Écrite vers 1593, cette pièce est l'une des plus fameuses interprétations du mythe de Faust. Elle est célèbre notamment grâce à son auteur, Christopher Marlowe, libre penseur sulfureux mort précocement. Aujourd'hui, ça reste sympathique à parcourir, malgré des errances peu passionnantes par moment. Pas besoin de raconter l'histoire, si connue, mais cette version du personnage de Faust parvient à évoquer le flou moral qui fait tout le charme de ce mythe : d'un côté Faust le vil pêcheur dévoré par l'avidité et l'orgueil, de l'autre Faust l'humain empli de curiosité envers le monde et d'amour pour la vie. Ces deux facettes incarnées par une seule sentence :
The god thou serv'st is thine own appetite.
C'est chez William Blake et son Mariage du Paradis et de l'Enfer qu'on trouve une captivante synthèse de ces tendances qui n'ont pas à être contradictoires. De même, je n'ai pas pu lire cette pièce sans penser au Paradis Perdu de Milton. Marlowe ne va pas aussi loin dans l'empathie pour l'Adversaire, mais j'ai remarqué cette vision saisissante et très similaire de l'enfer comme état d'esprit, si on me pardonne l'expression moderne.
FAUSTUS. And what are you that live with Lucifer?
MEPHIST. Unhappy spirits that fell with Lucifer,
Conspir'd against our God with Lucifer,
And are for ever damn'd with Lucifer.
FAUSTUS. Where are you damn'd?
MEPHIST. In hell.
FAUSTUS. How comes it, then, that thou art out of hell?
MEPHIST. Why, this is hell, nor am I out of it.
Think'st thou that I, that saw the face of God,
And tasted the eternal joys of heaven,
Am not tormented with ten thousand hells,
In being depriv'd of everlasting bliss?
Plus loin :
FAUSTUS. First I will question with thee about hell.
Tell me, where is the place that men call hell?
MEPHIST. Under the heavens.
FAUSTUS. Ay, so are all things else; but whereabouts?
MEPHIST. Within the bowels of these elements,
Where we are tortur'd and remain for ever:
Hell hath no limits, nor is circumscrib'd
In one self-place; but where we are is hell,
And where hell is, there must we ever be
Chez Milton, on trouvait les mots suivants :
Ah ! moi, misérable ! par quel chemin fuir la colère infinie et l'infini désespoir ? Par quelque chemin que je fuie, il aboutit à l'enfer ; moi-même je suis l'enfer ; dans l'abîme le plus profond est en dedans de moi un plus profond abîme qui, large ouvert, menace sans cesse de me dévorer ; auprès de ce gouffre, l'enfer où je souffre semble le ciel.
Si l'enfer est une perspective, qu'en est-il du paradis ?
J'ai été étonné que Marlowe n'hésite à ridiculiser le pape, Faust utilisant ses pouvoirs démoniaques pour lui jouer des tours loin d'être innocents. La blague culmine dans la bouffonerie quand les moines de la cour du pape font à Dieu la prière suivante :
CURSED BE HE THAT STOLE HIS HOLINESS' MEAT FROM THE TABLE!
Maledicat Dominus!
CURSED BE HE THAT STRUCK HIS HOLINESS A BLOW ON THE
FACE!
Maledicat Dominus!
CURSED BE HE THAT TOOK AWAY HIS HOLINESS' WINE!
Maledicat Dominus!
Difficile de ne pas voir là un rejet total de la religion organisée, d'autant plus que Faust et Méphistophélès tabassent les moines avant de s'éclipser. Je suppose qu'un expert de la littérature anglaise pourrait dire s'il s'agit là d'un simple retournement carnavalesque parfaitement normé et accepté ou d'une subversion plus profonde. Je retiens l'apparition fugitive du discernement éternel, éternellement oublié :
GOOD ANGEL. O, what will all thy riches, pleasures, pomps,
Avail thee now?
EVIL ANGEL. Nothing, but vex thee more,
To want in hell, that had on earth such store.
La quête infinie et impossible des luxes mène à la perte de la félicité authentique (peut-être l'ataraxie) qui existe en abondance sur la simple Terre. On croirait lire Epicure — mais je le vois partout. Et cette dernière lamentation désespérée de Faust, avant sa damnation éternelle :
O soul, be chang'd into small water-drops,
And fall into the ocean, ne'er be found.
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