mercredi 20 janvier 2021

Casino Royale - Ian Fleming

J’errais dans la bibliothèque, à la recherche d’un bouquin qui pourrait capter mon attention perpétuellement vacillante, quand j’ai accroché du coin de l’œil Casino Royale (1953) de Ian Fleming. Le premier tome de James Bond ! Pourquoi ne pas voir ce que ça donne ? Sûrement, ça se lit vite, et, au pire, je pourrais rire aux détriments du livre…

Eh bien, quelle surprise. Casino Royale, c’est bien, c’est même très bien. Déjà, la plume de Fleming est redoutablement efficace. J’ai lu par la suite un avis selon lequel Fleming était le meilleur écrivain de pulp avec Lovecraft, et je suis prêt à la croire. Là où Lovecraft a l’avantage de la complexité, de la profondeur et de l'intemporalité métaphysique, Fleming maîtrise bien mieux la simple écriture accrocheuse, et sans pour autant sonner creux.

La trame, elle aussi, est simple et efficace : Bond doit empêcher Le Chiffre, un agent russe qui a brûlé la chandelle par les deux bouts, de se refaire un capital au casino, sur la côte normande. Ainsi, si Le Chiffre ne parvient pas à repérer le capital du syndicat communiste français qu’il gère et qu’il a perdu dans des investissements malchanceux, le dit syndicat sera dans la tourmente et l’emprise de l’URSS en Europe sera réduite. Il y a juste ce qu’il faut de crédible pour compenser les parties plus abracadabrantes de l’histoire : quoi, les services secrets montent toute une opération fort coûteuse dont l’issue dépend d’un… jeu de hasard ?!

Ensuite : Bond. Le protagoniste de Fleming n’est pas que le beau gosse suave de la plupart des adaptations pré-Craig. Non, Bond est froid, glacial, misogyne, taciturne, violent… C’est presque autant un anti-héros qu’un héros, d'autant plus qu'il échoue quasiment plus qu'il ne réussit dans sa mission, et c’est ce qui fait son intérêt. Un mot d’abord sur la misogynie. Si le roman de Fleming n’est sans doute pas dénué d’une touche de misogynie (le seul vrai personnage féminin y existe essentiellement par rapport aux hommes), c’est avant tout Bond qui est misogyne. C’est une part importante de sa personnalité, et une part qui est vraiment explorée. S’il peste sur les femmes dès qu’il apprend qu’il aura une partenaire, il se ramollit instantanément en sa présence. Et cette dualité est permanente : Bond déteste les femmes et la féminité, probablement pour se protéger, et en même temps, il les désire, et pas seulement, car il désire aussi l’amour, la tendresse. Et cette dernière partie de Bond est sans cesse menacée par le monde : c’est peut-être le principal sujet du roman. Bond apprend par l’expérience que la froideur et l’insensibilité sont des armes indispensables pour s’en sortir. Tout le dernier tiers de l’histoire est consacré à cette triste leçon, jusqu’aux derniers mots, qui laissent le lecteur sur une amertume et un tragique que je ne m’attendais pas à trouver ici.

De plus, l’hypermasculinité de Bond est parfois tournée en ridicule, notamment quand il est littéralement effrayé par les fleurs que lui envoie Vesper. Bond est aussi capable, à l’occasion, de considérations abstraites qui remettent en cause l’ordre établi. Dans cette étonnante scène avec l’agent français, il va jusqu’à critiquer l’obsession de la lutte contre le communisme et il brouille les lignes de bien et de mal qui l’opposent au Chiffre. Mais, dans tous les cas, la froideur professionnelle de Bond reprend le dessus. On en vient presque à le voir comme une victime des vicissitudes du monde. Vesper, elle, et sans doute grâce à sa mystérieuse et dangereuse féminité qui fascine, aveugle et inquiète tant Bond, accepte de se voir comme un outil embarqué malgré elle dans des luttes qui la dépassent. En revanche, Bond refuse de laisser filer l’illusion du contrôle : il aime sa belle voiture qui répond à ses instructions dans la course-poursuite, mais il refoule la possibilité que cette course-poursuite ne dépende absolument pas de sa volonté.

Couplée à la simplicité, il y a dans Casino Royale une vraie puissance littéraire qui dépasse le simple suspense et la simple fantaisie masculine. Le monde de Bond où quelques élus volatils évoluent au-dessus des règles qui régissent l’existence du commun est un théâtre tragique. Je vais sans doute aller voir ce que tout ça devient dans les tomes qui suivent.

2 commentaires:

  1. En tous les cas voilà un héros Bond qui ne vieillit jamais et qui a une immortalité cinématographique .
    L’adaptation ciné semble s’écarter du roman,on y retrouve quand même pas mal d’ingrédients il me semble.Moi je reste fan de Daniel Craig .

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Et je me suis laissé allé à lire d'autres romans Bond !

      Supprimer