Écouté en audiobook par ici. Gateway (La Grande porte en français) de Frederik Pohl, paru en 1977, mérite son statut de petit classique. C'est un roman franchement étonnant qui n'accuse pas son âge. Il y a l'aventure SF, bien sûr, mais l'aspect science-fictif, réussi en soi, est avant tout le contexte d'une étude de caractère hautement psychanalytique, à la fois parodie hilarante du freudisme et dissection pertinente des faiblesses humaines.
Gateway, c'est une station spatiale extraterrestre découverte dans le système solaire. Il s'y cache plein de vaisseaux parés au départ, mais les humains n'y comprennent pas grand-chose : impossible de réparer les vaisseaux, quasi impossible de choisir leur destination. Pour les courageux prospecteurs qui s'y aventurent, c'est quitte ou double : certains ne reviennent pas, d'autres reviennent morts ou mourants, mais d'autres encore reviennent avec des artéfacts extraterrestres qui assurent leur fortune.
Le contexte social développé par Frederik Pohl autour de Gateway est excellent. Les prospecteurs doivent payer une très forte somme pour avoir le droit de prospecter, et une fois sur place, toute leur vie est régie par un hyper-capitalisme conçu pour, théoriquement, maximiser les incitations à explorer malgré les risques. Les prospecteurs reçoivent des récompenses financières proportionnelles à l'utilité marchande et scientifique de leurs découvertes, y compris des pourcentages sur les applications futures de ces découvertes. En conséquences, les aventuriers rêvent tous du voyage qui les rendra riches : ils fantasment sur les probabilité de succès, ils cherchent à comprendre la technologie alien pour optimiser leurs chances, ils s'entendent (ou non) pour former des équipages solides, leur santé mentale est poussée à bout par les enjeux considérables : la mort ou la richesse, tout ça décidé par un jet de dé cosmique, en fonction d'où chaque antique vaisseau spatial conçu par une race éteinte décide d'aller...
On passe plus de temps dans les couloirs étroits de Gateway que dans les vaisseaux, où, de toute façon, l'aventure n'en est pas réellement une : les prospecteurs sont passifs, plein d'espérances, mais ne pouvant guère agir. Ils sont rongés par la peur, la cupidité, l'ambition, la lubricité... Et l'auteur parvient à rendre touchants et perceptibles ces désirs fous d'humains qui cherchent juste à s'en sortir, à avoir une chance, eux aussi, de trouver une bonne vie.
En parallèle, on suit les consultations de notre narrateur avec Sigfrid von Shrink (!), une IA freudienne qui s'efforce de régler les problèmes du narrateur avec sa mère, ses tendances homosexuelles refoulées, et aussi les évènements tragiques qu'il a vécu sur Gateway. Le narrateur est un être faillible, parfois même un connard, mais c'est surtout un personnage réussi : imparfait, inhibé, humain. Ces séquences auraient facilement pu être très chiantes, mais l'auteur parvient à les rendre amusantes et captivantes : le patient et psy vont vraiment quelque part ensemble.
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