jeudi 11 juillet 2019

Level 7 - Mordecai Roshwald

Level 7 - Mordecai Roshwald

De la même façon qu’aujourd’hui la menace environnementale inspire de nombreuses œuvres de fiction, au cours de la guerre froide, c'était la menace nucléaire qui remplissait ce rôle d’étincelle apocalyptique. Les romans de SF nés dans l'ombre de cette menace sont légion, mais Level 7 de Mordecai Roshwald, publié en 1959, occupe très certainement le haut du panier.

Unité de lieu, ou presque : la quasi-totalité du roman se déroule au Niveau 7, le bunker le plus profond qui soit. Et que cache-t-on dans son recoin le plus sécurisé ? L'équipe responsable de l'arsenal nucléaire offensif, bien sûr ! L'équipe défensive, moins importante, n'est pas planquée aussi profondément. Ainsi le narrateur du journal qui forme le roman est un presseur de bouton : c'est à lui et ses collègues que reviendra la tâche de déclencher l’Armageddon d'un mouvement du doigt. Avec 499 autres personnes, il occupe le Niveau 7. L'auteur a le bon goût de ne jamais mentionner le moindre nom de nation : que le narrateur soit américain ou soviétique ou autre, peu importe. De toutes façons, sa nation est interchangeable avec celle de l'ennemi. Ce qui compte, c'est la situation en place.

Level 7 est en partie une sorte de dystopie, ou une étude de la manipulation des esprits en temps de guerre. La vie dans ce bunker m'a beaucoup fait penser aux jeux Fallout, qui multiplient les exemples d'expérimentation sociale dans ces environnement confinés. La particularité du Niveau 7, c'est que les gens choisis pour y vivre ont été sélectionnés pour leur absence d’attachement à la surface et une certaine asociabilité. Tout leur quotidien est étroitement organisé, mais en même temps, ils n'ont pas de hiérarchie entre eux. Certains vont même jusqu'à argumenter qu'il s'agit de la société parfaite, occasion pour Mordecai Roshwald de déployer un humour habillement manié.

Petit à petit on en apprend plus sur le Niveau 7 et sur les autres niveaux. Le narrateur passe par des période de dépression, d'indifférence absolue et de sensibilité renouvelée. Quand, finalement, il presse le bouton, il ne ressent rien, il ne fait que son boulot. Ensuite, il apprendra à douter, mais trop tard. Et, de toutes façons, que peut un individu contre les rouages de la machine sociale ? L'un des collègues du narrateur refuse d'appuyer : il est simplement remplacé.

Le moment le plus drôle (et il en y en a beaucoup) est sans doute quand, à la fin, il ne reste d'êtres vivants sur terre que ceux du niveau 7 et l'équivalent du côté ennemi. Les deux bunkers, pour tuer le temps, s'échangent par radio des blagues qui tournent en dérision les dogmes qui ont mené à ce suicide de l'humanité
"Cave-men of the world, unite!"
"Freedom and democracy for all cave-men!"
"True people's democracy for all cave-men!"
"Let's make the world safe for the cave-men!"
"Equality for cave-men!"
"Freedom of speech for cave-men!"
"A classless society of cave-men!"
"A real democracy of cave-men!"
Vraiment, bien que profondément ancré dans une période de l'histoire qui, avec un peu de chance, est dernière nous (on peut en douter), Level 7 est un petit chef d’œuvre. Glaçant et grinçant. Un peu comme chez les français Spitz ou Messac, on rigole pour compenser l'horreur, qui est le prix de la lucidité.

2 commentaires:

  1. Il en existe apparemment une traduction en français : "Niveau 7". Ce serait pas mal que je me la procure…

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    1. J'ai vu ça oui, mais elle pas l'air très trouvable

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