Je suis tout à fait intéressé par les liens entre philosophie et SF / horreur. A première vue, In the dust of this planet (2011) d'Eugene Thacker semble parfaitement s'insérer dans cette petite niche : il y évoque toute sorte de sujets qui s'entremêlent, du black metal à Schopenhauer en passant la démonologie et bien évidemment Lovecraft. Son ton est au début plutôt clair, et il y a de quoi se laisser agréablement happer. Par contre, plus ça avance, et particulièrement dans le dernier tiers, plus l'auteur m'a complètement et absolument perdu : il tourne vainement en rond dans des abstractions absconses et jargonneuses. En plus, et je comprends pourquoi ce livre plaît à Thomas Ligotti (dont l'essai The conspiracy against the human race m'est rapidement tombé des mains), Eugene Thacker ne se contente pas d'étudier des positions négatives et nihilistes : il se fait négatif et nihiliste, ce qui ne fait qu'accentuer la lourdeur de ses piétinements.
Ceci dit, j'ai apprécié certaines des idées du début. Il se penche particulièrement sur l'inconnaissable, le non-humain. Ainsi il distingue trois "mondes" différents :
- Le monde-pour-nous : le monde que les humains interprètent, celui auquel ils donnent du sens et auquel ils s'attachent, avec lequel ils ont des relations. Son petit nom : le Monde.
- Le monde-en-soi : c'est le monde qui résiste aux désirs humains, qui refuse d'être le monde-pour-nous. Mais, paradoxalement, dès que l'humain s'en empare, il est sur le point de devenir le monde-pour-nous, car l'humain lui donne des significations. Exemple typique du monde-en-soi : les catastrophes naturelles. Il est comme la frontière de la connaissance humaine. Son petit nom : la Terre.
- Le monde-sans-nous : celui-là ne coexiste pas avec l'humain. Il est donc, par définition, inconnaissable. Le point de vue cosmologique, celui, je suppose, de l'horreur cosmique. Son petit nom : la Planète.
On retrouve un peu cette division triple dans une analyse du black metal que je trouve particulièrement pertinente. Déjà, le côté satanique : on est dans l'inversion des valeurs, mais on reste bel et bien au cœur des valeurs humaines, de la façon dont l'humain fait sens du monde. Ensuite, l'aspect païen : cette fois, on retourne au monde-en-soi, à la "nature", aux éléments, à la roche, aux océans. Il ne s'agit plus tant d'un retournement des valeurs que d'un autre point de vue, plus ancien, pré-chrétien. Et enfin, le caractère cosmique : on sort totalement de l'anthropomorphique pour plonger dans le chaos impersonnel du réel. En somme, on explore le non-humain, le monde-sans-nous.
Pour conclure, sur ce que je vois comme une sorte de mystique matérialiste :
In a sense, the nihil negativum is not just about the limits of language to adequately describe experience; it is about the horizon of thought as it confronts the unthought, the horizon of the human as it struggles to comprehend the unhuman. Yet, as Schopenhauer notes, “such a state cannot really be called knowledge, since it no longer has the form of subject and object; moreover, it is accessible only to one’s own experience that cannot be further communicated.”
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