Dans la même veine que les mémoires d'Edward Snowden, Permanent Record, voici les mémoires de Chelsea Manning, README.txt. Eh bien, c'est pas fun, pas fun du tout. Niveau écriture, c'est clair, net ; j'ai apprécié ce ton globalement détaché. Ça va vite, il n'y a pas de gras, je l'ai gobé en deux jours, comme hypnotisé par l'épouvante. Deux "trames" s'entremêlent : la vie personnelle de Manning (famille plus que dysfonctionnelle et identité trans) et sa vie militaire qui a mené à la diffusion de documents classifiés puis à une violente répression étatique.
La violence est permanente : la structure familiale, l'identité de genre, le monde du travail, l'entrainement militaire, l'horreur de la guerre en Irak, la violence sexuelle, la hiérarchie de l'armée, les tortures infligées par l’État et l'emprisonnement à long terme. Les tortures sont de celles qui ne laissent pas de marque sur le corps, ça m'a rappelé Le Cardinal du Kremlin de Tom Clancy : enfermement, isolation, privation sensorielle, déstabilisation permanente ; en somme, pulvérisation de l'esprit, annihilation de l'individu, ces scènes pourraient être extraites de n’importe quel roman dystopique qui évoque un étatisme surpuissant. Franchement, ça m'a un peu plombé, d'autant plus qu'en passant d'horreurs en horreurs, Manning n'a même pas souvent l'opportunité d'apparaitre sympathique. En effet, il faut avant tout force, rudesse et ruse ainsi que manigances sociales et administratives pour s'en sortir. C'est écrasant, Manning est si jeune dans toutes ses horreurs (et évoque bizarrement ses dramas relationnels en citant ses post Facebook), et ce ne sont pas des horreurs à petite échelle, mais des horreurs globales, systémiques, impossible à fuir ; qui paie ses impôts y participe.
Au-delà même de son implication dans des guerres vaines, hypocrites et assassines, l’État apparait comme un monstre kafkaïen, une force arbitraire et toute-puissante qui cherche sa propre subsistance en écrasant aveuglément les individus. Et pour s'en sortir face à lui, il faut jouer son jeu, apprendre ses règles, passer ses journées à éplucher les textes législatifs ; c'est déprimant, tentative de suicide après tentative de suicide.
S'il ne fallait en lire qu'un, je dirais que Permanent Record de Snowden est clairement le meilleur livre des deux, plus riche et brillamment écrit (du moins en VO), mais README.txt n'est pas moins un coup de marteau par la violence extrême qui y est évoquée, violence qui arrive pourtant au grand jour, violence qui fait les unes, violence qu'on intègre malgré soi dans le bruit de fond du quotidien.
I wanted the world to understand the Thing, the seeing-the-Matrix feeling that I’d been experiencing ever since I got there. The Thing was chaos that was unsurprising, almost organized in its entropy. I saw the Thing when I read the news, and I saw the Thing even more clearly when I analyzed the algorithms that were meant to make me better at predictive analysis for the army. It was as if the tragedies and battles were a pattern in nature, shocking and yet entirely predictable, like the tides or the tilt of the sun or the growth of plants. But the chaos was coming from us, the agents of destruction.
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