jeudi 10 janvier 2019

Lovecraft - 1927 - A la recherche de Kadath, L'affaire Charles Dexter Ward, La couleur tombée du ciel...

Esher - New Year's Greeting Card, 1946


Suite de ma lecture chronologique des fictions de Lovecraft. Cette fois, je délaisse l'anglais pour passer au français, du moins pour les gros textes. En effet, ne possédant pas matériellement les textes anglais, je suis obligé de les lire sur écran (ou d'écouter des versions audio) ce qui est un peu pénible à la longue. Et du coup, je peux notamment constater que dans mon édition de A la recherche de Kadath (le volume nommé Démons et merveilles), le terme ghoul est traduit par vampire. Horreur !


  • A la recherche de Kadath (The Dream-Quest of Unknown Kadath, écrit fin 1926-jan 1927/ publié en 1943)
Le texte le plus long jusque-là, c'est un vrai petit roman. On y suit Randolph Carter qui, dans les contrées du rêve, est à recherche de la cité de... ses rêves, justement. On y croise les personnages d'autres nouvelles (Celephaïs, Pickman's Model) et de nombreuses autres sont référencées. C'est aussi la première fois que Lovecraft case autant de, disons, worldbuildind. Il y a dans tous les coins des noms de ville (du monde rêvé comme réel), des créatures en tout genre, des dieux en pagaille... Tout cela est foisonnant. Dans la forme, c'est un récit classique de fantasy : un héros, une quête, des alliés, des ennemis, des batailles... En ce sens-là, ça fonctionne, mais sans plus. Comme point positif, c'est clairement rythmé, les choses vont vite, et l'univers bariolé parvient à accrocher, il y a une touche de bizarre, d'inquiétant, qui fait mouche. Et c'est du côté de ces touches discrètes, d'apparence presque secondaires (mais en réalité capitales), qu'il faut chercher la force de A la recherche de Kadath. Alors qu'on commence à se lasser de l’inévitable quête et de tout ce qui va avec, Lovecraft rappelle, en passant, que l'on ne se trouve que dans un rêve. Si Carter et ses quelques frères de rêve sont des héros, c'est seulement parce qu'ils sont de bons rêveurs, des maitres rêveurs. Dans le monde de l'éveil, eh bien ils dorment, ou ils sont morts. Quelle est la relation entre le monde du rêve et de l'éveil ? Difficile à dire : les entités plus ou moins divines (à l'image du mortellement facétieux Nyarlathotep, dont un avatar fait une apparition très remarquée), elles, n'ont pas vraiment l'air de faire la différence. Toujours est-il que dans le rêve, ces rêveurs de génie, dont fait partie Carter, ont le pouvoir de créer le monde qu'ils habitent. Ma foi, c'est assez fascinant tout ça.

  •  L'affaire Charles Dexter Ward (The Case of Charles Dexter Ward, jan-mars 1927/1941)
Le plus gros texte de fiction de Lovecraft, il me semble. Et c'est excellent : il m'a emporté comme au premier jour. Charles, le jeune homme du titre, n'est pas tant le personnage principal que son ancêtre, le terrible Joseph Curwen, et le docteur Willett, qui enquête et tente de faire émerger du sens de la fameuse affaire. Lovecraft est diablement habile : pendant la totalité du récit, le lecteur suit des points de vue extérieurs aux horreurs commises (essentiellement les recherches nécromantiques de Curwen, puis celles de Charles, qui se fait piéger par son ancêtre qu'il a la mauvaise idée de faire revenir d'entre les morts). Une première partie du récit se déroule au 18ème siècle, et le trouble que sème Curwen est décrit avec un flou diablement saisissant, notamment cette scène où les citadins en colère, convaincus qu'il se trame chez le monsieur quelque chose de pas chrétien, vont rétablir l'ordre à coup de justice populaire. Le lecteur ne suit l'assaut que de l'extérieur, sur la base de sources diffuses, vagues, peu fiables. Suggérer plutôt que montrer : cela fonctionne ici à merveille. Puis, même principe dans le présent, où l'on suit d'abord les recherches que Charles mène sur son ancêtre, puis celles de Willett sur l'étrange transformation de Charles. Tout culmine dans l'exploration souterraine par le bon docteur des terribles souterrains de Curwen, séquence qui m'était restée en mémoire à travers les années. Le génie de Lovecraft, c'est de ne pas tant décrire les horreurs que les effets qu'elles causent sur les personnages. Plutôt que de s'acharner à dépeindre une créature repoussante, ou autres joyeusetés, mieux vaut s'attacher à la peinture du choc que ces visions produisent sur Willett, l'esprit sensé poussé dans ses derniers retranchements, la perte de contrôle, l'acceptation progressive de l'horrible vérité par le faible esprit humain. A travers les siècle, dans les coins reculés (ou non) de la Terre, rodent ceux qui osent plonger dans l'inconnu et qui en ressortent avec une timide et fragile immortalité, accompagnés d'un savoir qui fait frémir. Mais même ces sombres élus tremblent en songeant aux forces avec lesquelles ils jouent, sachant qu'une maladresse peut écraser le plus puissant des sorciers qui, malgré tout, ne peut guère dépasser son humanité. Et, là-bas, dans les sphères lointaines, existent ces autres.

  • La couleur tombée du ciel (The Colour Out of Space, mars 1927/sept 1927)
Un autre texte qui m'avais laissé de vives mémoires. Je me souviens de moi, adolescent, en train de le lire dans mon lit, un soir. Je ne suis pas particulièrement impressionnable, mais il m'avait pourtant touché, et je ressentais ce qu'on peut qualifier de... frisons ? Bref, le génie de la La couleur tombée du ciel c'est, comme souvent chez Lovecraft, le caractère absolument étranger de la menace. C'est une chose incompréhensible, contre laquelle un simple humain ne peut pas lutter. C'est presque une variante sur le thème du vampirisme, étant donné que la Couleur dévore, disons, l'énergie vitale. Les descriptions de ses effets sur la nature, puis sur les hommes, sont excellentes, et évoquent une puissante impression d'étrangeté, de menace voilée mais omniprésente. Le monologue de la dernière victime, fermier au bout du rouleau racontant confusément comment ses enfants sont tombés dans le puits, évoque lui aussi cette force insaisissable. Dommage que la fin, un peu à la manière de celle de La guerre des mondes, fasse s'évaporer la menace d'elle-même. Cette fin est loin d'être mauvaise, loin de là, elle souligne encore l'étrangeté de la Couleur, et elle laisse planer un voile plus qu'ombrageux, mais pourtant, elle me semble tout de même être un peu insatisfaisante. 

  • The Descendant (1927/1938)
Un fragment de texte non terminé semblant se concentrer sur le Necronomicon, il n'y a pas grand chose à en dire. 

  •  The Very Old Folk (3 nov 1927/1940)
Une petite nouvelle qui se passe dans l'antiquité romaine. C'est fort plaisant de voir Lovecraft explorer d'autres époques, même si c'est ici avec une trame très classique et assez peu étoffée : une cohorte romaine s'enfonce dans les bois pour empêcher un peuple montagnard d'accomplir ses rituels sabbatiques. On pense notamment au récit de l'inspecteur Legrasse dans L'Appel de Cthulhu ou cette scène de vengeance populaire sur le repaire de Corwen dans L'affaire Charles Dexter Ward. Mais avec des toges et des légionnaires. 

  • History of the Necronomicon (1927/1938)
Encore un texte très petit, qui esquisse une Histoire fictive du Necronomicon. C'est plus le genre de texte qu'on s'attendrait à trouver dans une fiction plus ambitieuse, en tant que faux document. 

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