vendredi 21 août 2020

The Molecule of More - Daniel Z. Lieberman & Michael E. Long

The Molecule of More - Daniel Z. Lieberman & Michael E. Long

The molecule of more, c’est bien sûr la dopamine. Cet essai est très accessible, peut-être un peu trop tant j’ai eu régulièrement l’impression de lire des généralités assez connues. C’est néanmoins agréable à lire, agrémenté par des petites parenthèses narratives qui viennent illustrer le propos et fonctionnent bien. La deuxième moitié est plus riche et captivante, avec notamment les chapitres sur la politique (je dirais plutôt l’idéologie) et le progrès. Dommage que le dernier chapitre tente maladroitement de boucler le tout sous forme d’une purée douteuse façon développement personnel.

La dopamine a été découverte en 1957. La notion centrale du livre, c’est que la dopamine est loin d’être simplement la molécule du plaisir, mais qu’elle a au contraire un rôle bien plus central et général. Divisons l’espace en deux parties :
  • Le péripersonnel (ce qui est à portée de main)
  • L’extrapersonnel (ce qui n’est pas à portée de main et donc n’est potentiellement accessible que dans le futur)
Le péripersonnel implique tout un tas de substances chimiques que l’auteur regroupe sous le nom d’ici & maintenant (I&M) et le vaste champ de l’extrapersonnel est le domaine des possibilités, de la dopamine. D’un point de vue évolutionnaire, c’est une différence fondamentale entre ce qu’on possède et ce qu’on ne possède pas. Ainsi le rôle motivateur de la dopamine disparaît une fois que l’objet désiré est obtenu : d’où la fin de l’amour passionnel ou l’insatisfaction inévitable par la plupart des choses matérielles. Les personnes aux prédispositions génétiques qui produisent le plus de dopamine sont les plus susceptibles d’avoir le plus grand nombre de partenaires sexuels par exemple. Petite parenthèse : c’est la testostérone qui cause le désir sexuel aussi bien chez les hommes que chez les femmes (en plus petite quantité) et il est d’ailleurs possible de faire un « viagra » féminin (sous forme de gel « testostéronné » à appliquer) mais il a des effets secondaires possibles comme le développement de pilosité faciale ou d’une voix grave.

La dopamine passe par deux « circuits » : le circuit de désir (mésolimbique) et le circuit de contrôle (mésocortical). Comme son nom l’indique, le deuxième s’intéresse au long terme et régule le premier, purement impulsif. Dans tous les cas, le rôle de la dopamine est de nous encourager à maximiser nos ressources en nous récompensant par du plaisir, de la satisfaction. Des rats dont une partie des cellules dopaminiques ont été détruites aiment toujours la nourriture de qualité (donc la dopamine n’est pas directement liée au plaisir gustatif) mais ils seront capables de bien moins d’efforts que des rats normaux pour l’obtenir : plutôt que de fournir des efforts, ils se contenteront de la nourriture bas de gamme.

Le « taux de dopamine » de chacun est essentiellement inné. Certaines personnes ont des personnalités dopaminergiques, causée par quelques gènes identifiés. En fonction de la prédominance du circuit du désir ou du circuit du contrôle, les conséquences peuvent être assez différentes : impulsif et insatisfait ou froid et imperturbable. La dopamine gère aussi la saillance, la capacité du cerveau à accorder de l’importance à tel ou tel stimulus. Le déraillement de ce système de saillance est à l’origine de la schizophrénie : par exemple si le système s’active sans raison, l’esprit peut croire qu’une chose banale a un rapport direct et capital avec lui. Ainsi un traitement contre la schizophrénie peut bloquer les récepteurs de dopamine. La dopamine serait aussi intimement liée aux rêves : la dopamine est la molécule qui s’intéresse aux possibilités, elle est plus livrée à elle-même pendant le sommeil, quand les sens du réel sont en pause. L’auteur parle un peu du rôle des rêves, ce qui m’a remis en mémoire la période où je notais les miens : j’ai envie de recommencer, tant on y trouve de pistes créatives et d’informations sur soi-même. La dopamine a aussi un rôle central dans la créativité : elle permet d’imaginer l’irréel, de connecter les idées, de construire des modèles mentaux, de dépasser les impressions sensorielles… C’est pour cette raison que les personnes hautement créatives sont également plus susceptibles d’être instables et insatisfaites : la dopamine ouvre sur l’abstrait mais pousse à chercher toujours plus, toujours plus loin.

On retrouve aussi la dopamine dans l’orientation politique. L’auteur utilise la dichotomie américaine : libéralisme et conservatisme. Les personnes créatives et insatisfaites, c’est-à-dire dopaminergiques, sont plus susceptibles d’être libérales : par exemple, 83 % des fondateurs de start-ups de la Silicon Valley pensent que l’éducation peut résoudre tous les problèmes sociaux, contre 44 % de la population générale. Même chose à Hollywood : créativité, instabilité, quête de toujours plus, prédisposition aux maladies mentales, haut taux de divorce et tendance au libéralisme. Les conservateurs, à l’inverse, tendent à être plus orientés vers le présent et la réalité au lieu du futur et des potentialités : ainsi leur empathie et altruisme se manifeste de façon plus directe, par la charité par exemple (ils donnent bien plus que libéraux), plutôt que par la volonté de réformer la société. Un libéral sera altruiste en voulant régler les problèmes structurels. Pour rendre les gens plus conservateurs, il suffit d’introduire des menaces, aussi petites qu’elles puissent sembler. À l’inverse, pour prédisposer au libéralisme, il faut stimuler l’imagination et l’optimisme, c’est-à-dire activer les circuits de la dopamine en incitant à la pensée abstraite. Encore une fois, l’auteur insiste beaucoup sur le fait que l’arrangement chimique du cerveau, arrangement qui joue donc un rôle important dans l’idéologie, est en bonne partie inné.

Logiquement, un haut taux de dopamine est aussi lié à un comportement exploratoire. Les souris boostées à la dopamine sont moins timides et plus curieuses. Certains gènes liés à la dopamine sont également liés à la migration : on les retrouve plus dans les populations qui ont migré au cours de l’histoire ancienne de l’humanité. Ceci dit, ces gènes ne sont pas nécessairement à l’origine des migrations, mais ils ont sans doute favorisé ceux qui les portaient une fois la migration accomplie en les rendant plus susceptibles d’explorer et maximiser les ressources de leur nouvel environnement, mais aussi en les rendant moins vulnérables au stress (le stress tue). Ainsi dans des conditions stables et familières, les gènes dopaminergiques sont en désavantage évolutionnaire par rapport à ceux qui poussent à un comportement plus stable. À l’inverse, ils ont un avantage évolutionnaire dans des circonstances inhabituelles. Aujourd’hui, l’immigration a plus tendance à être un choix personnel : c’était particulièrement vrai lors de la « conquête » de l’Amérique. Ainsi, idée déjà vue dans Behave, les États-Unis semblent être une nation particulièrement dopaminergique parce qu’elle a attiré les gens instables, curieux, avides de nouveauté. Aux USA, les immigrants constituent une part proportionnellement très importante des inventeurs et entrepreneurs. On retrouve la même situation, quoiqu’un peu moindre, au Canada, en Israël et en Australie, d’autres pays fondés par l’immigration.

4 commentaires:

  1. Interessant.Tout comme ta chronique.Mais cet essai s'adresse aux anglophones peut-être.

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    1. Oui je lis pas mal d'essais en anglais ces temps-ci, certains n'ont pas encore trouvé leur chemin vers le français !

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  2. Une piste à explorer pour les "types psychologiques" ? ;)

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    1. Ah, je me souviens quand j'étais plus jeune et fasciné par le MBTI ! D'après ce que j'ai lu de Jung (assez peu d'ailleurs) on en trouve bien les racines.

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