lundi 18 janvier 2021

L’Europe réensauvagée - Gilbert Cochet & Béatrice Kremer-Cochet

L’Europe réensauvagée (2020) de Gilbert Cochet et Béatrice Kremer-Cochet est une lecture que j’ai faite plutôt en diagonale, la faute à la structure du bouquin : c’est en gros une liste d’espèces animales. On se penche sur une espèce, qui la plupart du temps a vu ses effectifs croître ces dernières décennies, le tout agrémenté d’une tonne de chiffres étonnamment précis et de quelques réflexions générales sur les mérites du réensauvagement. À l’inverse, j’apprécie quand les auteurs prennent le temps de développer sur leurs nombreuses expériences de terrain ou les rôles écologiques des espèces et leurs interactions.

Le livre est plutôt bon quand il s’agit de faire prendre conscience du considérable appauvrissement du vivant au cours de l’ère humaine : « Il y a 10000 ans, 97 % de la biomasse des vertébrés de la Terre était constituée par les animaux sauvages. Aujourd’hui, ils constituent environ 2 % du même poids total, les animaux domestiques dont le bétail près de 85 %, et les humains 13 %. La faune sauvage est passée de 97 à 2 %. » L’apparition de l’élevage (chèvre, mouton, vache) a fait disparaître petit à petit l’énorme forêt européenne originelle (voir Nature's Temples). Les animaux sauvages comme les oiseaux qui mangent des poissons, ou les loutres, étaient vus comme des concurrents et exterminés. Pourtant, l’Europe est particulièrement riche en biodiversité à cause de ses péninsules : au fil de l’alternance naturelle entre petites périodes glaciaires (80000 ans) et chaudes (20000 ans), une bonne partie de l’Europe est régulièrement couverte de glaciers ou transformée en toundra ou steppe, ce qui pousse les espèces à se réfugier de façon séparée dans l’une des trois péninsules : ibérique, italienne (ligure) ou balkanique. Ainsi, les espèces comme le loup, la taupe, le pin ou le sapin ont chacune une variante spécifique à chaque péninsule. Et, chiffre peut-être étonnant, il y a plus d’ours en Europe qu’aux USA et au Canada réunis. D’ailleurs, j’ai moi-même eu l’occasion d’en rencontrer un de façon assez terrifiante en Macédoine (voir mon long carnet de voyage balkanique, au 2 juillet).

Toutes les espèces ont des relations entremêlées. Par exemple, les aigles montagnards se font aussi charognards quand les temps sont durs, ainsi ils dépendent des populations de chamois et bouquetins. Le pic noir, lui, façonne dans les arbres des cavités qui servent de refuge à toute une nuée d’autres espèces qui dépendent de lui. Les migrations des poissons dans les rivières (radicalement altérées par la pêche massive et les barrages) fournit ou fournissait une nourriture considérable pour les oiseaux, qui, eux, par leurs déjections rendues abondantes, fertilisent les terres, à tel point qu’on peut voir une corrélation directe entre la croissance des arbres et l’abondance de poissons migrateurs. Les barrages empêchent aussi les sédiments de suivre naturellement le cours des rivières et ainsi favorisent l’érosion des côtes.

Tout ça, c’est très bien, vraiment. Un peu plus d’animaux sauvages dans les montagnes, les rivières, les quelques vraies forêts, tant mieux, mais toute cette vision me semble détachée d’une inévitable globalité. Je ne veux pas médire : le travail concret des auteurs et des autres préservateurs de la faune et de la flore est incontestablement bénéfique. Pourtant, pour parler de là où je vis en ce moment, quand ils évoquent la croissance de je ne sais plus quel poisson dans la Gironde, tant mieux, tant mieux, mais moi, ce que je vois, c’est une armée de grues qui bétonnent toujours plus en avant, des forêts rectilignes qui ne sont que des cultures de bois et qui pourtant se font éventrer pour bâtir des fermes solaires… Aussi, quelque chose m’écœure quand je lis sur moins d’une demi-page « programme international », « 2,1 millions d’euros », « amélioration sociale et économique », « développer une activité d’écotourisme », « projet de développement durable gagnant pour la nature et gagnant pour les hommes »… La réalité est ce qu’elle est, je sais, et il faut faire avec, mais tous les jolis chiffres de ce livre ne provoquent en moi guère de satisfaction. Les parcs nationaux, jolis échappatoires d’une minorité dont je fais sans doute partie pendant que continue la grande course en avant.

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