vendredi 17 mai 2019

Stoner - John Williams



Un bouquin étonnamment excellent. Étonnamment, parce qu'en apparence, Stoner est un roman fort classique : la vie d'un homme relativement banal, enseignant à l'université, dépeinte d'une façon parfaitement formelle, c'est à dire linéairement de sa naissance à sa mort. Mais, bien sûr, peu importe la forme, ce qui compte, c'est l'exécution, et elle est ici tout à fait exceptionnelle. Il y a quelque chose dans l'écriture, une élégance sobre et efficace, un vocabulaire simple mais habilement choisi, qui lui donne une douceur délicate et aisément digestible.

Mais derrière cette douceur se cache une rare brutalité. Pas de violence physique, non, pas de sang, et même bien peu de larmes. Juste un intense sentiment de solitude et d'isolement face l'indifférence de monde et la malveillance du prochain. Stoner est fils de paysans sans éducation, et dès qu'il rencontre la littérature, il abandonne l'agrologie pour s'y consacrer à plein temps. Il se retrouve à enseigner là où il a été éduqué, pour le restant de sa vie. Ayant beaucoup lu mais toujours ignorant, il se marie avec la première femme qu'il désire, et cette union, pour le lecteur qui y assiste avec des yeux affolés, est une prévisible catastrophe. Sa femme est à l’occasion un terrible monstre, creux et nuisible, et j'en voulais presque à John Williams de réussir à me faire détester autant un personnage, comme s'il en faisait trop. Mais je ne suis pas sûr qu'il en fasse trop. Ainsi, la vie domestique de Stoner est vampirisée. Il aura une fille, mais elle aussi deviendra une chose froide et vide. Mais Stoner, vu de l'extérieur, n'est-il pas lui-même une telle chose froide et vide ? A l'université, où il trouve du réconfort dans l'étude et tente tant bien que mal de ne pas devenir un automate, le même schéma se répète. Suite à de risibles luttes intestines, où il agit avec probité, un supérieur hiérarchique décide de lui pourrir la vie pour les décennies à venir. Oh, tout comme sa femme : pas à cause d'une méchanceté particulière. Juste une ignorance assassine de comment être meilleur. Et Stoner encaisse. L'illustration de couverture de cette édition est très bien choisie : c'est exactement comme ça que je l'imaginais. Et la vie s'écoule :
He was forty-two years old, and he could see nothing before him that he wished to enjoy and little behind him that he cared to remember. (p.181)
Il a une aventure, et il découvre l'amour sur le tard. Sans doute les meilleurs jours de sa vie. Et il apprend, mais si tard, tellement tard, à se séparer des chaines de la morale chrétienne traditionnelle :
They had been brought in a tradition that told them in one way or another that the life of the mind and the life of the senses were separated ans, indeed, inimical ; they had believed, without having ever really thought about it, that one had to be chosen at the expense of the other. That the one could intensify the other had never occured to them. (p.199)
Il trouve même la force de lutter un peu, au foyer comme à l'université. Et puis voilà, un cancer, et il meurt. Stoner est un roman étrange. Sous un épais vernis de classicisme, la peinture sans concession de l'existence universitaire et d'une vie venue s'y réfugier, loin du monde, une vie froide, ponctué de rares îlots de chaleur et de longues trainées de glace acérée.

278 pages, 1965, new york review books

2 commentaires:

  1. Un bouquin excellent à l'exécution exceptionnelle ? Voilà qui donne bigrement envie !

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