samedi 3 juillet 2021

Poèmes III

Carel Willink - Siméon le Stylite


Nouvel amas de poèmes, après Poèmes I, Poèmes II et un long machin narratif. Ceux-là commencent à dater un peu, les plus récent sont de janvier. Les sujets comme les formes sont plutôt variés.



        Soleil assassin

Hier, des échos de nouvelle guerre froide
Tensions entre États-nations — modernes croisades
Gouvernements renversés — séniles tyrans
Anciens rites résurgents — religions du sang

Ce matin se lève le soleil assassin
Dernière aube contre laquelle tout est vain
Globe de flammes qui digère l’univers
Rond et croissant comme le ventre d’une mère

Déjà les caresses de la chaleur m’effleurent
Je brûle et pourtant je ne ressens pas de peur
Car il y a longtemps que je suis parti loin

Sur ma poignée de cendres la pluie sera noire
Et les fleurs qui pourront s’en nourrir seront rares
Ce matin se couche le soleil assassin

11/10/20


        Zeitgeist

Jamais une telle chape de plomb n’avait
Annihilé si puissamment l’imaginaire
Des invraisemblables légions qui s’inventaient
Autrefois une fière destinée stellaire.

Le ciel, jadis point d’interrogation, s’est fait
Point de suspension — point final — révélation
Que pas la moindre secte en quête du parfait
N’a su intégrer à sa glauque gestation.

Que les cultes fantomatiques soient bernés,
Certes, rien de neuf pour le voyant, mais nos pleurs
Coulent sur la tombe de la réalité
Tant adorée — pour toi cette gerbe de fleurs.

Moi et mes amis morts depuis longtemps avons
Rêvé à la vie qui pouvait se déchaîner
Dans l’ailleurs si vaste, dans les derniers tréfonds
Que même l’alliée science s’entêtait à nier.

Science, nous pensions — nous espérions précéder
Tes investigations qui sans le moindre doute
Ne tarderaient pas à trouver une entité
Quelconque, une escale sur la longue route.

Hélas, tu ne découvris rien d’autre que les
Bornes qui nous damnent ensemble, ainsi nos pleurs
Coulent sur la tombe de la réalité
Tant adorée — pour toi cette gerbe de fleurs.

4/11/2020



        Un peu d'air

L'herbe au soleil, la rosée du matin
Ne disent rien à rien
Les algues de la jalle hiératique
Se noient dans l’heuristique

Un parc, animal dompté, jouet d’enfant
Beauté, étiolement
Un vieillard seul parmi les herbes mortes
Un vieillard, mon escorte

Dans un champ trop clair pour ceux qui ruminent
La forteresse en ruine
Contraste avec le béton aliéné
Splendeur, terrain privé

Je pars sous le regard accusateur
Rêverie sans labeur
Pavillons, devantures mystifiantes
Le lavoir, son eau lente

Réserve, cabanes d’ornithologues
Eau croupie, analogue
Le héron en cage, c’est mon essence
Marais, mène la danse

Dans le tram, la démence a forme humaine
Dehors, dedans, amen
Surface de Mars, une termitière
Ivre, sans atmosphère

29/11/20



        Vertiges

Obscurantisme qui se porte sur la tête
Résidence des lilas
Béton, érosion, la mort a quatre roues
Grand Filtre, au quotidien
Progrès, progrès, sauvons le bourg
Chronopost s'engage pour la planète
École des métiers de la com, explosion
Jeunes gens qui sourient, épanouis
Ragondin, ce nuisible
Un cimetière sans arbres, tombes stériles
Greenwashing
Publicité Coca Cola lgbt
Le plaisir d'offrir
Une piscine, de l'eau morte
Une flasque, de l'eau-forte
Un chat se réchauffe sur la tôle
Super U, terminus
Descente de tous les voyageurs à bientôt sur nos lignes
Terreur lisse, blanche, pâle, vide
Culture subventionnée
Ville fleurie, territoire labellisé
« N'avalez pas ce que dit la pub » dit la pub
Solitude ? SOS amitié à l'écoute
Parodie, pastiche, une balle dans la tête
Rire, l'esprit, les sens en fête
Exaltation, une ombre de réel
Son du vent dans les roseau secs
Le sang, si rouge, si vif, intarissable
Vertiges, la vie est un liquide trop fluide
Vertiges, mon existence est un pillage
Vertiges, une baie rouge, enfin

01/01/21



        Memento Mori

Je suis mort quand j’avais quelques mois d’âge
Une longue cicatrice déchire
Mes cheveux de toutes façons jamais sages
Et me rappelle que tout pourrait être pire

L’avantage d’être déjà mort
C’est qu’on n’a rien à craindre
Alors quels que soient les coups du sort
Ils peinent à me faire geindre

Rien à perdre, mais aussi rien à gagner
Malédictions de l’indifférence
Et de trop d’amour éparpillé
Me font manquer d’adhérence

Pure matérialité, nihilisme total
Et univers de l’inconséquence
N’empêchent pas amour primal
Et appréciation radicale de l’existence

Conjugaison des forces opposées
Dualité salvatrice et seule vérité
Faire l’amour à la réalité

25/01/21


        Je suis je suis je suis

Il y a des gens qui parlent d’eux-mêmes
Comme s’ils étaient cohérents
But, baby, it’s just a game
Chuchote ce qu’il me reste d’inconscient

Moi-même — allons, je m’offre un Ô
Comme dans les anciens poèmes
Qui accordaient un certain sérieux aux flots
Aujourd’hui réduits à des amas de mèmes

Une balle dans la tête —
Non, pardon, je disais Ô
Existence, éternelle fête
Ô existence, toi qui n’as rien de faux

J’aimerais être aujourd’hui le même qu’hier
À cette heure le même que ce matin
Mais les perpétuelles marées de mes mers
Viennent balayer mon être incertain

Jamais le même
Perpétuel renversement
Il n’y a rien qui tienne
Je suis un effondrement

29/01/21


        La mort de mes grand-parents

Le canon du fusil dans la bouche
Goût du métal, goût malsain
La pression d’un doigt trop peu farouche
Et la cervelle étalée sur le papier peint

Le canon de la cigarette dans la bouche
Goût du tabac, goût malsain
L’inspiration d’une gorge trop peu farouche
Et la corruption des poumons tout de noir repeints

Pour les femmes, c’est au ralenti
Existence physique, mort de l’esprit
Alzheimer

29/01/21

 

        La mort de mon père

Comment est-il possible que la mort de mon père
Soit essentiellement dessinée par mon imagination ?
Réponse : mon oncle et les autres ont tenu à se taire
Et je n’ai pas posé de questions

Enfant, j’ai appris la mort de mon père par intuition
Quand mon oncle au téléphone a voulu parler à ma mère
À travers mon ignorance j’avais déjà percé ces machinations
Avant que les mots ne soient prononcés par ma mère : « Ton père… »

Je me souviens dans l’église aujourd’hui effondrée
De mon cousin qui s’est retourné en souriant
Et sur le moment je l’ai détesté
Avant plus tard de comprendre ce qui est important

Je me souviens des larmes de ma grand-mère
Soutenue par mon oncle, le dernier « homme »
Je crois que moi aussi j’ai jeté une poignée de terre
Mais ma mémoire est floue et ma santé est une gomme

Je connais bien la tombe épurée
Dans le cimetière du village où nous étions châtelains
Village où j’ai écoulé tant d’étés
Et où désormais nous ne sommes plus rien

Je me souviens si bien du médiocre palace
Et de son terrain qui m’a fait aimer la boue
Certes, je préférais lire sur la terrasse
Mais c’est là que la terre m’a fait aimer son goût

Je me souviens des dessins faits par les prisonniers allemands
Et de la cave qui m’effrayait
Le coq du clocher criblé de balles tirées par mon père inconscient
Et la salvia divinorum qui m’enfumait

Je me souviens de la gâchette sous mes doigts
Je me souviens des tonneaux de cidre gâché
Je me souviens des vaches au ventre gras
Et de mes cousins avec qui je me suis tant enivré

Mon oncle, faute de nouvelles
Est allé chez mon père
Il a trouvé un cadavre — amen !
Et ce cadavre était mon père

Comment est-il possible que la mort de mon père
Soit essentiellement dessinée par mon imagination ?
Réponse : certaines morts sont délétères
Et le remède est fantasmé dans l’omission

29/01/21

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