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samedi 23 mai 2020

Confessions of a recovering environmentalist - Paul Kingsnorth

Confessions of a recovering environmentalist - Paul Kingsnorth
I thought then, and still think, that the momentum of the global civilisation we have built is unstoppable, and that its conclusion will be either its own collapse, the destruction of most life on Earth or the refashioning of Earth entirely in the image and interests of modern human beings. Either way, the oil tanker is not turning around now, despite the heroic efforts of many. ‘The best intentions in the world’, wrote Snyder to Berry, ‘will not stop the inertia of a heavy civilisation that is rolling on its way.’ That was in 1977.

De Paul Kingsnorth, j'ai lu il y a quelques temps l'article Dark Ecology, qui est inclus dans ce recueil. Confessions of a recovering environmentalist (2017) n'est pas pour moi un livre facile à commenter. Parce que c'est une suite d'articles, certes, mais surtout parce que le sujet principal est le problème de la civilisation. L’inexorabilité du désastre et le mythe du progrès. C'est bien écrit, globalement pertinent et ça ne tourne pas en rond malgré les liens évidents entre les articles. Pourtant, il ressort de tout ça une forte impression de confusion, parce qu'il n'y a pas de solution crédible aux problèmes évoqués, et c'est bien le propos. J'ai énormément pensé à ma propre expérience. Par exemple, je vis à Bordeaux depuis pas mal d'années, une ville dynamique, comme on dit, et quand je me balade, je suis horrifié par la frénésie de construction. Des grues, du bruit, des travaux, d'ignobles et gigantesques blocs de béton qui s'élèvent. Puis quand un quartier est envahi par des bâtiments neufs et modernes, on passe au quartier suivant, on ajoute encore, on élève, on bâtit. Vraiment, ce spectacle éveille en moi une horreur existentielle : la croissance aveugle, cancéreuse, dévorante ; une force sans conscience et sans but, qui avance et avance encore, probablement vers un précipice. Et en même temps, je ne nie pas la valeur du progrès, de la prospérité : j'ai visité d'autres villes où la moitié des commerces étaient fermés et délabrés. Sans doute, ce n'est pas mieux. Alors je suis comme bloqué, piégé, je ne crois plus au progrès, plus du tout, du moins pas en ce progrès débridé et aveugle, mais je n'ai rien à mettre à la place, je n'ai pas de foi civilisationnelle. Je suis horrifié par le gigantisme, mais je crains qu'il soit inéluctable.

Comme il se doit, Kingsnorth critique les techno-utopistes, qui oublient que la majorité de la « prospérité » est offerte gratuitement, mais pas perpétuellement, par la biosphère : l'air, la terre, l'océan, les rivières, les ressources fossiles... Ils accusent les critiques du progrès de fantasmer sur le passé, mais eux-mêmes fantasment sur l'avenir, attitude encore plus proche de la foi, car l'avenir, contrairement au passé, se prête à tous les rêves. Kingsnorth évoque l'échec des environnementalistes, qui trop souvent se concentrent sur le carbone et plongent dans le mythe réconfortant de la croissance verte. Il évoque l'échec de l'utopie multiculturaliste, qui avec l'économie globalisée contribue à détruire tout sentiment d'appartenance, tout lien à la terre, avec l’environnement. Comme si les êtres humains pouvaient se satisfaire d'être des atomes décentralisés, livrés à la gravité volage d'un marché mondial. Enfin, qui sait ? Peut-être qu'ils le peuvent : je n'ai pas percé le code instable de la nature humaine.
A nation is a story that a people chooses to tell about itself, and at its heart is a stumbling but deep-felt need for those people to be connected to the place they live and to each other. Humans in all times and places have needed ancestors, history, a place to be and a sense of who they are as a collective, and modernity and rationalism have not abolished these needs. They are needs that stimulate great passions, which in turn can do great harm, as history has shown time and again, but they are unlikely ever to go away.[...]
If an identity is an alliance between people and places, then airport-lounge modernity means taking the places out of the picture. All that is left is people who could be anywhere: citizens of nowhere, consumers of objects and experiences, connected by their little screens, the same white light shining into their faces from Doncaster to Dubai.
Je pense à Lovecraft, qui fuit le chaos de New York pour revenir à la familiarité de Providence. Je comprends son sentiment, je suis certain que beaucoup de gens le comprennent plus ou moins consciemment, mais la plupart d'entre nous n'ont pas de Providence où revenir.
Large-scale immigration is not, as some of its more foaming opponents believe, a conspiracy by metropolitan liberals to destroy English identity. It is a simple commercial calculation. It may cause overcrowding and cultural tension; it may be economically traumatic for some people, and it may drain poorer countries of their own talent, but it is undoubtedly good for growth, which is why ‘business leaders’ consistently call for more of it. Immigrants are easier to exploit and underpay, and often prepared to work harder and accept fewer rights. If you believe, as our politicians apparently do, that what’s good for business is good for everyone, and that a nation is little more than a machine for competing in a ‘global race’, then mass immigration is an entirely sensible proposition. [...]
Sometimes, when I look at history, I think that identity is the root of all evil. Sometimes, when I look at the present, I think that we will be lost without it.
Kingsnorth, comme moi, s'est beaucoup nourri de science-fiction pendant son enfance, mais le choc du réel a balayé toutes ces potentialités. Oh, pas totalement : qui sait ce qui peut arriver sur le long terme ? Tout peut arriver. Pourtant, pour le siècle à venir, il n'y a pas grand chose d'autre que la perspective d'une croissance quantitative (plus d'humains, plus d'industrie, plus de destruction) couplée à un déclin global, un désastre environnemental : bref, la certitude de l'effondrement, d'un recul du niveau de vie, de guerres de l'eau, de vagues toujours plus massives d'immigration, causées par le changement climatique, qui ne manqueront pas d'éroder ce qu'il reste des démocraties occidentales en invoquant des réations de repli. La ligne est fine entre lucidité et catastrophisme. J'essaie de me méfier du catastrophisme, car je sais qu'il peut être tristement réconfortant : imaginer le monde brûler, c'est se libérer de la complexité écrasante du réel et de ses propres échecs, car, finalement, rien n'importerait. Il y a aussi le poids de la culpabilité individuelle, la quasi-impossibilité de ne pas être un rouage dans le système que l'on critique. Le plus simple, bien sûr, c'est de ne pas y songer et de se faire son terrier.

jeudi 21 novembre 2019

Dark Ecology - Paul Kingsnorth


Mikalojus Konstantinas Ciurlionis - The Goat - 1904

Cet article de 2012 lisible par ici tente de faire de faire le point sur l'échec des mouvements environnementalistes et, plus globalement, sur le rapport intime à la certitude de l'effondrement. Je vais commencer par critiquer une certaine idéalisation du primitif. C'est presque de la mauvaise foi de ma part, parce que Paul Kingsnorth est bien conscient de ce piège, mais j'ai pourtant l'impression qu'il tombe dedans. Par exemple :
If there was an age of human autonomy, it seems to me that it probably is behind us. It is certainly not ahead of us, or not for a very long time.
Ou encore, à propos de l'apologie du travail manuel qu'il fait au long de son texte avec l'exemple de la faux :
You concentrate without thinking, you follow the lay of the ground with the face of your blade, you are aware of the keenness of its edge, you can hear the birds, see things moving through the grass ahead of you. Everything is connected to everything else, and if it isn’t, it doesn’t work.
Et il cite notamment Anna Karenine qui, en effet, est tout à fait lié à ces problématiques. Je ne veux pas dire que les idées qu'il exprime ici sont fausses. En effet la technique prive l'humain de bien des choses. En effet le travail manuel possède une valeur intrinsèque. Mais un mode de vie ne prend l'essentiel de sa valeur que comparé à d'autres et, en effet, si on compare le meilleur de l'antique (via ses exemples) et le pire de la modernité, la conclusion est claire. Mais le fait est qu'on peut très aisément comparer le pire de l'antique au meilleur de la modernité. L'argument suprême est que la modernité est un grand suicide ; ce à quoi je réponds (sans certitude) que la la modernité n'est que la conséquence, la suite logique, de l'antique.

Je développe, au risque de faire du straw man envers un potentiel primitivisme. J'ai une vision du développement assez déterministe forgée partiellement en lisant Jared Diamond et une certaine biologie comportementale évolutionnaire (une telle chose existe-t-elle ?) comme Wired for Culture : si une entité civilisationnelle peut maintenir une certaine cohérence quand elle est livrée à elle-même, c'est dans la compétition que la course en avant est inévitable. Ainsi si la Chine et le Japon antiques pouvaient rester relativement figés, en Europe, notamment à partir de la renaissance, la compétition entre une multitude d'unités civilisationnelles en contact direct ne laisse pas d'autre choix que la course en avant. Si dix pays font des choix conservateurs mais que le onzième se fait progressiste, en finançant Christophe Colomb par exemple, ou en brulant du charbon, alors les dix autres suivront par choix ou par coercition, ce qui est arrivé à la Chine et au Japon. Ainsi à moins de faire du monde une unique entité civilisationnelle, la stabilité technique et sociale est impossible. Et même si le monde s'unifie d'une façon ou d'une autre, ce n'est qu'un ralentissement, pas un point final. Bref, tout projet qui nie le "progrès" (j'utilise le terme d'une façon dénuée de valeur, on pourrait le remplacer par "évolution" ou "changement") me semble voué à l'échec car basé sur des prémisses erronées. Mais, bien sûr, et pour ne pas déformer le propos de Paul Kingsnorth, la nature de ce "progrès" n'est peut-être pas déterminée. Peut-être, car j'ai tendance à supposer que le "progrès" le plus extrême écrase le plus modéré.

Paul Kingsnorth ne serait sans doute pas d'accord puisqu'il m'a l'air d'avoir un point de vue constructiviste :
To ask that question in those terms is to misunderstand what is going on. Brushcutters are not used instead of scythes because they are better; they are used because their use is conditioned by our attitudes toward technology. Performance is not really the point, and neither is efficiency. Religion is the point: the religion of complexity.
Encore une fois l'exemple est assez indéniable... quand on reste au point de vue individuel. Nier que les débroussailleuses soient, globalement, plus efficaces que les faux, me semble un mauvais point de départ. Mieux vaut admettre l'efficacité des débroussailleuses, mais faire remarquer que l'efficacité optimale dans une tâche précise n'est pas un objectif valable : il faut prendre en compte l'impact de l'outil sur l’environnement et l'humain. Dans ce cas, malgré son efficacité moindre, la faux gagne certainement le duel. Mais le fait est que le raisonnement de Paul Kingsnorth (ou le mien d'ailleurs) ne convaincra pas grand monde, ainsi la conclusion globale est pessimiste :
What does the near future look like? I’d put my bets on a strange and unworldly combination of ongoing collapse, which will continue to fragment both nature and culture, and a new wave of techno-green “solutions” being unveiled in a doomed attempt to prevent it. I don’t believe now that anything can break this cycle, barring some kind of reset: the kind that we have seen many times before in human history. Some kind of fall back down to a lower level of civilizational complexity.
Si j'approuve le point de vue global, un détail (que je croise régulièrement) me chiffonne : en quoi le reset changerait quoi que ce soit ? C'est un peu comme cet argument que j'ai beaucoup entendu à propos de l’élection de Trump : "Au moins ça va faire prendre conscience aux gens que..." Mais non ! Il n'y a pas de prise de conscience, il n'y a qu'un abaissement général. Comme si une guerre mondiale servait à empêcher la suivante. Comme si l'humanité post-effondrement (qui devra de toutes façons affronter un monde mille fois plus hostile) aurait une nature différente. (Solution, donc, dans la modification de cette nature, comme dans The Hedonistic Imperative ?) Ainsi, à mes yeux, le progress trap suivant, bien qu'il soit parfaitement juste, n'est pas, en soi, un bon argument contre le progrès :
This is the progress trap. Each improvement in our knowledge or in our technology will create new problems, which require new improvements. Each of these improvements tends to make society bigger, more complex, less human-scale, more destructive of nonhuman life, and more likely to collapse under its own weight.
C'est parfaitement juste, donc, et une critique valide contre la modernité en général. Mais pas contre le progrès, puisque tout est un progrès à un moment ou à un autre, y compris la faux que défend tant Paul Kingsnorth (et il y en conscience). Ainsi le progrès n'est pas en cause, c'est l'ordre social et économique qui l'est, et son inertie est colossale. Pour conclure son article très sombre (comme l'indique son titre), Kingsnorth donne cinq pistes:
  1. La retraite. L'inaction comme vertu. Un peu d'ascétisme, un peu de désobéissance civile à la Thoreau.
  2. Préserver la vie non humaine. En tant que campagnard, il propose des solutions matérielles, actives, et ne mentionne pas le végétarisme. En tant que citadin, je n'ai que le végétarisme et ses variantes à proposer.
  3. Mettre les mains à la terre. Pour moi, qui habite dans un cube en centre ville, le point le plus difficile, mais certainement pas le moins valable.
  4. Garder et transmettre l'idée d'une valeur inhérente à la nature, au-delà de l'utilité à l'humain.
  5. "Construire des refuges." Il ne s'agit pas de construire des bunkers pour se préparer à l'apocalypse. Les refuges peuvent prendre bien des formes face à un effondrement qui pourra prendre bien des formes. Un tissu social est un refuge.