Si Kierkegaard est surtout connu en tant qu'existentialiste chrétien, Le Journal du séducteur, publié en 1843, peut être considéré sans lui faire offense comme un roman. J'ai feuilleté quelques-un de des essais de l'auteur, et je n'ai pas été tenté de m'y plonger plus profondément tant ça me semblait riche en bondieuseries, ainsi je ne vais pas m'aventurer à faire de liens entre ce Journal du séducteur et la philosophie plus globale de Kierkegaard.
Comme il est beau d'être amoureux, et comme il est intéressant de savoir qu'on l'est.
Si Le Journal du séducteur est assez difficile à lire, ce n'est pas à cause de sa dimension philosophique, mais bien par sa narration. On ne quitte jamais la subjectivité du narrateur, et celui-ci est, disons, assez détaché de la réalité. Sa seule obsession est la séduction et l'esthétique qui l'accompagne ; il ne parle de rien d'autre. Pire encore, ses soliloques sont souvent vagues, imprécis, difficiles à suivre et difficiles à interpréter. Au début, il a réussi son coup et j'ai été séduit : ce n'est facile d'accès, mais il y a une patte unique, un ton rare, et on est curieux de découvrir ce narrateur si particulier et sa vision radicalement esthétisante de la vie et de l'amour. Il y a quelques beaux passages sur le goût de l'esthétique, la capacité à en même temps ressentir des émotions réelles et être détaché de ces mêmes émotions, les regarder de loin et en jouir esthétiquement.
Hélas, au bout d'un moment, ça devient franchement lourd. Le machiavélisme du narrateur, ses obsessions répétitives, son égocentrisme indétrônable : on ne sort jamais de sa tête et ça devient étouffant. Je n'ai fait que survoler le dernier tiers tant les idées centrales sont en fait assez claires dès le début et la suite ne fait que rajouter couche après couche de la même peinture. Malgré ce jugement sévère — qui juge le roman sans le relier au reste de l’œuvre de Kierkegaard — je pourrais potentiellement me surprendre à recommander ce Journal du séducteur à l'avenir. Ça m'a pas mal ennuyé, certes, mais c'est indéniablement un texte atypique qui va jusqu'au bout de son concept.
Devant les tempêtes de la passion mon esprit est comme une mer orageuse. Si quelqu'un pouvait surprendre mon âme en cet état, il aurait l'impression de voir une barque s'enfoncer à pique dans la mer, comme si sa précipitation terrible elle devait mettre le cap sur le fond de l'abîme. Il ne verrait pas qu'au haut du mât veille un marin. Forces frénétiques, échauffez-vous, mettez-vous en mouvement, ô puissances de la passion, même si le choc de vos lames devait lancer l'écume jusqu'aux nuages, vous ne serez pas capables de vous élever au-dessus de ma tête ; je reste tranquille comme le Roi des falaises. [...] Que de jouissance à être ainsi secoué sur une eau agitée, que de jouissance à être secoué en soi-même.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire