dimanche 1 novembre 2020

La fin de l'alimentation - Wilfried Bommert & Marianne Landzettel

 

La fin de l'alimentation - Wilfried Bommert & Marianne Landzettel

La fin de l'alimentation (2017) de Wilfried Bommert et Marianne Landzettel est exactement ce qu'indique le sous-titre, c'est-à-dire le portrait mondial d'une agriculture en proie à des crises et tensions profondes causées par le changement climatique. Au fil des pages on voyage de continent en continent et, bien sûr, les problèmes ne font que s'accumuler. Une petite liste : la Californie nourricière en manque drastique d'eau et assaillie par la chaleur, pareil pour les plantations de café, pareil pour la mer de plastique espagnole qui nourrit l'Europe en légumes, pareil pour les pommes de terre du Nil, pareil pour le thé Indien, pareil pour le soja d'Amérique du Sud qui nourrit le bétail européen, érosion des sols dans l'Iowa, insectes et bactéries qui profitent du réchauffement pour massacrer les vignes ou les olives, réchauffement et acidification des océans... Ce n'est qu'un aperçu. Quelques points plus particuliers ci-dessous :

  • Pour l'instant, pour lutter contre la sécheresse, la solution commune à bien des régions citées plus haut est la même : pomper dans les nappes phréatiques. Or, les nappes ont, bien entendu, une capacité limitée qui ne se renouvelle que sur des temps longs. La croissance illusoire ne repose donc que sur une ressource qui sera épuisée à court terme et causera un problème encore plus direct que le manque de nourriture : le manque d'eau potable. Ce sera d'autant plus brutal pour les pays d'Afrique du Nord qui épuisent à toute vitesse leurs ressources souterraines : ils se partagent un des plus grands aquifères du monde, actuellement dévoré par plus de 8000 stations de pompage.
  • Le vidage des nappes phréatiques a encore d'autres conséquences, notamment l'affaissement des sols, ou la salinisation des nappes, l'eau des mers voisines s'infiltrant dans l'espace laissé vide.
  • Les pluies deviennent moins fréquentes et plus brutales : une même quantité d'eau ne peut donc pas être aussi bien absorbée par la terre quand quand elle tombe de façon brusque et massive. Sans compter les inondations, l'érosion et la pollution causée par les fertilisants (nitrate notamment).
  • Dans les montagnes, la neige se transforme en pluie. Or, s'il n'y a plus de neige, cela signifie plus d'eau issue de la fonte pendant les saisons chaudes. Les cours d'eau sont à sec de plus en plus tôt. C'est le cas pour la Sierra Nevada en Espagne par exemple.
  • La chaleur augmentant, de plus en plus d'eau est perdue tout simplement par évaporation.
  • L'industrialisation et la mondialisation de l'agriculture ont drastiquement réduit la variété des espèces cultivées. Or, pour faire face à des changement environnementaux brutaux, on a besoin de toute la variété possible.
  • La montée des eaux menace d’inonder bien des terres arables, mais aussi, au cours des marées, d'amener de l'eau salée loin dans les terres via les estuaires et de priver les paysans d'eau douce. C'est déjà le cas pour le Nil.
  • Les guerres de l'eau bien sûr, notamment pour le Nil. Le Sahara atteindra l'Espagne.
  • La production de viande actuelle de l'Europe est totalement impossible sans l'importation massive de fourrage (soja) d'Amérique du Sud et souvent issu de la déforestation. Par exemple, les importations en fourrage de l'Allemagne sont équivalentes à la moitié des terres cultivés du pays. Le soja sud-américain est lui aussi victime du réchauffement.
  • Illustration des problèmes muets de l'agriculture : depuis la fin des années 90, en Inde, 300000 suicides de paysans.
  • L'acidité de l'eau, à l'époque de rédaction du livre, avait déjà augmenté de 30%.

Bref. Le stress hydrique, déjà énorme partout, est compensé par les aquifères dont les réserves n'en ont plus pour longtemps. Sans compter toutes les autres questions. Face à ces chocs, il y a dans le monde entier un (très relatif) rejet de l'industrie agrochimique au profit de méthodes plus résilientes. L'agriculture bio, la permaculture (voir Introduction à la permaculture de Bill Mollison), l'agroforesterie (voir Edible Forest Gardens). Mais aussi vers la biodynamie, à travers le label Demeter. Les auteurs en parlent exactement comme ils parlent de l'agriculture bio, or, je le répète, la biodynamie, qui sans doute ne fait pas de mal à la terre, est une pseudoscience doctrinale et « magique ». Ça me heurte sincèrement de voir cette pratique acceptée comme si de rien n'était. Quoi qu'il en soit, s'il y a une chose que ce livre fait très bien, c'est convaincre de l'impact qu'ont les habitudes d'achat de chacun au quotidien : entre une agriculture bio permaculturelle et le cauchemar agrochimique, la différence est réelle.

Le tableau dressé est cauchemardesque. Non pas que tous les problèmes évoqués soient insurmontables : au contraire, les humains sont très résilients, et malgré toutes sortes de crises économiques et sociales, ils devraient pourvoir s'adapter à ce qui est directement évoqué dans ce livre. En revanche, les problèmes dont les auteurs ont été directement témoins ne sont que la timide avant-garde du cataclysme en cours. Ils ne sont causés que par une hausse de température de 1 degré. Alors, quoi ensuite, quand ce sera 3, 4, 5, 6, 7 degrés de plus ? La pâle conclusion technologiste essaie péniblement d'être optimiste, comme d'habitude, mais le lecteur un minimum éclairé sur le sujet n'est pas dupe. Je crois qu'à présent je vais commencer à mettre une majuscule à Effondrement, histoire d'être en avance sur mon temps.

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