Un très bon p'tit roman, qui captive par ses idées plus que par ses personnages ou sa trame. Dans un futur relativement proche, l'apocalypse climatique et environnemental se poursuit le plus tranquillement du monde. Au lieu de faire des pirouettes avec des crédits carbone, les multinationales jouent avec les crédits d'extinction : si par exemple un projet minier s'apprête à rayer de la carte une espèce déjà menacée, pas grave, on se paie un crédit d'extinction. Et si l'espèce risque d'être classifiée intelligente, pour éviter de débourser un peu plus, on fait appel à un expert indépendant, qui, s'il comprend bien son boulot, devrait classer l'affaire sans suite : c'est le job de notre protagoniste. Complètement abattue par son job, sa motivation pendant tout le roman est de se suicider d'une façon élaborée, c'est-à-dire de motiver des venoumous lumpsuckers à se venger sur elle de leur disparition annoncée. Elle est rejointe par un corpo, un cadre de la grosse société minière pour laquelle elle travaille, qui, lui, a spéculé (et perdu) avec les crédits d'extinction de sa boite. Bref, les deux courent après le mystérieux poisson.
Comme les motivations des personnages, la narration est un peu artificielle, on sent que l'auteur cherche avant tout à nous faire passer d'idée en idée. Et je ne m'en plains pas, car ces idées prospectives sont nombreuses, à la fois marrantes, pertinentes et crédibles. On pourrait dire qu'on est dans une ambiance pré-cyperpunk, voire biopunk, où l'humanité n'a toujours pas fait le deuil de la croissance et pour lui courir après continue tranquillement à détruire toute vie sur Terre. Oui, ça me semble plus crédible que le techno-utopisme de The ministry for the future. Je vais lister quelques-unes de ces idées ci-dessous, mais pour qui est tenté, mieux vaut la surprise.
- Déjà, le génie des crédits d'extinction, et l'évocation du lobbyisme et de la spéculation dont ils font l'objet.
- Le délire utilitariste des yayflies (que je traduirais youpimouches), moucherons crées artificiellement dans l'unique but de ressentir un maximum de plaisir dans les quelques heures que dure leur vie.
- Cette maladie fongique qui déforme les visages des vaches (puis des humains) et évolue dans un contexte d'élevage entièrement automatisé par algorithme : la sélection naturelle sélectionne donc les mutations qui déforment la tête des vaches de façon à ce que les algorithmes ne les reconnaissent plus comme des vaches et donc n'interviennent pas pour stopper la maladie.
- La façon dont est narré le repli sur soi de l’Angleterre post-brexit : le pays est évoqué sous un autre nom et semble tout d’abord ressembler plus à la Corée du Nord, jusqu'à ce que le lecteur comprenne de lui-même, à force d'indices, que c'est bien l'Angleterre.
- Le business de la création d'espèces artificielles, qui sert à faire croire à la sauvegarde d'espèces rares (en fait crées pour l'occasion) afin de récolter des crédits d'extinction.
- Sans tout révéler : l'évocation de la démence narcissique des milliardaires de la tech, qui se noient dans leurs propres techno-délires.
- Ah, et le fait que l'auteur parle de biologie d'une façon sérieuse : After all, every feature of every animal is a solution to a technical problem.
Pas mal la "Youpimouche" !
RépondreSupprimerOn pourrait argumenter que maximiser la quantité de youpimouches sur Terre serait le but le plus noble imaginable ;) (nomic)
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