mardi 29 octobre 2019

Le Monde comme volonté et comme représentation - Livre 2 - Schopenhauer


 Le Monde comme volonté et comme représentation - Livre 2 - Schopenhauer

Après le premier livre du Monde comme volonté et comme représentation, voici le second. Schopenhauer s'y fait très métaphysique et, en conséquence, se heurte à mon instinct matérialiste. Le vocabulaire, lui, devient plus délicat à manier.

Voilà une sorte d'annonce de ce qui l'intéresse dans ce second livre : « ... il ne nous suffit pas de savoir que nous avons des représentations, que ces représentations sont telles ou telles, et dépendent de telle ou telle loi, dont l'expression générale est toujours le principe de raison. Nous voulons savoir la signification de ces représentations ; nous demander si le monde ne les dépasse pas, auquel cas il devrait se présenter à nous comme un vain rêve ; ou comme une forme vaporeuse semblable à celle des fantômes ; il ne serait pas digne d'attirer notre attention. Ou bien, au contraire, n'est-il pas quelque chose d'autre que la représentation quelque chose de plus ; et alors, qu'est-il ? » (p.139) On devine là la quête d'une sorte d'essence du réel qui dépasse nos simples sens.

Donc, le monde serait « Volonté ». Certes, certes, mais ça veut dire quoi ? Prenons l'exemple du corps pour essayer de comprendre : « Le sujet de la connaissance, par son identité avec le corps, devient un individu ; dès lors, ce corps lui est donné de deux façon toutes différentes  ; d'une part comme représentation dans la connaissance phénoménale, comme objet parmi d'autres objets et soumis à leurs lois ; et d'autre part, en même temps, comme ce principe immédiatement connu de chacun, que désigne le mot Volonté. » Peu après : « Le corps entier n'est que la volonté objectivée, c'est-à-dire devenue perceptible ». Et encore : « La volonté est la connaissance a priori du corps ; le corps est la connaissance a posteriori de la volonté. » (p.141) Jusque là, c'est relativement limpide et certainement élégant ; mais quel est le rapport avec le monde ?

La volonté est donc un moyen de connaissance. Pour rester sur le corps : le fait qu'il est objectivisation de notre volonté, ou qu'il est notre volonté, nous donne de lui une connaissance non pas seulement en tant qu'objet, mais « sur ce qu'il est en dehors de la représentation, sur ce qu'il est en soi ». (p.145) Schopenhauer compte se servir de cette double connaissance comme d'une clé pour « pénétrer jusqu'à l'essence de toues les phénomènes et de tous les objets de la nature qui ne nous sont pas donnés, dans la conscience, comme étant notre propre corps, et que par conséquent nous ne connaissons pas de deux façons, mais qui ne sont que nos représentations ; nous les jugerons par analogie avec notre corps et nous supposerons que si, d'une part, ils sont semblables à lui, en tant que représentation, et, d'autre part, si on leur ajoute l'existence en tant que représentation du sujet, le reste, par son essence, doit être le même que ce que nous appelons en nous volonté. » (p.147) L'analogie me semble être un point de départ douteux, mais voyons.

Schopenhauer cherche des causes : « la vie animale, dans son ensemble et dans son développement, n'est qu'un phénomène de la volonté. » (p.150) J'aurais plutôt tendance à prendre la position exactement inverse : la volonté comme phénomène de la vie animale. Il évoque ensuite la « convenance parfaite qu'il existe entre le corps de l'homme ou de l'animal et la volonté de l'homme ou de l'animal » (p.151) Mais qu'en est-il de la maladie ? De la vieillesse ? Encore un point qui me chiffonne quand il reprend Kant (que je n'ai encore jamais lu) : « l'espace, le temps et la causalité ne conviennent pas à la chose en soi, mais ne sont que des formes de la connaissance ». (p.156) Alors il existerait une essence des choses hors de l'espace et du temps ?

Une image qui illustre bien le déterminisme de Schopenhauer : « Spinoza dit qu'une pierre lancée par quelqu'un dans l'espace, si elle était douée de conscience, pourrait s'imaginer qu'elle ne fait en cela qu'obéir à sa volonté. Moi, j'ajoute que la pierre aurait raison. L'impulsion est pour elle ce qu'est pour moi le motif, et ce qui apparait en elle comme cohésion, pesanteur, persévérance dans l'état donné, est par lui-même identique à ce que je reconnais en moi comme volonté, et que la pierre reconnaitrait aussi comme volonté si elle était douée de connaissance. » (p.171) Ainsi selon lui les motifs humains ne sont pas moins déterminés qu'un simple mouvement physique.

« A son origine et dans son universalité, une force naturelle n'est dans son essence rien d'autre que l'objectivisation, à un degré inférieur, de la volonté. Un tel degré, nous l’appelons une idée éternelle, au sens de Platon. » (p.180) Ainsi il semble embrasser les idées, ou formes, platoniciennes, ce qui explique pourquoi il peut parler de l'uniformité des millions de manifestations « qui se produisent avec une infaillible exactitude ». Dans cette vision, une sorte d'essence existe hors du monde et fige celui-ci dans une régularité totale. Il me semble que Schopenhauer s'enfonce là, à l'image des théistes, dans une recherche d'un ordre global ordonné et perfectionné, comme pour nier le chaos.

De nouveau : « toute cause naturelle n'est qu'une cause occasionnelle ; elle ne donne que l'occasion de la manifestation de cette volonté une et indivisible, qui est substance de toutes les choses et dont les degrés d'objectivisation constituent tout le monde visible. » (p.184) Peut-on voir cette volonté comme représentant les lois physique de l'univers ? Peut-être, mais il me semble que Schopenhauer y met toujours trop d'ordre, trop d’intemporalité, alors que les lois physique de l'univers ne sont (sans doute ?) pas hors du temps. Il qualifie ensuite cette volonté d'« inexplicable ». Ainsi ne tombe-t-il pas dans son propre piège : à quoi bon tenter de connaitre une chose dont de toutes façons on ne peut pas connaitre les causes ultimes ?

« La volonté doit se nourrir d'elle-même, puisque, hors d'elle, il n'y a rien, et qu'elle est une volonté affamée. De là cette chasse, cette anxiété et cette souffrance qui la caractérisent. » (p.203) Pas tout à fait rien semble-t-il, puisqu’il y a les idées qui « résident hors du temps ». (p.210) Et pour quelqu’un qui produit des sentences aussi pessimistes, Schopenhauer semble n'avoir pas une faible opinion de l'humanité à l'échelle cosmique : « Ainsi la course les planètes, l'inclinaison de l’écliptique, la rotation de la terre, le partage du continent et de la mer, l’atmosphère, la lumière, la chaleur et tous les phénomènes analogues, qui sont dans la nature ce qu'est dans l'harmonie la basse fondamentale, se sont conformés avec précision aux races futures d'êtres vivants dont ils devaient être les supports et les soutiens. » (p.211) Quoi ? Ne serait-ce pas encore une fois l'exacte inverse : la vie naissant en conséquence d'un terreau propice, plutôt que le terreau se façonnant lui-même dans le but de faire germer la vie ? Et comment justifier cet univers qui a pour but la vie dans une perspective non déiste ? Pire encore : « Aujourd'hui les espèces n'ont plus à naitre, mais seulement à subsister ». Pardon ? Alors certes, Schopenhauer n'a pas pu lire Darwin, mais tout de même, il ne semble pas s'extraire d'une vision théiste dans laquelle l'univers est figé avec la vie à son sommet, et c'est une claire régression par rapport aux anciens.

« L'effort de la matière ne peut qu'être contenu, il ne peut jamais être réalisé ou satisfait. C'est ce qu'il a de commun avec toutes les forces qui sont des manifestations de la volonté ; le but atteint n'est jamais que le point de départ d'une carrière nouvelle, et cela à l'infini. » (p.215) Toute matière et toute vie a comme unique fin de produire de la nouvelle matière et de la nouvelle vie. Cependant le « à l'infini » est contestable, puisque, sans même parler des modifications de la matière, la vie ne se reproduit pas à l’identique : je me demande ce que Schopenhauer aurait tiré de Darwin, qui semble lui manquer cruellement.

Terminons sur un beau morceau de pessimisme :« Tout acte particulier a un but ; la volonté même n'en a pas. » (p.216) Je crois qu'il se penche ensuite sur les conséquences de ce fait sur la condition humaine.

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