jeudi 23 août 2018

Le Vrai Classique du vide parfait - Lie-Tseu


Le Vrai Classique du vide parfait - Lie-Tseu

Un classique du taoïsme au format un peu surprenant. C'est essentiellement un recueil de fables philosophiques, imprégnées de mythologie et de magie. En extraire le contenu philosophique est souvent ardu. Je ne crois pas que l'ensemble soit le travail unifié d'un seul auteur, ça ressemble plutôt à recueil composé en patchwork. Comme c'est précisé en préface, Le Vrai Classique aide un peu le novice à comprendre la différence entre taoïsme et confucianisme (Confucius est un personnage qui apparait régulièrement au cours des aphorismes). Alors que le taoïsme prône le détachement du monde, le non-être, le confucianisme est plus orienté vers une « activité diligente au sein du corps social ». (p.27) Voilà une opposition qui ressemble fortement à celles de l'antiquité européenne. Ainsi, Confucius ne comprend guère les taoïstes :
Confucius demanda : « Maître, qu'est-ce qui vous rend si joyeux ? » L'autre répondit : « Mes joies sont multiples. Parmi les dix mille choses que le ciel créa, l'être humain est le plus noble ; or, je suis un être humain. Voilà ma première joie. [...] Le sort normal du sage est d'être pauvre, le destin de l'homme est de mourir. Pourquoi m'attrister alors que mon sort est normal et que mon destin est celui de tous les humains ? » Confucius dit : « Heureux qui peut être aussi détaché. » (I, 5)
Un exemple de ce concept troublant qu'est le non-être :
Quelqu'un s'adressa au philosophe Lie tseu et lui demanda : « Pourquoi tenez-vous le vide en si grand estime ? » Lie tseu répondit : « Le vide n'a que faire de l'estime. Si l'on veut être sans nom, rien ne vaut le silence, rien ne vaut le vide. Par le silence et le vide, on atteint ses demeures. Mais celui qui prend, celui qui donne perd ses demeures. Quand les choses de ce monde se gâtent, il y a des gens qui s'évertuent à vouloir les réparer au moyen de la vertu et des devoirs, mais bien en vain ! » (I, 9)
Et, tout aussi troublant, le portrait d'un sage qui reste souvent immobile comme une statue et ne parle pas :
Quand on a obtenu ce qu'on demandait, pourquoi encore parler ? Ainsi le sage se tait quand il a trouvé la vérité. Le silence de Nan kouo tseu est plus significatif qu'aucune parole. Son air d'indifférence recouvre une science parfaite. Cet homme ne parle ni ne pense plus, car il sait tout. Cela n'a rien d'étrange. (IV, 5)
Toujours dans le même genre, le mot troublant étant encore une fois adapté (je me demande dans quelle mesure cette pensée est liée à la vision d'un monde stable, où la notion de progrès n'existe guère) :
 Yang Tchou dit : « Celui qui fait le bien le fait non pas en vue de la renommée ; cependant cette dernière le suit. La renommée n'a rien à voir avec le profit, cependant le profit la suit. Le profit n'a rien à voir avec les disputes, cependant au profit s'attachent les disputes. C'est pourquoi l'homme de bien se gardera de faire le bien. » (VII, 31)
Un passage qui me rappelle Marc Aurèle ou Sénèque, mais avec en plus un détachement plus fort, presque désinvolte :
Maître Lie tseu dit en souriant : « Celui qui prétend que le ciel et la terre s'abîmeront ne sait pas de quoi il parle. Celui qui prétend qu'ils ne s'abîmeront pas est également dans l'erreur. Si le monde doit finir ou non, c'est ce que nous ignorons. En tout cas que l'un prétende ceci, que l'autre prétende cela, c'est tout un. Les vivants ne comprennent pas la mort, les morts ne comprennent pas la vie. L'avenir ne comprend pas le passé, le passé ne comprend pas l'avenir. Que le monde ait une fin ou non, pourquoi nous encombrer l'esprit de ce souci ? » (I, 11)
 Un aphorisme particulièrement limpide et à la prose envoutante :
 Long Chou s'adressa à Wen Tche et dit : « Votre art est subtil et j'ai une maladie. Pouvez-vous la guérir ? » Wen Tche dit : « Je suis à votre disposition, mais j'attends que vous m’indiquiez les signes de votre maladie. » Long Chou s'expliqua : « La louange de mes concitoyens ne me procure pas la satisfaction de l'honneur et je ne ressens pas de la honte à cause de leur blâme. Le gain ne me réjouit pas et la perte ne m'afflige pas. Je considère la vie à l'égal de la mort et la richesse à l'égal de la pauvreté. Quant aux humains, ils me paraissent valoir autant que des porcs et moi-même je me considère comme les autres. Je vis au sein de ma famille comme un voyageur à l’auberge. Ma patrie est pour moi comme un pays étranger. A l'encontre de ces défauts, dignités et récompenses sont sans effet ; blâmes et châtiments ne m'effraient pas ; grandeur et décadence, profits et pertes n'y feraient rien, non plus que les deuils et les joies. C'est pourquoi je n'ai aucune aptitude à servir le prince ni à entretenir des rapports normaux avec mes parents et mes amis, avec ma femme et mes enfants, et je gouverne mal mes domestiques. De quelle sorte de maladie suis-je affligé et comment m'en guérir ? »  Wen Tche fit tourner Long Tchou le dos à la lumière et lui-même se mit derrière son patient pour examiner sa silhouette qui se découpait dans la lumière. Il dit alors : « Je vois bien votre cœur : c'est un pouce carré de vide ! Vous êtres presque comme un saint. Six ouvertures de votre cœur sont parfaitement libres et une seule ouverture reste fermée. Par le temps qui court, on tient la sainte sagesse pour maladie. Sans doute est-ce là votre maladie. A cela, je ne connais pas de remède. » (IV, 8)
Cette fois, on croirait vraiment lire un stoïque :
Parmi les gens de Wei on trouvait un homme du nom de Wou, de Tong-men. La mort de son fils ne l'affectait en aucune façon. L'intendant de la maison lui dit : « Nulle part dans le monde, on ne trouverait personne qui aimât autant que vous votre fils et, maintenant qu'il est mort, vous n'en ressentez aucune tristesse. Est-ce possible ? » Wou de Tong-men dit : « Il y eut un temps où je n'avais pas de fils : à cette époque, je ne ressentais aucune tristesse. Maintenant mon fils est mort : je suis revenu de nouveau au temps où je n'avais pas d'enfant. Pourquoi serai-je triste ? » (VI, 13)
 Et pour conclure, une petite destruction de l'anthropocentrisme :
T'ien de Ts'i donnait un banquet dans la salle des ancêtres. Mille invités y prenaient part. Lorsqu'un apporta à table des poissons et des oies, il les considéra en soupirant : « Comme le ciel est généreux, dit-il, envers les hommes. Il leur donne les cinq céréales. Pour leur usage, il fait naître les poissons et les oies. » Tous les hôtes approuvèrent bruyamment. Mais le fils du seigneur P'ao, âgé de douze ans, exposa ses méditations à ce sujet en disant : « Cela ne se passe pas comme l'affirme le maître de céans. Tous les êtres, dans le monde, possèdent une vie de même qualité que la nôtre. Il n'y en a pas de nobles et de vils, mais les uns surpassent les autres par la taille, la ruse et la force et non pas parce que les uns seraient nés pour les autres. Ce que l'homme trouve comestibles, il le mange. Mais il n'a pas été créé à l'origine par le ciel pour les hommes. Les cousins et les moustiques provoquent sur notre peau des piqûres, les loups et les tigres nous dévorent. Cela ne signifie nullement que le ciel a produit, à l'origine, l'homme et sa chair pour les cousins et les moustiques, pour les loups et les tigres. » (VIII, 28)
252 pages, folio

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