Ma Jian est un chinois expatrié : on comprend à la lecture de China Dream (et sûrement de ses autres livres) qu'un gouvernement totalitaire et censeur comme celui de la Chine n'apprécie probablement pas ce genre d'auteur. China Dream, c'est la progressive plongée dans la folie de notre narrateur, directeur du Bureau du Rêve Chinois dans une grande ville. Le Bureau en question, on s'en doute, est chargé (parmi d'autres parties de cette administration monstrueuse) de la la propagande et du contrôle de la pensée. Il y a une petite touche SF : le narrateur, pour mieux faire son boulot — et pour fuir ses propres démons —, rêve d'une puce neuronale à la Greg Egan qui permettrait d'insérer le Rêve Chinois directement dans le cerveau des heureux citoyens, sous forme d'un petit implant inoffensif. Mais ce n'est pas le cœur de la narration.
Il y a deux angles qui s'entremêlent. D'abord, la vie quotidienne de notre narrateur, faite de siestes au bureau, d'orgies avec ses nombreuses amantes, et de ses devoirs de propagandiste. Évidemment, tous ces hauts fonctionnaires puent l'hypocrisie : ne songeant qu'à leur carrière, ils vivent de médiocres rivalités et de pots-de vin, tout en s'efforçant d'accomplir les besoins de propagande et d'omnipotence du régime. Je pense notamment à cette scène où notre narrateur doit faire évacuer un village qui s'apprête à se faire raser pour laisser la place au progrès — goudron, béton et productivité. Lui-même agit au nom du dictateur Xi Jinping, mais les villageois rebelles eux aussi invoquent la bénédiction et la protection de Xi Jinping ! C'est la même horreur qui faisait rage pendant la révolution culturelle, quand des factions s'entretuaient tout en chantant chacune la gloire de Mao.
Car la seconde facette du roman, c'est la révolution culturelle. Notre narrateur est hanté par ce qu'il a vécu pendant cette période sanglante, et les fantômes du passé prennent de plus de plus d'emprise sur son présent, d'abord lui faisant commettre des boulettes compromettantes, puis le rendant complètement dément, jusqu'à un final surréaliste — et franchement un peu trop surréaliste, c'est surement la partie la plus faible du roman. Sinon, ces flashbacks qui explorent le sombre passé de la Chine communiste sont captivants. L'absurdité qui s'en dégage est stupéfiante, et c'est une piqure de rappel qu'il convient de s'injecter régulièrement : comment une idéologie, un autocrate, peut si aisément contaminer les esprits et pousser à commettre les pires horreurs. Conflits de phalange, massacres insensés, humiliation et torture des intellectuels et bourgeois (ou plutôt de quiconque semblant vaguement être intellectuel et bourgeois), négation de l'individu...
Bien sûr, on retrouve les échos de la révolution culturelle dans le présent de la Chine : c'est le propos du livre. On retrouve même tellement la censure et le contrôle de l'information que la plupart des chinois contemporains n'ont en fait aucune idée de ce qu'a été la révolution culturelle. C'est un fait gênant, activement mis sous le tapis — au profit du « Rêve Chinois », l'éternelle panacée tribale vendue par les autocrates.
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