Je suis parti quelques jours en vadrouille avec un peu de lecture dans mon sac, à savoir Le Mythe de Sisyphe de Camus et L'Existentialisme est-il un humanisme ? de Sartre. J'avais déjà souvent au fil des années essayé de lire les essais de Camus, celui-là et L'Homme révolté, mais à chaque fois ça... m'énervait, honnêtement, tellement la prose et le propos de Camus me sortait par les yeux. Cette fois, je m'étais dit que j'allais m'y coller avec sérieux, mais rien à faire : au bout d'une vingtaine de pages, je trouve ça toujours aussi illisible. C'est du blabla flou, vague, pénible ; même les phrases me semblent n'avoir qu'un lien sémantique ténu entre elles ; et ce que je perçois de sa philosophie me donne envie d'aller simplement relire quelques sentences de Marc Aurèle. Bref, les essais de Camus, je laisse tomber.
J'aurais pu enchaîner avec Sartre, mais j'avais plutôt envie d'autre chose. C'est alors que j'ai trouvé dans une boite à livres The Martian d'Andy Weir. J'avais vu le film de Ridley Scott — d'ailleurs, un mot sur Ridley Scott. Fantastique réalisateur (Alien, Blade Runner, Gladiator), il est aujourd'hui tout vieux (85 ans) mais, entre quelques horreurs, il parvient toujours à sortir des films très haut de gamme, à savoir The Martian, mais aussi, très récemment, deux qui sont à tort passé presque inaperçus : The Last Duel et House of Gucci. Bref, revenons au livre : je suis dans ce village médiéval et j'en lis une quinzaine de pages. C'est... OK. Lisible. Mais je m'en fous. L'écriture banale et familière ne touche aucune corde en moi et je vois à l'avance le trame se dérouler. Je repose le livre dans la boite à livres où je l'ai pris.
Un peu plus tard, nouvelle boite à livres : j'y trouve plusieurs volumes de SAS, série déjà croisée de nombreuses fois auparavant. (200 volumes et 150 millions d'exemplaire vendus, dingue, non ?) Ayant été parfois surpris par ces séries pulp à rallonge, notamment James Bond et Doc Savage, je feuillette un volume. La prose m'étonne par sa qualité. Allez, j'en empoche un, mais juste un. Berlin : Check Point Charlie publié originellement en 1973. Et je commence à le lire. Eh bien, ce n'est pas mal, pas mal du tout. Le premier chapitre pose le ton et les enjeux tout en présentant d'une façon crédible le Berlin terriblement séparé en deux à travers la perspective d'un personnage piégé qui n'aspire qu'à fuir à tout prix ce système écrasant. Par la suite, les poncifs apparaissent, essentiellement en ce qui concerne le héros beau gosse, riche, courageux, invincible et terriblement charmeur. De même pour les personnages féminins, tous très sexualisés et se jetant dans les bras virils de notre héros. Mais à part ça, le niveau est plus que respectable. Il n'y a pas de scènes d'action à rallonge, au contraire, le ton est étonnamment sobre, malgré les scènes érotiques gratuites. L'auteur développe progressivement sa trame et le terrain de jeu qu'est le Berlin de la Guerre Froide jusqu’à un final explosif, efficace et bien amené par tout ce qui a précédé.
Évidemment, c'est un peu inconvenant sur les questions de genre et d’ethnicité, mais en même temps, on ne peut pas reprocher à l'auteur de manquer, disons, d'inclusivité ! Origines ethniques et orientations sexuelles, c'est varié. De même pour l'écriture des personnages féminins, tous objectifiés et sexualisés : certaines sont clairement rabaissées, mais en même temps d'autres jouissent d'une très forte indépendance sexuelle et psychologique, sans compter la principale "héroïne" qui est flamboyante dans tous les sens du terme, fait preuve d'une résilience à toute épreuve et d'une remarquable force de caractère.
Bref, il me semblait inévitable d'évoquer ces choses-là, mais ce qui importe vraiment, c'est sans doute le talent avec lequel l'auteur développe clairement et progressivement sa trame et son contexte géopolitique. Le fait est qu'on s'y croit, à Berlin : l'horreur du mur, le désir de fuite de ceux de l'Est, le fanatisme des convaincus, la colère de ceux de l'Ouest, la violence répressive et l'inefficacité de la dictature communiste... Sous le vernis à paillettes du pulp, il y a une véritable conscience des horreurs de cette réalité géopolitique et une honnête tentative de les dépeindre sérieusement.
En somme, j'ai été impressionné. Certes, relativement impressionné : ça reste assez léger, bourré de clichés et de poncifs, et je ne doute pas qu'en lisant quelques autres tomes la recette deviendra bourrative. Néanmoins, dire que ce gars a écrit quatre de ces romans par an pendant des décennies et parvenait à un niveau aussi respectable... Je suis impressionné par son talent d'écrivain.
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