jeudi 14 janvier 2021

L'Anomalie - Hervé Le Tellier

L'Anomalie (2020) de Hervé Le Tellier.

Tellement hypermoderne, désespérément hypermoderne.

La trame de ce thriller-SF-haute-littérature : un avion est dédoublé avec quelques mois de décalage, et avec lui, tous ses passagers. Premier tiers : présentation de toute la tripotée de personnages. Second tiers : détails du dédoublement et rencontre des doubles. Troisième tiers : comment les doubles et l’humanité réagissent à la nouvelle réalité. Car, oui, apparemment, tout le monde est persuadé que la seule explication, c’est l’hypothèse de la simulation, c’est-à-dire que l’univers est une simulation. Mais pourquoi donc ? On pourrait penser ça à cause de chaque chose qu’on ne comprend pas, non ? Je suppose que l’auteur a plus apprécié que moi les textes de Nick Bostrom, qui, pour le peu que j’en comprenais, pour ainsi dire pas grand-chose, je l’avoue, me laissaient un fort arrière-goût de : faire des probabilités sur des potentialités aussi étrangères et invérifiables que la théorie de la simulation, c’est une arnaque.

Bref, je ne suis guère convaincu par l’aspect SF, d’autant plus que ça ne vole pas très haut : « Est-ce qu’un viol, c’est un programme mâle qui viole un programme femelle ? » se demande un des personnages en pleine crise philosophique profonde. On n'ira pas plus loin. Pour le reste, eh bien, c’est moderne, moderne… Le président des USA, Trump, dont le nom n’est pas cité, est un bouffon débile (sans blague) qui, d’ailleurs, à la fin, est tellement un bouffon débile qu’il est responsable de la destruction de l’univers… Puissante et subtile moralité sans aucun doute, l’auteur a dû aller la chercher loin. Sinon, on a droit à un mari pédophile/incestueux, aux périples raciaux d’une noire américaine, à l’oppression des homosexuels au Niger, à la violence dégénérée de l’extrême droite religieuse américaine, à des petits rappels permanents mais sans conséquences du désastre environnemental, à une longue scène de talk show américain avec Stephen Colbert, à un autre talk show français, et on oublie pas non plus de mentionner les machins musicaux les plus populaires… Il y a une petite louche de nombrilisme littéraire, pas trop, juste ce qu’il faut de réglementaire, avec roman dans le roman et auteur qui se moque gentiment de lui-même. Une avalanche de références littéraires pas trop compliquées pour que le lecteur puisse se sentir flatté de les connaître, et, pour conclure, une pirouette typographique pour rappeler que l’auteur appartient à un truc avant-gardiste qui s’appelle l’ouvroir de littérature potentielle et que, conséquence logique, le lecteur chanceux vient de lire un machin tout à fait à la pointe, la preuve, regardez, à la fin il y a un tourbillon de lettres. Il y a tout, et tout n'est que vaguement effleuré. Bonus : ça se passe essentiellement aux USA, avec toutes les agences FBI CIA NSA en prime, le roman est donc fin prêt pour l’exportation directe au pays du dollar.

Toutes les cases sont cochées, il y a tout ce qu’il faut, clic, clac, c’est un strike, du travail de pro. Je crois que j’ai eu ma dose de modernité pour l’année.

Si on était en 2097, que j’avais 22 ans et que j’avais déniché quelque part cette future vieillerie, j’aurais sans doute pris un grand plaisir à lire quelque chose d’aussi suranné et exotique.

2 commentaires:

  1. Je comptais le dégoter d'occasion pour m'en faire une idée mais votre critique m'en dissuade. C'est si peu dans vos habitudes d'être virulent que cela doit se justifier quand vous l'êtes !

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    1. Je crois que mon problème en bonne partie avec la littérature contemporaine en général et son excès de modernité, d'actualité. Je me sens franchement étouffé en lisant tant de référence à "l'actualité", surtout quand la quantité des références semble plus importante que la qualité de leur traitement. Ce roman n'est pas si mauvais, je l'ai même fini, en ne recourant qu'assez rarement à la lecture en diagonale, ce qui est le gage d'un livre qui a au moins su éveiller en moi une certaine curiosité, mais au-delà de ses indéniables manquements, c'est bien ce sentiment d'étouffement face à tant d'éléments narratifs sortis tout droit des gros titres qui domine mon opinion finale, et c'est une question de sensibilité personnelle je suppose. De nombreuses personnes recherchent cet "actualisme". Aussi, je me suis amusé à l'écriture de ce compte-rendu ;)

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