Il faut que je lise régulièrement ce genre de livre pour me rappeler que non, je ne suis pas fou, ce n'est pas moi qui suis fou. La majorité de ce que l'auteur raconte, je le savais déjà, j'ai lu plein de bouquins sur le sujet : c'est d'ailleurs le cinquantième livre à être référencé dans la catégorie "environnement" sur ce petit blog. Mais quand, en lisant ces pages suffocantes, on s'accorde une pause et on lève les yeux vers un monde humain qui fait, à quelques détails près, comme si de rien n'était, c'est à devenir dingue. Il n'y a rien, rien de plus important. Tout, absolument tout, est futile en comparaison.
Et le livre est très bien. Climat : dernier avertissement de Mark Lynas est structuré en six chapitres, un sur chaque degré supplémentaire qui nous attend potentiellement d'ici la fin du siècle, et sinon un peu plus tard. L'horreur va croissante, les romanciers ne peuvent pas faire plus renversant.
La première page frappe dur :
When I started writing this book I thought that we could probably survive climate change. Now I am not so sure. As you will read in these pages, we are already living in a world one degree warmer than that inhabited by our parents and grandparents. Two degrees Celsius, which will stress human societies and destroy many natural ecosystems such as rainforests and coral reefs, looms on the near horizon. At three degrees I now believe that the stability of human civilisation will be seriously imperilled, while at four degrees a full-scale global collapse of human societies is probable, accompanied by a mass extinction of the biosphere that will be the worst on Earth for tens or even hundreds of millions of years. By five degrees we will see massive positive feedbacks coming into play, driving further warming and climate impacts so extreme that they will leave most of the globe biologically uninhabitable, with humans reduced to a precarious existence in small refuges. At six degrees we risk triggering a runaway warming process that could render the biosphere completely extinct and for ever destroy the capacity of this planet to support life.
Il est tentant, avec l’hubris humain, d'oublier les boucles de rétroactions (feedback loops) : le réchauffement humain active des phénomènes naturels qui nourrissent eux-mêmes le réchauffement. Ainsi, même si par un improbable miracle les humains arrivaient à volontairement et drastiquement réduire leurs émissions, ces boucles de rétroactions, qui d'ailleurs sont déjà enclenchées, pourraient précipiter le réchauffement. Notons notamment les feux de forêts, et en particulier l’effondrement de l'Amazonie, qui est l'un des plus gros réservoir de carbone du monde ; la diminution de l'effet albédo à cause de la fonte des glaces de pôles, mais aussi des neiges et glaciers des montagnes ; la fonte du permafrost et le méthane émis en conséquence...
On peut s'attendre à une hausse des eaux de 2 mètres (chiffre très incertain) d'ici la fin du siècle, mais la fonte totale de la plupart des glaces est probablement déjà enclenchée, ce qui fait que hausse ne ferait que croitre par la suite. La montée des eaux tue déjà, par salinisation, des dizaines de milliers d'hectares de forêt. On peut s’attendre à 500 millions de réfugiés avec juste 2 mètres de hausse. Et c'est sans compter les centaines de millions de réfugiés dont les nations deviennent, littéralement, invivables à cause de la chaleur. Et c'est aussi sans compter les famines causées par la sécheresse et la chaleur. Les grands pays exportateurs de grain risquent de ne plus être en mesure de produire de surplus à exporter. Pour chaque degré supplémentaire, sans prendre en compte le manque d'eau, les récoltes baissent de 3 à 8%, en fonction des endroits, et leur qualité nutritionnelle diminue.
Dans l'hémisphère nord, les zones climatiques se déplacent vers le nord à une vitesse... visible à l’œil nu : 20km par an, soit 54 mètres par jour, soit un demi-millimètre par seconde.
Et le drame, le clou dans le cercueil, c'est que l'inévitable idée que les humains, pour lutter contre les effets immédiats du changement climatique, vont devoir brûler du combustible fossile. Avec +2°C, l'Afrique pourrait consommer en 2050, rien que pour l'air conditionné, l'équivalent de l'électricité consommée en tout par les USA, l'Europe et le Japon. Et on le voit partout, à des échelles certes moindres : ici, près de Bordeaux, pour éviter que les vignes éveillées par les chaleurs précoces se fassent assassiner par le gel, on fait bruler des braséros toute la nuit. Et ça sent le cramé en ville.
A +3°C, l’hypothèse très optimiste pour la fin du siècle, on est dans un climat jamais connu par l'espèce humaine. Plus d'un milliard de personnes sont exposées chaque année à des température qui rendent impossibles le travail extérieur. La zone méditerranéenne se désertifie. Les glaciers, pour la plupart, n'existent plus. Il n'y a plus de glace dans les Alpes et bien d'autres massifs, ce qui provoque une aridité croissante dans les bassins habituellement nourris par l'eau de montagne issue des glaces, effet qui touche des centaines de millions de personnes dans le monde. Si à travers son effondrement l'Amazonie relâche la moitié du carbone qu'elle stocke en biomasse et dans ses sols, c'est l'équivalent de 10 ans d'émissions humaines. Nous connaitrons probablement de notre vivant la fin de l'Amazonie, et elle impliquera des feux colossaux.
Depuis 500 millions d'années, il n'y a qu'une occasion où la planète a connu un tel cataclysme lié à l'émission de carbone : l'extinction du Permien-Trias, il y a 252 millions d'années. Les humains n'ont pas encore émis autant de carbone et autres gaz à effet de serre que les probables éruptions volcaniques de l'époque, loin de là, mais... ils le font au moins 10 fois plus vite. Il n'y a donc peut-être jamais eu en 500 MA un réchauffement aussi rapide sur notre planète. Il n'est pas à exclure que ce chemin nous emporte vers un dérèglement total du cycle du carbone qui mène à une "vénusisation" de la Terre par un emballement climatique (runaway greenhouse effect) nourri par les boucles de rétroactions. La probabilité de cette hypothèse est bien sûr difficile à estimer, mais elle est réelle. Et plus on émet de gaz à effet de serre, plus on s'en rapproche.
Cette perspective existentielle n'est qu'une potentialité, mais un réchauffement situé entre 3 et 6 degrés d'ici la fin du siècle est quasi certain, et un tel réchauffement va causer un bouleversement colossal, apocalyptique, des civilisations humaines. Que faire ? Choisir dès maintenant un effondrement plus tolérable en ne brûlant plus de combustibles fossiles et en les laissant tous dans le sol. Est-ce que ça arrivera ? Improbable.
J'invite vivement à la lecture de Climat : dernier avertissement de Mark Lynas, qui bien sûr va beaucoup plus loin dans les chiffres et les détails, avec une montagne de références scientifiques.
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