jeudi 21 novembre 2019

Dark Ecology - Paul Kingsnorth


Mikalojus Konstantinas Ciurlionis - The Goat - 1904

Cet article de 2012 lisible par ici tente de faire de faire le point sur l'échec des mouvements environnementalistes et, plus globalement, sur le rapport intime à la certitude de l'effondrement. Je vais commencer par critiquer une certaine idéalisation du primitif. C'est presque de la mauvaise foi de ma part, parce que Paul Kingsnorth est bien conscient de ce piège, mais j'ai pourtant l'impression qu'il tombe dedans. Par exemple :
If there was an age of human autonomy, it seems to me that it probably is behind us. It is certainly not ahead of us, or not for a very long time.
Ou encore, à propos de l'apologie du travail manuel qu'il fait au long de son texte avec l'exemple de la faux :
You concentrate without thinking, you follow the lay of the ground with the face of your blade, you are aware of the keenness of its edge, you can hear the birds, see things moving through the grass ahead of you. Everything is connected to everything else, and if it isn’t, it doesn’t work.
Et il cite notamment Anna Karenine qui, en effet, est tout à fait lié à ces problématiques. Je ne veux pas dire que les idées qu'il exprime ici sont fausses. En effet la technique prive l'humain de bien des choses. En effet le travail manuel possède une valeur intrinsèque. Mais un mode de vie ne prend l'essentiel de sa valeur que comparé à d'autres et, en effet, si on compare le meilleur de l'antique (via ses exemples) et le pire de la modernité, la conclusion est claire. Mais le fait est qu'on peut très aisément comparer le pire de l'antique au meilleur de la modernité. L'argument suprême est que la modernité est un grand suicide ; ce à quoi je réponds (sans certitude) que la la modernité n'est que la conséquence, la suite logique, de l'antique.

Je développe, au risque de faire du straw man envers un potentiel primitivisme. J'ai une vision du développement assez déterministe forgée partiellement en lisant Jared Diamond et une certaine biologie comportementale évolutionnaire (une telle chose existe-t-elle ?) comme Wired for Culture : si une entité civilisationnelle peut maintenir une certaine cohérence quand elle est livrée à elle-même, c'est dans la compétition que la course en avant est inévitable. Ainsi si la Chine et le Japon antiques pouvaient rester relativement figés, en Europe, notamment à partir de la renaissance, la compétition entre une multitude d'unités civilisationnelles en contact direct ne laisse pas d'autre choix que la course en avant. Si dix pays font des choix conservateurs mais que le onzième se fait progressiste, en finançant Christophe Colomb par exemple, ou en brulant du charbon, alors les dix autres suivront par choix ou par coercition, ce qui est arrivé à la Chine et au Japon. Ainsi à moins de faire du monde une unique entité civilisationnelle, la stabilité technique et sociale est impossible. Et même si le monde s'unifie d'une façon ou d'une autre, ce n'est qu'un ralentissement, pas un point final. Bref, tout projet qui nie le "progrès" (j'utilise le terme d'une façon dénuée de valeur, on pourrait le remplacer par "évolution" ou "changement") me semble voué à l'échec car basé sur des prémisses erronées. Mais, bien sûr, et pour ne pas déformer le propos de Paul Kingsnorth, la nature de ce "progrès" n'est peut-être pas déterminée. Peut-être, car j'ai tendance à supposer que le "progrès" le plus extrême écrase le plus modéré.

Paul Kingsnorth ne serait sans doute pas d'accord puisqu'il m'a l'air d'avoir un point de vue constructiviste :
To ask that question in those terms is to misunderstand what is going on. Brushcutters are not used instead of scythes because they are better; they are used because their use is conditioned by our attitudes toward technology. Performance is not really the point, and neither is efficiency. Religion is the point: the religion of complexity.
Encore une fois l'exemple est assez indéniable... quand on reste au point de vue individuel. Nier que les débroussailleuses soient, globalement, plus efficaces que les faux, me semble un mauvais point de départ. Mieux vaut admettre l'efficacité des débroussailleuses, mais faire remarquer que l'efficacité optimale dans une tâche précise n'est pas un objectif valable : il faut prendre en compte l'impact de l'outil sur l’environnement et l'humain. Dans ce cas, malgré son efficacité moindre, la faux gagne certainement le duel. Mais le fait est que le raisonnement de Paul Kingsnorth (ou le mien d'ailleurs) ne convaincra pas grand monde, ainsi la conclusion globale est pessimiste :
What does the near future look like? I’d put my bets on a strange and unworldly combination of ongoing collapse, which will continue to fragment both nature and culture, and a new wave of techno-green “solutions” being unveiled in a doomed attempt to prevent it. I don’t believe now that anything can break this cycle, barring some kind of reset: the kind that we have seen many times before in human history. Some kind of fall back down to a lower level of civilizational complexity.
Si j'approuve le point de vue global, un détail (que je croise régulièrement) me chiffonne : en quoi le reset changerait quoi que ce soit ? C'est un peu comme cet argument que j'ai beaucoup entendu à propos de l’élection de Trump : "Au moins ça va faire prendre conscience aux gens que..." Mais non ! Il n'y a pas de prise de conscience, il n'y a qu'un abaissement général. Comme si une guerre mondiale servait à empêcher la suivante. Comme si l'humanité post-effondrement (qui devra de toutes façons affronter un monde mille fois plus hostile) aurait une nature différente. (Solution, donc, dans la modification de cette nature, comme dans The Hedonistic Imperative ?) Ainsi, à mes yeux, le progress trap suivant, bien qu'il soit parfaitement juste, n'est pas, en soi, un bon argument contre le progrès :
This is the progress trap. Each improvement in our knowledge or in our technology will create new problems, which require new improvements. Each of these improvements tends to make society bigger, more complex, less human-scale, more destructive of nonhuman life, and more likely to collapse under its own weight.
C'est parfaitement juste, donc, et une critique valide contre la modernité en général. Mais pas contre le progrès, puisque tout est un progrès à un moment ou à un autre, y compris la faux que défend tant Paul Kingsnorth (et il y en conscience). Ainsi le progrès n'est pas en cause, c'est l'ordre social et économique qui l'est, et son inertie est colossale. Pour conclure son article très sombre (comme l'indique son titre), Kingsnorth donne cinq pistes:
  1. La retraite. L'inaction comme vertu. Un peu d'ascétisme, un peu de désobéissance civile à la Thoreau.
  2. Préserver la vie non humaine. En tant que campagnard, il propose des solutions matérielles, actives, et ne mentionne pas le végétarisme. En tant que citadin, je n'ai que le végétarisme et ses variantes à proposer.
  3. Mettre les mains à la terre. Pour moi, qui habite dans un cube en centre ville, le point le plus difficile, mais certainement pas le moins valable.
  4. Garder et transmettre l'idée d'une valeur inhérente à la nature, au-delà de l'utilité à l'humain.
  5. "Construire des refuges." Il ne s'agit pas de construire des bunkers pour se préparer à l'apocalypse. Les refuges peuvent prendre bien des formes face à un effondrement qui pourra prendre bien des formes. Un tissu social est un refuge.

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