J'ai bien aimé Pourquoi l'art préhistorique ? (2011) de Jean Clottes : c'est un essai qui fait un peu mémoire, imprégné de décennies d'expériences et de voyages, qui s'efforce à dresser un tableau exhaustif sans aucun dogmatisme, ce qui me semble indispensable quand on traite de sujets aussi difficilement saisissables. « Toute réponse ne peut qu'être subjective et précéder de présupposés. » L'auteur rappelle même dans son paragraphe final que « nous n'avons que peu de certitudes », et il établit clairement la différences entre preuves, physiques, concrètes, et hypothèses, en gros les opinions diverses et variés que suscitent ces preuves (p.50).
Paradoxalement, quand il affirme dès la première page que la recherche des motivations de ces artistes du passé semble nécessairement vouée à l'échec, j'ai envie d'y aller de ma petite opinion inévitablement naïve. Si on admet que ces humains étaient la même espèce animale que nous, et donc avaient les mêmes points de départ innés, alors il n'y a pas de différence entre les questions Pourquoi l'art préhistorique ? et Pourquoi l'art contemporain ? En somme : pourquoi les humains actuels ont-il l'impulsion de faire de faire de l'art, et pourquoi apprécient-ils et recherchent-ils l'art ? Si on répond à cette question, je suis sûr que la même réponse s'appliquera à ces artistes préhistoriques, non ? Mais passons, il y a une petite touche de mauvaise foi dans ce raisonnement, car je sais que Jean Clottes évoque les motivations spécifiques des artistes préhistoriques.
Commençons par répertorier quelques interprétions classiques de l'art pariétal.
- L'art pour l'art. Cet art aurait simplement assouvi un besoin inné d'esthétique. On comprend que c'est une théorie simpliste, tant l'art est souvent chargé de narration, de mythes ou encore de morale.
- Le totémisme. Se base sur une corrélation étroite établie entre la « tribu » et un animal ou végétal particulier. Or, on ne retrouve pas une telle spécificité de représentation animale (et on ne retrouve quasiment pas de végétal).
- La magie sympathique. Implique une croyance en un lien direct entre l'image et ce qu'elle représente. Hypothèse n'expliquant pas la diversité de l'art pariétal, mais elle a certainement sa place.
- L'optique structuraliste. Tentative d'expliquer l'art pariétal en évitant la comparaison avec des peuples autochtones actuels et en restant concentré sur les cavernes, qui seront étudiées de façon systématique et statistique. Une optique qui a porté ses fruits, en mettant à jours certaines tendances globales, mais qui a été critiquée pour sa grande part du subjectivité alors que justement elle se prétend objective.
- La religion chamanique. Une croyance encore présente sur ne nombreux continents, qui veut que l'esprit de certaines personnes, les chamanes, soit capable de voyager à travers diverses parties de la réalité et d'y contacter esprits et divinités. Si le concept reste globalement le même, chaque peuple a sa propre mythologie liée. Les chamanes ont des visions, des transes, et les esprits peuvent eux aussi venir visiter les humains, sous forme de signes ou d'animaux. Un concept central est la perméabilité et la fluidité des mondes.
Cette dernière piste est celle retenue par l'auteur. J’apprécie notamment comment il utilise deux parties capitales et naturelles de la vie pour spéculer sur l'apparition de la spiritualité : la mort, bien sûr, qui fait spéculer sur la possibilité d'un ailleurs, et le rêve, qui permet de visiter cet ailleurs, et au final sert de preuve naïve que cet ailleurs est réel, concret.
Les passages où l'auteur évoque ses rencontres avec les membres de peuples indigènes modernes sont édifiants. Ceux-ci mentionnent en passant le sens de telle peinture sur roche, sens qui serait absolument impossible a deviner pour un chercheur hors contexte, évoquent tout naturellement les esprits qui se manifestent d'une façon ou d'une autre, à travers un animal par exemple, d'une façon similaire à ce qui devait être la norme il y a 30000 ans, parlent tout naturellement des visions qu'il faut peindre sur roche, ou encore donnent une explication triviale à une peinture qui aurait suscité les interprétations les plus subjectives qui soient chez un chercheur (p.81, 85, 87, 93.) Mais, encore une fois, la prudence est de mise : il est tentant de calquer ces croyances sur les humains préhistoriques, mais il impossible de savoir si ces idées évoquées par des indigènes modernes sont vraiment similaires. Il faut aussi garder le tête un énorme biais : nous ne connaissons que l'art des cavernes, mais il devait représenter une partie minime de l'art préhistorique, c'est simplement le seul a avoir été préservé grâce à son cadre protégé.
Anecdote : pour se protéger des moustiques d'une façon immémoriale, se faire asperger d'acide formique en faisant mine d'attaquer une fourmilière (choisir la bonne variété de fourmis) et l’étaler partout sur la peau.
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