dimanche 19 août 2018

Sapiens : A Brief History Of Humankind - Yuval Noah Harari

Sapiens : A Brief History Of Humankind - Yuval Noah Harari


Yuval Noah Harari distingue trois étapes majeures dans l'évolution humaine : la révolution industrielle, la révolution agricole et la révolution cognitive, il y a 70000 ans. Cette dernière, moins connue que les autres, donne au livre son argument principal : homo sapiens devrait son succès à sa capacité à créer de la fiction. Mais avant d'aller plus loin là-dessus, l'auteur revient sur un détail souvent oublié : « The real meaning of the word human is "an animal belonging to the genus Homo", and there use to be many other species of this genus besides Homo sapiens. » (p.5) En effet, les Neandertal, Homo denisova, Homo ergaster et les autres vivaient en même temps qu'Homo sapiens. Après la révolution cognitive, sapiens a été en mesure d'éradiquer ses concurrents. Selon l'auteur, la taille maximale d'un groupe pouvant communiquer par le langage est de 150 individus, ce qui est déjà mieux que les chimpanzés par exemple, qui sont rarement plus de 100. Le langage favorise l'échange d'informations et donc la cohésion du groupe, mais il a ses limites. Du coup, ce seraient les mythes (la religion est l'exemple le plus parlant) qui permettraient la cohésion de sociétés plus vastes. Les individus, même s'ils ne se connaissent pas personnellement, peuvent plus aisément de faire confiance s'il partagent les mêmes croyances, la même imagination collective. Or, l'imagination collective peut changer à une très grande vitesse, contrairement aux gènes. La révolution cognitive serait ainsi la capacité pour l'homo sapiens de ne plus avoir à attendre les évolutions génétiques pour pouvoir modifier drastiquement son ordre social.

Plus loin, l'auteur argumente que la révolution agricole a eu pour conséquence une baisse du niveau de vie humain. On peut penser au remplacement d'un régime varié à un régime unique, qui en plus d'être inadapté d'un point de vue nutritionnel soumet les populations à la menace d'une mauvaise récolte, et, moins évident, au développement des guerres. « The early farmers were at least as violent as their forager ancestors, if not more so. Farmers had more possessions and needed land for planting. The loss of pasture land to raidind neighbours could mean the difference between subsistance and starvation, so there was much less room for compromise. When a foraging band was hard-pressed by a stronger rival, it could usually move on. It was difficult and dangerous, but it was feasible. When a strong ennemy threatened an agricultural village, retreat meant giving up fields, houses and granaries. In many cases, this doomed the refugees to starvation. Farmers, therefore, tended to stay and put and fight to the bitter end. » (p.92) Mais d'un point de vue évolutionnaire la révolution agricole reste un succès : « This is the essence of the agricultural revolution : the ability to keep more people alive under worse conditions. »

Revenons sur la capacité de l'homme à créer de la fiction. Comment accepte-t-il cette fiction comme une réalité ? Yuval Noah Harari distingue trois causes :
  • L'ordre imaginé est incorporé dans le mon matériel. Exemple : les occidentaux actuels croient en l'individualisme. Conséquence : ils construisent leurs habitats autour de pièces individuelles. Ainsi, la notion d'espace privé semble aller de soi. A l'inverse, un adolescent médiéval n'avait pas d'espace privé.
  • L'ordre imaginé façonne nos désirs. Exemple : le désir de vivre des expériences, comme les voyages, jugées importantes pour l'épanouissement personnel, est façonné par des valeurs comme le consumérisme et le romantisme. A l'inverse, « a wealthy man in ancient Egypt would never have dreamed of solving a relationship crisis by taking his wife on holyday to Babylon. Instead, he might have built for her the sumptuous tomb she has always wanted. » (p.130)
  • L'ordre imaginé est inter-subjectif. C'est à dire que, contrairement à un phénomène objectif qui existe indépendamment de la conscience et des croyances humaines, et contrairement à un phénomène subjectif qui existe uniquement dans la conscience et les croyances d'un seul individu, un phénomène inter-subjectif existe dans les liens reliant plusieurs subjectivités. « If a single individual changes his or her beliefs, or even dies, it is of little importance. However, if most individuals in the network die or change their beliefs, the inter-subjective phenomenon will mutate or disappear. » (p.132)

Yuval Noah Harari consacre des chapitres aux trois ordres universaux qui ont forgé la société humaine : l'ordre économique (monétaire), l'ordre politique (impérial) et l'ordre religieux. Je crois que c'est ce dernier qui m'a le plus intéressé. L'auteur associe la révolution agricole à une révolution religieuse : « Hunter-gatherers picked and pursued wild plants and animals, witch could be seen as equal in status to homo sapiens. The fact that man hunted sheep did not make sheep inferior to man, just as the fact that tigers hunted man did not make man inferior to tigers. Beings communicated with one another directly and and negociated the rules governing their shared habitats. In contrast, farmers owned and manipulated plants and animals, and could hardly degrade themselves by negociating with their possessions. Hence the first religious effet of the agricultural revolution was to turn plants and animals from equal members of a spiritual round table into property. » (p.236) Les dieux auraient été des médiateurs entre les hommes et les plantes et animaux devenus muets après la dégradation de l'animisme. Un petit rappel concernant le polythéisme : « The fundamental insight of polytheism, witch distinguishes it from monotheism, is that the suprem power governing the world is devoid of interests and biases, and therefore it is unconcerned with the mundane desires, cares and worries of humans. It's pointless to ask this power for victory in war, for health of for rain, because from its all-encompassingvantage point, it makes no difference whether a particular kingdom wins or loses, whether a particular city prospers or withers, whether a particular person recuperates or dies. The Greeks dis not waste any sacrifices on Fate, and Hindus built no temple to Atman. » La conséquence de ces croyances est la suivante : « The insight of polytheism is conducive to far-reaching religious tolerance. Since polytheists believe, on the one hand, in one supreme and completly disinterested power, and in the other hand in many partial and biased powers, there is no difficulty for the devotees of one god to accept the existence and efficacity of other gods. Polytheism is inherently open-minded, and rarely persecutes "heretics" and "infidels". » (p.239) Ainsi, dans les 300 ans entre la crucifixion du Christ et la conversion de l'empereur Constantin, les romains n'auraient pas tué plus de quelques milliers de chrétiens. Et ce n'était pas à cause du dieu qu'ils vénéraient, mais à cause de leur refus d'accepter les dieux traditionnels. Ajouter un dieu n'est pas un souci pour le polythéisme. L'auteur rappelle la survie du polythéisme dans le monothéisme : « Christianity, for exemple, developed its own pantheon of saints, whose cults differed little from those of the polytheistic gods. » (p.244) C'est particulièrement frappant dans l'orthodoxie, comme j'ai pu le voir en Grèce : les orthodoxes vénèrent des saints et embrassent leurs images. C'est vu comme une façon de se rapprocher de Dieu en se rapprochant des élus qui été proches de Dieu. Les monothéismes portent également beaucoup de traces des dualismes : «Another key dualistic concept, particulary in Gnosticism and Manichaeanim, was the sharp distinction between body and soul, between matter and spirit. Gnostics and Manichaeans argued that the good god created the spirit and the soul, whereas matter and bodies are the creation of the evil god. Man, according to this view, serves as a battleground between the good soul and the evil body. From a monotheistic perspective, this is nonsense - why distinguish between so sharply between body and soul, or matter and spirit ? And why argue that body and matter are evil ? Afterall, everything was created by the same good god. But monotheists could not help but be captivated by dualist dichotomies, precisely because they helped them adress the problem of evil. » (p.248)

Pour expliquer la montée de l'esprit scientifique en Europe à l'occasion de la renaissance, l'auteur utilise un exemple particulièrement bien trouvé, avec deux illustrations. Une carte du monde de 1459, d'origine européenne, est entièrement complète, quitte à dessiner des côtes fictives : ainsi, le monde est fermé, contrôlé. A l'inverse, une autre carte, de 1525, est essentiellement constitué de vide. Les parties du monde inconnues sont, sur la carte, admises comme inconnues. L'acceptation de l'ignorance est le premier pas vers la connaissance.

Je fatigue un peu, alors je me résous à être plus concis pour la suite. Un autre chapitre qui m'a passionné est celui sur le capitalisme. Ayant plutôt tendance à fréquenter des courants de pensée ayant un rapport plus ou moins hostile au capitalisme, c'est une bouffée d'air frais que d'avoir ici un tour d'horizon des ses bienfaits. Pas que des bienfaits, bien sûr : mais je suis moins familier avec les qualités historiques du capitalisme qu'avec ses défauts modernes. Yuval Noah Harari explique très bien le développement du concept d'investissement, qui, grâce à la puissance d'une toute nouvelle foi en l'avenir liée au développement de la science, permet une accélération inédite du progrès humain.

La dernière partie, qui s’intéresse à l'avenir, peut sembler franchement banale pour qui lit un peu de science-fiction. L'avant dernière partie en revanche, qui s'intéresse au bonheur, est captivante car elle mêle notions de philosophie et recherche scientifique. En somme, Sapiens : A Brief History Of Humankind est un bouquin qui charme par la variété de toutes les idées qui en débordent et par le vaste recul pris par l'auteur, qui aborde l'humanité un peu comme une blague cosmique et frise ainsi régulièrement l'humour. A moins que ce ne soit que mon propre regard.

480 pages, 2011, vintage

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