The Metropolitan Man d'Alexander Wales, encore un roman qui ne peut exister que sur internet, et pour cause, c'est une réécriture du mythe de Superman. Ça m'a beaucoup fait penser à Ayn Rand : l'ambiance du New York des années 30 et le focus sur un entrepreneur terriblement riche, mais surtout la façon donc chaque personnage incarne une position éthique et philosophique. C'est avant tout ça : un combat d'idées, un champ de bataille idéologique, qui tourne particulièrement autour de l'utilitarisme. J'ai trouvé The Metropolitan Man aussi passionnant qu’haletant.
On commence avec Lex Luthor, méchant traditionnel. Plus encore que Superman, c'est lui le protagoniste. Sa position est simple : Superman est bien trop puissant pour être autorisé à vivre. Bien sûr, Superman est peut-être un parangon de vertu, mais il suffirait qu'il se lève un matin de mauvaise humeur et il pourrait massacrer l'espèce humaine sans guère d'efforts. La position de Luthor est difficile à contredire, et c'est ce qui fait son intérêt : mentir, manipuler et tuer des innocents, ce n'est là que dommages collatéraux insignifiants en comparaison de la menace que représente Superman. Le seul argument contre la position de Luthor, c'est la foi en la bonté de Superman. Ainsi Luthor va développer des trésors de machiavélisme pour fomenter contre Superman en essayant d'esquiver ses capacités divines : voir à travers toute matière, entendre tout ce qu'il se passe sur la planète, déplacement quasi instantané, etc. Il y a quelques détails un peu douteux (engager un tueur instable pour jouer à l'agent secret auprès de la mère de Superman), mais globalement, suivre le plan ingénieux de Luthor pour renverser un Dieu est un plaisir, et j'ai rigolé quand il essaie de comprendre les pouvoirs de Superman par une perspective évolutionnaire.
Ensuite, Lois Lane. Ici, elle n'aime pas vraiment Superman, ni son alter ego Clark Kent. Elle a peur de la toute-puissance de Superman. Je diviserais ses positions en deux parties. D'abord, en complicité avec Luthor, elle travaille à manipuler Superman afin de devenir sa copine. L'objectif est simple et compréhensible : offrir une ancre émotionnelle à Superman, un attachement intime à l'humanité, qui améliorerait sa stabilité psychologique et réduirait ses chances de se transformer en Dieu violent. Le second aspect rend Lois Lane assez antipathique. En effet, elle reproche à Superman de ne pas être une machine utilitariste parfaite. Par exemple, pourquoi Superman perd-il son temps à jouer à être Clark Kent alors qu'il pourrait consacrer ce temps à sauver des vies humaines ? Cette perspective consiste littéralement à nier à Superman son existence intime, individuelle, pour le transformer en rouage au service d'un idéal impossible. Non seulement cette perspective est hypocrite (pourquoi Lois Lane n'est-elle pas elle-même une machine utilitariste parfaite ?) mais elle est invivable à grande échelle : on ne peut pas faire disparaitre magiquement tout ce qu'on peut naïvement imaginer relever de l'égoïsme, par exemple vivre un minimum pour soi.
Et enfin, Superman, dieu parmi les hommes dont la simple existence le place dans une situation morale impossible. Il est indéniablement d'une vertu incroyable, alors que chacun de ses choix, chacun de ses actes, est un potentiel aller simple vers toutes les dérives possibles. Il s'efforce de ne pas tuer ni même blesser, il s'efforce de rester loin du politique et de l'idéologique pour ne s'attaquer qu'au mal indéniable, mais l'injustice du monde humain ne peut manquer de le rattraper, d'une façon ou d'une autre. Quoi qu'il fasse, ce ne sera jamais assez bien, et ses actions indéniablement bonnes auront elles-mêmes des effets secondaires indésirables. Ses pouvoirs le placent inévitablement dans un forte isolation sociale et psychologique. Petit à petit, au fil du récit, il subit une tension grandissante, et j'ai beaucoup apprécié la façon dont l'auteur parvient à façonner sa version de Superman sans jamais lui enlever ce statut d'homme idéal, de modèle pour tous. Les échecs de Superman ne nuisent en rien à sa valeur, et c'est agréable d'avoir ainsi un récit qui relève de la déconstruction sans pour autant tomber dans le cynisme.
La fin est inévitablement tragique. Superman change de position éthique, il se résigne à s'impliquer plus dans les affaires humaines, et on aimerait croire que c'est là l'aube d'un nouvel âge d'or — mais comment donner tort à Luthor, et comment lui reprocher de s’entêter dans son objectif ? J'ai dévoré The Metropolitan Man avec une passion rare.
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