pas après un autre
Et la lumière meurt
Éteignant tous les leurres
Qui resteront les vôtres
Frère
Quand je suis né je ne suis pas né seul
Car avec mon petit corps rose et faible
Quelque chose est sorti, une ombre veule
Faite de cendre plutôt que d’argile
Dans la matrice nous étions deux frères
Et deux frères nous resterons toujours
Moi, soumis à mon esprit et mes nerfs
Lui, incarnant la nuit même en plein jour
Chaque matin il se lève avec moi
Il existe dans tous mes mouvements
Et m’accompagne à chacun de mes pas
Parfois je le trouve apaisant
29 janvier 2019 23h40
Narration
Mon esprit est aussi vide que mes journées
Alors bien sûr des fantasmes viennent combler
Cet abîme ouvert sur les trop vastes espaces
Mais ce n’est pas assez pour me voiler la face
J’enlace la béance de mes maigres bras
Et je souris quand elle ne me répond pas
Car cette indifférence est conforme à ma foi
Mon soulagement c’est que je ne me mens pas
Seuls les puissants germes de l’imagination
Viennent s’épanouir en une narration
Dont forme et mélodie, rythme et géométrie
Sont les architectes de l’esthétique amie
J'arrache quelques vers
Au sommeil qui s'enfuit
C'est donc à ça que sert
La précieuse insomnie
27/01/19 6h30
Voyage à bord de l’Égaré
Dans la préhistoire de la pensée
Terriblement loin des terres explorées
Se cache l’étincelle fondatrice
Qui de toute vie est le frontispice
En quête de ce chaos créateur
Prépare-toi à tout, explorateur
Car les antiques ombres de l’oubli
Que tu le croies ou non sont tes amies
Vraiment, tu t’entêtes, tu veux savoir
Dissiper les bienveillants voiles noirs
Plonger ton regard au cœur des entrailles
Quitte à mettre à nu tes infinies failles ?
Alors soit, et embarque à mes côtés
À bord de mon vaisseau, le bien nommé
L’Égaré. Je te vois, je crois, sourire
Je t’en prie, va jusqu’au bout de ton rire
Maintenant, que le puissant vent se lève
Gonfle mes voiles et attise tes sèves
Nous voilà ainsi lancés sur les mers
Qui, inviolées, contre nous partent en guerre
Ah, je te vois déjà te retourner
Et contempler les contrées regrettées
Car tu sais au fond que c’est un adieu
Jamais plus tu ne verras ces beaux lieux
Devant nous attendent bien des surprises
Des étrangetés non pas noires, mais grises
Qu’il ne servira à rien d’affronter
Car on ne peut vaincre la vérité
Remontons vers le point central
Cet incontournable et ancien féal
Sur qui à tout instant de toute vie
On peut trouver un salvateur appui
Naviguons ensemble vers l’animisme
Que tu voies le monde d’un nouveau prisme
Regarde ! Ces ombres, ces impressions
Ces cataractes de contradiction
Cet intense amas de points et de lignes
Dans lequel il est vain d’attendre un signe
Ces formes en perpétuel mouvement
Où envers nous tout est indifférent
Que tes structures à présent s’écroulent
Détruis tout ce qui t’attache à la foule
Annihile la moindre cohérence
Et résiste à la tentante démence
Qu’il ne reste que la première essence
L’initiatrice du pas de la danse
Et qu’elle danse et s’excite en ton esprit
Pour qu’elle puisse germer là aussi
Observe ! Devant nous à l’horizon
Distingues-tu notre destination ?
On dirait un continent ou une île
Illusion ! Juste des cendres fragiles
Et pourtant c’est là que tu dois poser
Tes pieds vacillants et mal assurés
Tu n’auras pas de sol dur et solide
Mais le réconfort honnête du vide
mai 2019
Roman
Je voulais que ma vie soit un roman
Pas même un bon roman, peu m’importait
Que ce soit l’œuvre folle d’un dément
Ou un roman de gare, bas et niais
Je voulais que ma vie possède un souffle
Une énergie venue d’on ne sait où
N’importe quoi pour colmater le gouffre
Une ombre d’aventure, un rien de goût
Je voulais que ma vie soit un poème
Une fulgurance brève et brillante
Que puisse clamer un être qui aime
À un ami, à la nuit apaisante
Je voulais que ma vie soit fredonnée
Par une jeune fille en robe noire
Aux cheveux blonds comme les blés d’été
Avec dans sa voix claire un brin d’espoir
29 juin 2019 2h
Blake
Ils sont rares à pouvoir me faire pleurer
Ce soir Blake entre dans ce club fermé
Je pense à son jardin rempli de ronces
(Pas celles de l’amour, celles des nonces)
De ronces et de murs fraîchement bâtis
Là où poussaient les goûteux pissenlits
Et autres fruits nourriciers de la boue
Et autres fleurs colorées à mon goût
Je pense à Blake nu dans son jardin
Avec sa compagne en tenue de rien
Lui proposant un amour libre et grand
C’est non ! Il marmonne en se soumettant
Hésite un instant et puis fait un pas
Il l’enlace, fort frustré mais en joie
Car ce qui lui refuse son désir
C’est l’avidité d’un autre désir
29 juin 2019 2h20
Toile
Dans la toile de mon vocabulaire
Je ne trouve pas les mots nécessaires
Pour comme l’habile araignée forger
Une œuvre géométrique et sensée
Ma création maladroite et tordue
Ne saurait prendre au piège de sa glu
Ni le moindre moucheron égaré
Ni la moindre impression de vérité
Ma main ne produit qu’une chose oblique
Amas difforme de mots en panique
Qui apeurés par le cousin curieux
S’effondrent tristement en sonnant creux
19 août 2019 - Belgrade
Poèmes émouvants dont on ne peut douter de la sincérité.
RépondreSupprimerEh bien, merci :) Je ne peux m'empêcher d'être un peu étonné que quelqu'un d'inconnu passe par ici et lise ces petites choses.
SupprimerJe lis attentivement vos résumés, et autres articles, depuis quelques mois déjà. J'ai découvert votre site via "Touchez mon blog monseigneur". C'est un plaisir de vous lire !
SupprimerEh bien merci encore !
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