lundi 20 novembre 2017

Dans la penderie


 
Roberto Matta - Space Travel
Roberto Matta - Space Travel


Terrés dans la penderie, tremblants, leurs têtes enfouies sous des chemises à carreaux et des vestes élimées, les deux hommes retenaient leur souffle. Leurs yeux s’étaient habitués à la pénombre, chacun distinguait le visage de l'autre. A peine, mais suffisamment pour y lire une expression de terreur. N'ayant rien d'autre à regarder, ils se fixaient mutuellement, et écoutaient.

Ils n'aimaient pas ce qu'ils entendaient.

Pas du tout. 
 
C'était un bruit de pas. Des pas suggérant un nombre de jambes, ou de pattes, ou de quoi que ce soit d'autre, supérieur à deux. Ce qui était de l'autre coté de cette porte n'était clairement pas humain. Et ça se déplaçait. Ça cherchait. 
 
Les deux hommes échangèrent un regard paniqué.

La soirée s'annonçait bien, pourtant. Une petite soirée entre amis, le cigare à la bouche, la bière à la main. Et sur la table, tout le nécessaire pour un innocent petit rituel d'invocation. Un rituel de rien du tout, juste pour essayer. Juste pour rigoler. 
 
Alain habitait ici. C'était son appartement, son salon. Sa penderie. Il avait le nez dans la chemise qu'il comptait porter au travail, le lendemain. Elle sentait bon la lessive. En d'autres circonstances, il aurait été fier de la propreté de son linge, chose qui, pour lui, n'allait pas de soi. Mais à ce moment précis, il espérait juste que l'odeur « printemps fleuri mimosa lavande » de la lessive camoufle celle de sa transpiration, s'il s'avérait que la chose de l'autre coté de la porte ait un sens olfactif.

Alain avait allumé les bougies, préparé la craie rouge, la craie noire et la craie blanche. Il avait tiré les rideaux, rempli un bol de pistaches, et même pensé à sortir un autre bol pour les coques. Les fauteuils étaient époussetés, les bouteilles au frais.

Puis Ed était arrivé, avec un grand sourire enthousiaste. Après l'inévitable poignée de main énergique et douloureuse, Ed avait posé son sac sur une chaise et levé des yeux rieurs.
 
— Devine ce que j'ai là-dedans.

— Je sais très bien ce que tu as.

Le sourire sur la face d'Ed s'élargit encore.

— Allez, c'est bon, arrête de faire le malin et sors-le.

Délicatement, presque avec amour, Ed révéla un vieux livre râpé, épais, massif. Couverture en cuir sombre, pages jaunies, on lui donnerait facilement plusieurs siècles. Alain, émerveillé, approcha sa main et le toucha. La texture rugueuse était pleine d’accrocs, comme si le livre avait beaucoup voyagé, passé trop peu de temps dans les rayons calmes et propres d'une bibliothèque.

— Alors, tu as pu le lire ?

— Je croyais que je me débrouillais en latin, dit Ed. Mais là, j'ai eu l'impression d’être à nouveau un étudiant égaré dans un amphithéâtre, essayant désespérément de tirer quelque chose du texte de Cicéron qu'il a sous les yeux. J'arrive à comprendre certains mots, quelques phrases entières parfois. Pas plus. Je n'ai même pas pu estimer une époque à partir de la langue. Mais il y a les dessins et les schémas. Là, c'est plutôt limpide. 
 
— Et qu'est-ce que tu as pu en tirer ?

— Pas grand chose de plus que ce qu'on savait déjà. Rituels, invocations, esprits... Certains dessins sont très troublants, je n'avais jamais rien vu de pareil. Ce qu'il y a là-dedans, ça précède probablement le christianisme. C'est ancien, très ancien. On va vraiment avoir besoin de Conrad. J'espère que l'orage ne va pas l’empêcher de venir.

— L'orage ?

Absorbé par le dépoussiérage de son appartement, Alain n'avait pas remarqué ce détail. Il souleva un bout de rideau. On ne voyait pas une étoile, pas un rayon de lune, le ciel était d'un noir d'encre et les branches des arbres se déplaçaient d'une façon qui suggérait un fort vent. Alain resta un moment fasciné. C'était l'ambiance idéale. 
 
Les deux amis s’installèrent, décapsulèrent deux bières bien fraîches, et entamèrent les pistaches. Ils parlèrent du livre, des mystères qu'il recelait et de ce pour quoi ils s'étaient réunis ce soir. Il évoquèrent leurs souvenirs communs de bibliophiles, leur passion grandissante pour l'occulte. Alain en vint à raconter sa rencontre avec Conrad, dans une soirée mondaine. Alors qu'il était à peu près intégré à un petit groupe qui discutait politique, se contentant quand on s’adressait directement à lui de hocher la tête d'un air qu'il espérait concerné, Alain avait aperçu du coin de l’œil un homme bizarre d'une cinquantaine d'années. Isolé, debout contre un mur, l'homme tenait à la main une flûte de champagne tout en fixant avec concentration le vide devant lui. Alain était naturellement attiré par les gens excentriques, et la moustache de cet individu, un chaos de poils rigides et grisâtres, était certainement excentrique. Son comportement évoquait un malaise social, ce qui achevait de le rendre sympathique à Alain. Tout en répondant à une remarque sur l'incompétence du gouvernement par un « absolument » énergétique, Alain remarqua que l'inconnu se déplaçait doucement. Il lui semblait que... Mais oui ! L'inconnu effectuait une retraite stratégique vers la bibliothèque. Le visage d'Alain s’éclaira d'un grand sourire. Un homme à sa droite lui demanda s'il « trouvait donc amusante cette décision du ministre ». Alain répondit vivement que pas du tout, c'était une honte, tout à fait monsieur, et s'esquiva discrètement pour aller aborder l'inconnu moustachu.

Les bières se vidaient, le bol destiné aux coques de pistache se remplissait, et Conrad n'arrivait toujours pas. On entendait clairement la pluie tomber et le vent souffler. Un coup de tonnerre s'était même fait entendre.

— Tu crois qu'il ne viendra pas ? demanda Ed.

— Aucune idée. Avec ce temps, ça ne m'étonnerait pas que les tramways ne fonctionnent pas. Ou alors, il a juste oublié. Le connaissant, ce n'est pas impossible.

— Qu'est-ce qu'on fait ? On commence quand même ?

Pendant un moment de silence, leurs regards se posèrent sur le livre.

— On n'ira pas loin sans lui, dit Alain.

— Je sais. Mais je sais aussi que tu penses comme moi.

— Évidemment. 
 
Alain se leva pour aller éteindre la lumière principale, ne laissant allumée qu'une petite lampe dans un coin. Les bougies rayonnaient calmement, baignant la table d'une teinte orange. Ed ouvrit délicatement le livre, et ils commencèrent à le feuilleter prudemment à la lueur vacillante des bougies. L'encre noire sur le parchemin jaune prenait vie, et Ed traduisait le peu qu'il comprenait, s'attardant sur les passages qui l'avaient particulièrement marqué. 
 
— Regarde ce dessin, dit-il. À première vue, on dirait un corps humain allongé sur le dos, non ? Un corps momifié, sans rien de particulier. Mais observe ses flancs et son torse.

En se penchant sur le livre, Alain ne vit rien se spécial pendant un moment. Puis il y eu un déclic dans son esprit. Les côtes du cadavre avaient quelque chose de troublant. Elles ne semblaient pas provenir de son son dos, mais du devant de son corps. En fait, on apercevait distinctement entre les pectoraux ratatinés une ligne qui n'aurait pas dû se trouver là. Comme si le corps avait sa colonne vertébrale sur le torse. Alain eut un mouvement de recul.

— Mais qu'est-ce que ça veut dire ?

— Je pense que ça parle d'autres mondes. Tu sais, comme des univers parallèles. Au début je croyais que c'était une allusion à un royaume des esprits, là où vont les morts. On retrouve ce genre de chose dans la plupart des mythologies. Mais il y a plein d'allusions à quelque chose de plus... tangible. Solide. Comme là, par exemple, ça veut dire « poser le pied ». Conrad traduirait sans doute ça mieux que moi, mais tu comprends l'idée. On ne pose pas son pied dans un monde d'esprits. On trouve le mot « chair » bien trop souvent. Et ce dessin, ce cadavre, je crois que c'est une tentative de pénétrer un autre monde par la chirurgie. En modifiant l'assemblage du corps, en inversant l'architecture des os et des organes, le corps ne serait plus adapté à cette réalité mais à une autre, qu'il pourrait éventuellement rejoindre. Mais je n'arrive pas à comprendre les résultats obtenus.

— Ah. Rassure moi, ce n'est pas ce que tu as prévu de faire ce soir ? 

— Non, bien sur. On va se pencher sur des problèmes plus abordables.

Ed montra une page entière remplie de symboles géométriques. À première vue c'était un fouillis indescriptible, mais en fixant l'ensemble, petit à petit, l’œil s'y adaptait. La première chose qu'Alain remarqua, c'était qu'il n'y avait aucune courbe. Juste des angles. Des angles variés, mais aucun n'était droit. Et l'encre, qui semblait d'abord la même que pour l'écriture sur la page de gauche, était en fait de plusieurs types. Il y avait de l'encre noire, classique, et une autre presque aussi foncée qui était en fait écarlate. Une troisième, plus claire, se rapprochait du gris. On aurait dit du crayon à papier, mais c'était bien de l'encre.

— Les craies, dit Alain. C'est pour ça. Tu comptes reproduire ces lignes ?

— Juste une partie. La partie nécessaire. 
 
— Et qu'est-ce que c'est sensé faire ?

— Ouvrir un portail vers une autre dimension, invoquer un démon, nous rendre riche, transformer le pape en grenouille, peu importe. Il faut essayer. Je crois que c'est une autre méthode pour obtenir les mêmes résultats qu'avec le corps modifié.

— Au moins je préfère cette méthode là.

— Ça ne te dérange pas si on dessine directement sur ta table ?

Pendant un moment il mesurèrent attentivement la longueur des lignes et le degré des angles, puis commencèrent à les reproduire en plus grand sur la table dépouillée de tout ce qui l'encombrait. Le livre, ouvert aux pages qui les intéressaient, reposait debout sur une chaise, appuyé contre le dossier. Avec une longue règle en bois, un vieux rapporteur fendu et un compas rouillé, ils traçaient, effaçaient, et traçaient à nouveau. Même avec les rideaux tirés les éclairs illuminaient parfois la pièce et, avec le grondement du vent, donnaient à la scène un caractère fantastique qui régalait Alain. Ed était trop concentré pour faire attention à ces détails, et les manches de sa veste étaient recouvertes de poussière de craie écarlate.

Une fois la figure terminée, ils firent un pas en arrière et contemplèrent leur œuvre. 
 
Sur la table s'étalait une sorte d'étoile à neuf branches : trois noires, trois blanches, trois rouges. D'un coté de l'étoile, entre deux branches, il y avait un complexe motif triangulaire dessiné à la craie blanche, constitué de dizaines de plus petits triangles et, en son centre, d'un heptagone. Du coté exactement opposé de l'étoile, on trouvait entre deux autres branches un symbole similaire, sauf qu'il était noir et que son centre était un ennéagone. Reliant les deux triangles principaux, une douzaine de lignes écarlates traversaient l'étoile.

— Et maintenant ?

— Et maintenant, répondit Ed, il faut le feu. Le feu et la foi. 
 
Il alla éteindre la dernière lampe électrique qui restait allumée et, à la lueur des bougies, froissa une poignée de papier journal. Il se saisit du bol rempli de coques de pistaches, alluma le papier à la flamme d'une chandelle et, après s’être assuré qu'il brûlait bien, le plongea au milieu des coques. Il posa le bol sur la table, à l'exact centre de l'étoile à neuf branches. Lentement, les coques commencèrent à se consumer, et quelques flammes hésitantes s'élevèrent.

— Ça devrait suffire. Maintenant, assieds-toi d'un coté de la table, en face de moi, et prends mes mains.

Alain s’exécuta. Les mains d'Ed étaient moites et révélaient son excitation. 
 
— Si j'en crois ce que j'ai pu traduire, il faut penser à cette autre réalité pour l'invoquer. Sers toi du schéma pour te concentrer. L'étoile, c'est le réceptacle de la Création. Le triangle à l'heptagone, c'est notre monde. L'autre triangle, c'est ce que l'on cherche. Les lignes qui traversent l'étoile, c'est notre route. Essayons de la trouver.

— Le triangle noir, il a un ennéagone. Deux cotés de plus que notre heptagone, donc. Tu crois que ça veut dire que cette réalité est plus... vaste ? Plus complexe ? 
 
— Je n'en sais rien. Peut-être. On va essayer de le savoir. Concentre toi. Les flammes illuminent le chemin.

Alain ne pouvait ôter de son esprit l'idée qu'il se serait senti plus à l'aise si Conrad était avec eux. Conrad avait de l'expérience. Il avait déjà fait ce genre de chose. Eux, ils étaient novices. Enthousiastes, mais ignorants. 
 
Il se ressaisit et fixa son attention sur les flammes. Elles faisaient briller d'un éclat étrange les lignes écarlates. Il sentait les mains d'Ed se tendre, il le voyait se redresser à la périphérie de son champ de vision. Ed avait fermé les yeux, il avait tout le schéma en tête, depuis le temps qu'il l'étudiait. Alain se penchait sur les lignes et les triangles, le noir, le blanc et le rouge semblaient se mélanger, il oubliait les hurlements du vent et les torrents de pluie, il oubliait le monde extérieur pour traverser une étoile à neuf branches et pénétrer dans un polygone à neuf cotés.

Soudain retentit un énorme coup de tonnerre et la fenêtre claqua violemment sous la force d'une bourrasque d'une rare violence, éteignant instantanément toutes les bougies, mais épargnant étrangement le petit feu de l'étoile. Comme réveillé par le coup de vent, Ed se leva brusquement, fit en un instant le tour de la table et saisit Alain par les épaules.

— Je l'ai vu, s'exclama-t-il, je l'ai vu !

— Vu quoi ?

— L'autre monde ! C'était beau et terrible, plein de choses incompréhensibles ! Ça n'a duré qu'un instant mais quelque chose m'a suivi ! Je ne sais pas ce que que c'est, je ne sais pas où c'est, mais c'est revenu avec moi. C'était vivant.

— Mais qu'est-ce que tu...

Un vacarme dans le couloir interrompit Alain. Les deux hommes tournèrent la tête vers la porte. Il y avait de l'autre coté comme des coups frappés contre le mur.

— C'est...

— Je vais voir, dit Alain.

Il se leva et s'approcha, mais alors qu'il allait poser sa main sur la poignée, la porte trembla sous un choc puissant qui venait de l'autre coté. Alain se figea et son cœur s'emballa. Il percevait comme un vague grondement. À travers le bruit du vent et de la pluie provenant de la fenêtre toujours ouverte il entendit Ed chuchoter derrière lui.

— C'est ce qui m'a suivi. Ça ne sait pas se servir d'une poignée.

Alain cessa de penser et se sentit instantanément comme une gazelle poursuivie par un guépard. La fenêtre était la seule autre issue. Ils étaient au quatrième étage, ce n'était même pas la peine d'y penser. Il fit demi tour sans faire de bruit, fit signe à Ed de le suivre, et s’engouffra dans sa penderie. 
 
Cette fuite ne dura que quelques secondes pendant lesquelles Alain avait oublié toute autre chose que ses instincts les plus primaires. Une infime partie de la lueur des flammes pénétrait par les fentes dans le bois, et lui permettait de voir le visage décomposé d'Ed, accroupi juste coté de lui, les fesses dans un tas de chaussettes. Leurs épaules se touchaient. Malgré le bruit des intempéries ils entendirent la porte coulisser, puis des bruits de pas. Pendant un instant on aurait presque pu croire à des pas humains, mais il y avait un claquement sec et des tapotements plus légers qui n'avaient rien à voir avec un corps d'homme. Quelque chose heurta ce qu'Alain supposa être un fauteuil. Un objet tomba par terre.

Les deux hommes terrifiés se serraient l'un contre l'autre, s'efforçant de ne pas faire un mouvement. Un bout d'une chemise en lin, qui faisait habituellement la joie d'Alain grâce à sa douceur, vint chatouiller ses narines. Il plaqua vivement ses mains sur son nez et réprima de justesse un éternuement. 
 
S’interrogeant mutuellement du regard, ils hésitaient sur la conduite à tenir, ils hésitaient même sur ce qu'il fallait croire. Était-il possible que le rituel ait été un succès ? Ed en était persuadé, Alain pouvait le lire dans ses yeux. Après le réflexe instinctif de fuite, son esprit commençait à essayer de faire le point. Quoi, un monstre serait apparu dans son couloir, venu d'un autre monde ? Ce vieux bouquin élimé serait plus qu'un bel objet de collectionneur ? Cela semblait impossible, rien d'autre qu'un fantasme.

Les pas de l'autre coté de la porte interrompirent brutalement ses pensées. Ces pas étaient bien réels. Et ils se rapprochaient. La chose de l'autre coté était lourde, imposante. Maintenant il entendait même une respiration haletante, un souffle bien concret. Ed l'entendait aussi, il transpirait à grosses gouttes, il tremblait, il semblait sur le point de se mettre à hurler, ses yeux étaient exorbités. 
 
Les pas se rapprochèrent encore et cessèrent. La chose était à quelques centimètres de la penderie. Alain était aussi figé et aussi pâle qu'un cadavre. Ed tremblait de plus en plus. La chose de l'autre coté devait forcément percevoir les vibrations à travers le bois. Le souffle se fit entendre entre les deux battants de la porte, un reniflement accompagné d'une odeur humide, légèrement putride, une odeur de vie.

Il y eu des tapotements contre la porte, des petits cognements maladroits. Ed se figea un moment, fixa Alain, et murmura :

— Désolé.

Il se pencha en avant et saisit Alain par la nuque. Même s'il n'avait pas été pris par surprise, même s'il était dans une situation moins terrifiante, Alain n'aurait rien pu faire, l'autre devait avoir trente kilos de plus que lui. Alain comprit instantanément. C'était parfaitement logique. Quoi que ce soit qui se trouvait dehors, ça savait qu'ils étaient là. Le plus fort d'entre eux pouvait jeter le plus faible en pâture à la créature et profiter de la distraction pour s'enfuir. Ed ne faisait qu'agir rationnellement. 
 
Alain sentit son dos cogner contre la porte et l'ouvrir, il se sentit tomber sur une masse velue et mouillée. Il voulut se relever mais Ed atterrit brusquement sur lui, se prenant les pieds dans ses jambes, et s'écroulant aussi. Les deux hommes se débattirent contre quelque chose de gros, qui bougeait et grognait, Ed parvint à se redresser, et Alain sentit sur son visage un souffle chaud, il vit à la lumière des flammes le reflet de dents blanches qui s'approchaient, et il hurla frénétiquement quand un lourd bout de chair rugueuse et collante s'abattit sur son visage.

— Atilla, dit une voix venant d'un coin d'ombre de l'autre bout de la pièce, Atilla !

La chose poilue se calma et fit marche arrière. Alain rampa rapidement pour s'en éloigner et jeter un regard dans sa direction. C'était un gros chien trempé, du genre saint Bernard, un gros chien gris à l'air joyeux.

— Hein, quoi ?

Après un mouvement dans le coin d'ombre, le visage de Conrad apparut dans la lumière.

— Désolé, dit-il, je ne voulais pas vous surprendre. Mais avec ce temps j'ai dû venir à pied, et je ne pouvais pas laisser Attilla tout seul. Il est terrifié par l'orage, si vous saviez ! Quand il a vu que j'allais partir, il avait tellement peur, il me faisait de tels yeux, j'ai eu pitié et je l'ai emmené. Même avec mon parapluie on a été trempés. Un voisin nous a fait entrer dans l'immeuble, et la porte de l’appartement était ouverte. Mais quand j'étais dans le couloir, il y a eu un énorme coup de tonnerre et l'électricité s'est coupée. Il faisait noir tout d'un coup, je n'y voyais rien, je me suis pris les pieds dans le tapis, cogné contre les murs, et pour finir, je me suis fracassé le nez contre la porte.

Il caressa sa moustache tachée de rouge et la leur montra.

— Regardez ! J'ai saigné. Sérieusement, ça fait un mal fou. J'étais complètement sonné alors je me suis assis.

Une fois son explication terminée il regarda les deux autres avec plus d’attention. Alain était toujours allongé au sol, sur le dos, la tête relevée, avec une expression d’incrédulité parfaite. Ed était debout, appuyé à la table, tendu à l’extrême. Soudain il saisit son manteau et s’engouffra dans le couloir sans se retourner. Quelques secondes plus tard ils entendirent claquer la porte de l'appartement puis ses pas résonner dans l'escalier.

— Mais qu'est ce qui s'est passé ? Vous avez commencé sans moi ? Les symboles sur la table, je les reconnais. Et ça ne m'inspire rien de bon. Vous auriez dû m'attendre. A voir vos visages, on dirait que vous avez invoqué un monstre.

— Oui, dit Alain alors qu'Atilla venait à nouveau lui lécher le visage, oui, je crois bien que c'est exactement ce qu'il s'est passé.

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