lundi 11 septembre 2023

The Ancestor's Tale - Richard Dawkins (Il était une fois nos ancêtres)

De la même façon que Dawkins conclue The Ancestor's Tale (2004) sur son émerveillement face à la richesse de la réalité, je reste stupéfait par l'existence même de ce livre. L'auteur du Gène Égoïste et de L'Horloger aveugle offre ici un lourd pavé, plus de 600 pages extrêmement denses, et que dire ? C'est renversant de profondeur, on ne cesse de faire face à des idées et des concepts passionnants, et on ne voudrait qu'une chose : pouvoir se souvenir de tout.

Dawkins part des humains et remonte la grande lignée de la vie jusqu'à son origine, en s'arrêtant à chacun des principaux évènements de divergence évolutionnaire. Si on commençait par le début de la vie sur Terre en avançant dans le temps, il n'y aurait pas de destination précise : la fin pourrait être n'importe laquelle des millions de branches de l'arbre du vivant ; alors que si on part du bout d'une de ces branches, n'importe laquelle, et qu'on remonte le temps, on arrive inévitablement au même point : l'origine de la vie, l’ancêtre commun à tous les êtres vivants contemporains — ou éteints.

J'ai commencé ce bouquin au début de l'été, et on est à présent en septembre. Le nombre de mes notes me fait peur : il y aurait tant à citer, tant de faits, d'idées, d'anecdotes qui illustrent magnifiquement les mécaniques de la vie ; hélas, je suis fatigué. Franchement, c'est un peu triste : jusqu'à présent, j'ai quasiment toujours trouvé le temps et l'énergie pour me replonger dans mes notes et les pages qui leur sont associées, afin de consacrer quelques heures à écrire un truc satisfaisant sur les livres de ce type. Cette fois, ça fait presque une semaine que je repousse ce moment, et... je crois que je vais faire mon deuil. Bienvenue, brumes de l'oubli.

Je vais cependant saisir l'occasion pour digresser. Je trouve, dans les thèmes qui sont développés dans ce livre et d'autres (la biologie et plus particulièrement la biologie évolutionnaire), une vision du monde qui m'envoûte. Il y a la logique de la chose, la façon dont les concepts s’entremêlent d'une façon cohérente pour former un prisme crédible, solide, étincelant : on peut se tourner vers n'importe quelle forme de vie, n'importe lequel de ses comportements, et, grâce à ce prisme, la comprendre. Même si on se trompe dans les détails, même si nos hypothèses sont parfois fausses, le processus général qui a mené à toute chose vivante est compris, et, encore mieux, aisément compréhensible. On peut visualiser mentalement, pour tout ce qui gigote (comme le développe Dawkins), le chemin parcouru depuis la naissance de la vie sur Terre. Et pourquoi tel machin gigote-t-il de telle façon ? Pourquoi tel humain fait-il ce qu'il fait ? Il n'y a rien qui échappe à ce mécanisme, rien de tout ce qu'un humain est capable de faire.

Au fil des années, en parlant avec des gens aux sensibilités mystiques, on m'a plusieurs fois accusé (je le prends comme ça) d'être cartésien. C'est un peu comme on me disait : oui, tu es quelqu'un qui cherche à comprendre la réalité, mais bon, c'est une position minoritaire tu sais, pour ne pas dire franchement bizarre, la plupart des gens ne sont pas comme ça. Ensuite, je suis labellisé, je suis cartésien, voilà, l'autre personne ne l'est pas, et il est donc établi qu'elle n'a pas à justifier ses croyances incohérentes et infondées. Plus jeune, il m'arrivait d'être véhément dans ce genre de situation ; c'était en somme la (très lente et très naïve) découverte que la plupart des gens sont plus ou moins irrationnels et, pire encore, ne se soucient pas d'avoir une cohérence interne, ne savent pas vraiment en quoi ils croient ni pourquoi. Aujourd'hui, j'ai un peu plus de tact.

Mais tout ça pour en venir à une chose précise : on m'a accusé d'avoir une perspective de la vie et du monde... froide. Sur ce point, je rejoins Dawkins : pour moi, tendre vers une compréhension de la réalité physique permet de plus encore aimer cette réalité, de voir dans ses mécanismes une puissante beauté, pour ne pas dire la beauté ultime. Quand j'imagine la ligne ininterrompue des millions d'êtres vivants qui me relie en ligne directe à l'origine de la vie sur Terre, comment trouver une idée plus émouvante ? Quand on voit dans un paysage toutes les lignes qui relient les êtres vivants entre eux, comment face à cette mosaïque ne pas les aimer d'autant plus ? Et, surtout, comment ne pas se réjouir de voir les voiles de l'ignorance se dissiper ? Et que de voiles il me reste, la jouissance du physicien m'est encore inconnue...

Je parlais récemment, un midi autour d'un café, avec un jeune américain qui était, disons, rationnellement intéressé par le mystique. Il venait de profiter d'une pleine lune exceptionnelle pour bénir des runes et faire de l'eau de pleine lune. Il m'expliquait sa démarche, en quoi il ne croit pas littéralement en ce qu'il fait, mais qu'il croit en la puissance de l'esprit humain, ce que j'appellerais l'autoconviction. Il était à mon goût dangereusement près de l'idée bizarrement banale que la réalité objective n'existe pas, idée dont je venais de parler avec quelqu'un d'autre qui était tenté de s'y positionner. J'ai répondu à l'américain que je comprends sa perspective, que je ne nie aucunement la puissance de l'esprit humain, mais que ce n'est que la partie émergée de l'iceberg de la réalité. Certes, on peut rester bloqué dans son esprit, dans le monde des croyances et des histoires, mais là, dehors, il y a tout un univers qui non seulement n'a que faire de nous, mais un univers qui est notre cause. Cet esprit humain si puissant, si tentant, n'est qu'une conséquence temporaire de lois plus vastes, immenses — le seul et réel absolu. Pourquoi se limiter aux retords trompeurs de l'esprit humain ? Non, ce n'est pas de la froideur, comme on me l'a reproché ; cette perspective plus vaste ne nie aucunement l'émotion, la sensation, la culture, etc., mais elle y rajoute l'écrasante beauté de tout l'univers et de ses souverains rouages.

2 commentaires:

  1. La fatigue et l'abondance de notes inutilisables ont du bon : ta fiche de lecture n'en est que plus sincère et personnelle. Je t'y retrouve tout à fait, et des souvenirs de l'été dernier me reviennent à l'esprit.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Personnel, certes, mais c'est le choix du facile contre ce qui est difficile : parler de ce qui n'est pas déjà dans notre tête ! Ceci dit, ce n'est pas désagréable de mettre tout ça par écrit, et puis ça fait déjà longtemps que ce blog est presque plus un journal qu'autre chose. Et nous sommes toujours en été ;)

      Supprimer