jeudi 27 août 2020

Comment l'Empire romain s'est effondré : Le climat, les maladies et la chute de Rome - Kyle Harper

The Fate of Rome Kyle HarperComment l'Empire romain s'est effondré : Le climat, les maladies et la chute de Rome - Kyle Harper

Dans The Fate of Rome (2017) (en français Comment l'Empire romain s'est effondré : Le climat, les maladies et la chute de Rome), Kyle Harper fait pour l’empire Roman ce que Jared Diamond fait pour les civilisations antérieures dans De l’inégalité parmi les sociétés. En somme, il examine la chute de Rome d’un point de vue environnemental, climatique et épidémiologique. Un tableau captivant. Avant tout, il pose la toile de fond : malgré son échelle inédite et ses accomplissements, l’empire reste essentiellement rural (à 80%). La survie dépend du bon vouloir de la pluie et l’espérance de vie moyenne est très basse (peut-être 25 ou 27 ans), la faute notamment à la prégnance de toutes sortes de maladies infectieuses liées à la promiscuité et à l’absence de théorie des germes. La plupart des gens étaient petits, la faute à une nutrition imparfaite et surtout à l’assaut des maladies pendant l’enfance. Si les toilettes publiques de Rome sont célèbres, c’est oublier les toilettes privées, qui n’étaient pas reliées à un système centralisé. À Rome, la mortalité doublait à la fin de l’été et l’automne : la faute aux maladies intestinales transmises par l’eau et la nourriture, à la typhoïde et surtout à la malaria, véhiculée par les moustiques.

La grande force de Rome, c’était sa capacité à absorber les autres peuples et croyances, notamment en se liant aux aristocraties locales. Rome a été la première ville à atteindre le million d’habitants, vers le premier siècle, exploit qui ne sera pas répété avant Londres au 19ᵉ. Au milieu du deuxième siècle, l’empire héberge 75 millions d’habitants, soit un quart de la population mondiale. L’auteur précise que la plupart des visions de Rome supposaient tacitement un environnement stable : or, on le verra, ce fut loin d’être le cas.

L’Holocène, qui commence il y a 12000 ans, a été une époque de réchauffement modéré qui a permis le développement des humains, mais il n’a pour autant été une ligne droite : le changement peut venir des cycles du soleil, d’autres cycles terrestres, d’éruptions volcaniques ou bien sûr être anthropique (la déforestation par exemple réduit les pluies et augmente la température). La montée de Rome est due en bonne partie à une parenthèse climatique favorable : le Roman Climate Optimum (-200 ; 150). Suivent un âge de transition et le petit âge glaciaire de l’antiquité tardive (450 ; 700). Par exemple, pendant l’optimum, il pleuvait beaucoup plus qu’aujourd’hui à Alexandrie et les oliviers poussaient bien plus dans les hauteurs.

Premier choc : Variole, la peste d’Antonin (165+)

Les pandémies ont plus de chances de provenir des régions de l’équateur, car la chaleur et la richesse biologique favorisent l’évolution des germes. Les pandémies exigent aussi de vastes populations humaines et il semble qu’elles ne datent que de quelques millénaires. 10 % des 75 millions d’habitants de l’empire y seraient restés : la pire épidémie de l’Histoire jusque-là. Le succès de la variole doit beaucoup aux réseaux maintenus par les Romains .

Deuxième choc : fin de l’optimum et peste de Cyprien (250+)

Par suite du changement climatique naturel, le Nil perd en fertilité. La peste de Cyprien, venue d’Éthiopie, n’est pas clairement identifiée, mais l’influenza serait en cause (le genre de chose qui a tué 50 millions après la Grande Guerre). Autre suspect : fièvre hémorragique. Des villes entières sont ravagées. Les effectifs de l’armée sont touchés, les frontières vacillent, l’économie chancelle. La jeune secte des chrétiens tourne la situation à son avantage : leur croyance en un paradis les pousse à s’occuper des victimes et leur fait gagner en popularité. Plus tard, la capitale de l’empire déménage à Constantinople. En 410, Rome est pillée.

Liens entre évènements climatiques et épidémies : 

  • Un climat changeant cause des migrations de vecteurs (rats, moustiques…)  
  • Les humains eux-mêmes migrent et s’entassent  
  • Les normes sanitaires sont dégradées  
  • La malnutrition causée par les mauvaises récoltes affaiblit l'organisme


Troisième choc : peste bubonique (541+) et climat déclinant

Les réseaux économiques sont à présent extrêmement vastes et développés. La population de Constantinople éclate, tout comme à Antioche, Carthage, Alexandrie… Le christianisme est un facteur qui affaiblit l’armée : les jeunes hommes peuvent à présent choisir une vie religieuse au lieu d’une vie militaire. Loin de là, le changement climatique (sécheresse) pousse les « barbares », notamment les Huns, hors de la grande steppe eurasienne : l’onde choc de ce déplacement de population vient s’abattre sur Rome. En 541 la peste apparaît en Égypte. La moitié de la population de l’empire y passe. À Constantinople, 250000 ou 300000 morts sur 500000 habitants. Toute la société s’effondre. Les rats transportent les puces qui transmettent la bactérie. Les puces humaines ont peut-être pris le relais. Pire encore, les survivants n’étaient sans doute pas immunisés. Et la peste s’incruste pendant pas moins de deux siècles. La marmotte des Alpes aurait pu servir d’hôte de réserve. Les volcans s’y mettent aussi : plusieurs années d’hiver volcanique sévissent vers 536 et 540. Ces décennies sont les plus froides des 2000 dernières années.

Toutes ces horreurs imprègnent l’époque d’un profond sentiment eschatologique. Après l’effondrement des fortunes privées, l’église se retrouve grande propriétaire terrienne et remplit une partie de l’espace politique désormais vide. L’empire Romain d’occident disparaît, celui d’orient s’attarde encore, mais il devient de plus en plus difficile de payer l’armée, et sans armée, pas d’empire. Chute là aussi. Le sentiment eschatologique donne de la puissance au christianisme et contribue à la naissance de l’islam, religion directement issue de cette attente apocalyptique.

Pour finir, un mot emprunté à John McNeil à propos de l’acheminement vers l’anthropocène : « Biological fitness — defined as success in the buisness of survival and reproduction — has increasingly hinged on compatibility with human enterprise. »

3 commentaires:

  1. Super. Il est disponible dans ma médiathèque,et en français.Peut nous faire réfléchir sur la pandémie que nous avons vécue et les conséquences futures

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    1. Je fais des efforts francophones ;) Pas sûr que les pandémies romaines soient comparables avec notre ultra contemporain, mais un bon livre, sans doute.

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  2. Ce qui me fait frémir ce sont les puces et les rats..!! Dans la misère leur présence est la même c est effrayant ! Récit à retenir fort bien structuré !livre à acquérir à lire avec masque et gel ( !)

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