jeudi 13 février 2020
Aux limites de l'infini - Stanley G. Weinbaum
Il faut s’accrocher quand on entame les premières pages ce recueil : l'écriture, les dialogues, le comportement des personnages et les fantaisies scientifiques, tout accuse son âge. En effet, tout ça date des années 1930, et la SF américaine de cette époque n'a pas forcément tendance à bien vieillir (le choix de couverture a d'ailleurs le bon goût d'assumer totalement ce côté rétro). Mais si on inspire profondément et qu'on s'entête un peu, la magie ne tarde pas à opérer.
La première nouvelle, et la plus fameuse, est Odyssée martienne (1934). Comme le titre l'indique, c'est l'histoire d'un explorateur qui est forcé de s'infliger une longue randonnée sur Mars. Ah, l'époque où on pouvait respirer sur la planète rouge et y croiser tout un tas de créatures bizarres ! En effet, notre narrateur tombe rapidement sur Trille, une sorte d'autruche intelligente avec qui il fera tout le voyage. Trille est un personnage excellent : c'est un esprit étranger, et les deux vadrouilleurs ont du mal à se comprendre, ils baragouinent, il répètent, ils se font des signes. Ensemble, ils font face à deux espèces : un métamorphe qui fait penser à l'entité de Solaris et un machin informe et minéral qui n'est pas sans rappeler les shoggoths de Lovecraft. Je comprends que cette nouvelle soit perçue comme un classique : le traitement de l'altérité des aliens est exemplaire, surtout pour l'époque. Et à la fin, on comprend qu'encore une fois, c'est l'humain, le narrateur, qui a causé le conflit.
La nouvelle-titre, Aux limites de l'infini (1936), offre de chouettes prémices : un mathématicien se fait capturer par quelqu'un qui, hmm, n'aime pas les mathématiciens, et il doit résoudre une énigme de maths pour s'en sortir. Par contre, quand un lecteur comme moi qui n'y connait rien en maths devine la solution avant le prétendu mathématicien, c'est qu'il y a un problème. (Bon, c'est vrai, lui n'avait pas le titre comme indice, mais quand même.) Ensuite, Le monde du Si (1935) s'aventure vers de grandes idées : les univers « parallèles » qui naîtraient à l'occasion du moindre choix. Mais un sujet pareil est tellement insaisissable que Weinbaum ne peut que livrer une petite chose bancale qui n'est pas sauvée par son humour.
Avec Dérive des mers (1937), on passe à des événements de grande échelle. L'Amérique centrale, à cause de problèmes volcaniques, fait un gros BOUM et est rayée de la carte. En conséquence, l’Atlantique et le Pacifique sont soudain reliés, ce qui perturbe le Gulf Stream, et donc menace de rentre l'Europe invivable. La situation est bien trouvée et pose une question plus que jamais d’actualité : que se passe-t-il quand une région du monde densément peuplée devient soudain inhabitable pour des raisons environnementales ? Réponse : guerre et migrations de masse. Ah, non, pardon : en fait, les États-Unis interviennent avec une solution technologiste miraculeuse (ici fabriquer un gigantesque mur sous-marin) qui assied leur domination mondiale. Comme la seconde guerre mondiale le fera dans la décennie après l'écriture de cette nouvelle.
Les lotophages (1935) se penche à nouveau sur une forme de vie extraterrestre très différente de la nôtre : il s'agit de plantes extrêmement intelligentes mais qui n'ont jamais évolué la volonté. Ainsi ce sont des philosophes indifférents à tout, la vie comme la mort, la civilisation comme l'extinction. Intéressant, dommage que les deux explorateurs dont on suit les pérégrinations se comportent comme des abrutis suicidaires. Les lunettes de Pygmalion (1935) est particulièrement bizarre. Un type expérimente des sortes de lunettes de réalité virtuelle et se retrouve projeté dans un film interactif tellement bien foutu qu'il le prend pour la réalité : une utopie franchement niaise avec amourette à la clé. La chute rattrape un peu le tout. On conclut agréablement avec Graphe (1936), qui n'est pas de la SF. Un chef d'entreprise refuse de prendre des vacances alors que son médecin lui affirme que c'est indispensable pour sa santé. C'est très court et la chute fonctionne à merveille.
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Adhérer à la SF rétro est indispensable pour apprécier ce recueil (que j'ai beaucoup aimé).
RépondreSupprimerSans jusqu’à totalement adhérer, je reconnais les mérites de ces textes, surtout Odyssée martienne.
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